Cette souplesse de vocabulaire s’explique en partie par le caractère moralement condamnable du racisme, qui conduit les discours racistes à évoluer afin de ne jamais être perçus comme tels. Si dans les années 80, Jean-Marie Le Pen se sentait autorisé à parler de « bougnoul », ce serait maintenant inconcevable. C’est donc d’autres attributs de langages et d’autres concepts qui sont mis en avant.
Mais si le racisme sait se montrer imaginatif pour continuer à avancer masqué, le mouvement antiraciste n’est pas en reste dans les réponses qu’il y apporte. Et ces dernières années ont été marquées par une réelle vitalité de l’antiracisme dans le renouvellement de ses concepts et de ses grilles de lecture. D’une approche « morale » de la question du racisme, la société civile antiraciste tente de faire évoluer l’approche vers une lecture systémique du problème. Et tente de s’armer de concepts servant d’autant de lunettes qui permettent ensuite de lire des réalités jusque-là trop peu visibles.
Un concept raciste qui a le vent en poupe et fait de plus en plus parlé de lui, est celui de « grand remplacement ». Nos collègues Anne-Claire Orban et Edgar Szoc reviennent sur la généalogie du concept dans le premier article de ce numéro. Aïda Yancy, historienne spécialisée dans les questions de race, de genre, d’orientation sexuelle, d’oppression et de domination sociale, nous parlera ensuite du concept d’intersectionnalité. Nous aborderons également la question des discours de haine. Bien que ceux-ci soient loin d’être nouveaux, la lutte pour les contrer a connu un tournant majeur avec l’avènement d’internet. Julia Mozer essaiera de baliser la question à partir de son importante expertise en la matière : elle travaille précisément sur la question des discours de haine au sein du CEJI (contribution juive pour une Europe inclusive). Enfin, le dernier article est l’oeuvre de Nicolas Rousseau, travailleur au sein de BePax, et qui en 2019 s’est attelé à la rédaction d’une étude sur le concept de blanchité. Quand durant des décennies la lutte antiraciste a limité son étude à un focus sur les populations qui subissaient celui-ci, il devient maintenant urgent d’inverser le regard pour comprendre quel rapport au monde le fait d’être blanc développe.
Bonne Lecture