Le cours de religion islamique : renouveau des guerres scolaires ?

Rédigé le 29 septembre 2017 par : Anne-Claire Orban

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Miroir de notre société, l’école subit de plein fouet les tensions qui traversent le monde d’aujourd’hui.

Les débats autour du nouveau cours d’EPC illustrent comment l’islamophobie y trouve son terrain d’expression, en prenant pour cible les professeurs de religion islamique. Pourtant ces débats ne touchent moins la gestion de l’islam que la gestion de la diversité sur notre territoire.

« Les débats politiques qui tournent autour de l’éducation ont la particularité de déchainer les passions. Si chacun estime avoir son mot à dire sur le sujet, c’est qu’il s’agit indéniablement d’un enjeu incontournable de nos sociétés démocratiques »[1]

Des débats européens

On remarque aujourd’hui que les sociétés européennes font face à un phénomène majeur : la recomposition du paysage confessionnel. D’une part, un nombre grandissant de personnes se déclarent « sans religion », et de l’autre, une immigration importante (et nécessaire[2]), rend nos sociétés de plus en plus diversifiées tant culturellement que convictionnellement. De sociétés monoculturelles et majoritairement marquées par la chrétienté, nous sommes passés à des mondes pluriels et multi-convictionnels. De là découleraient trois défis identiques : 1- les questions liées à la reconnaissance officielle des nouvelles formes de spiritualité en cultes reconnus, 2- la visibilité croissante de l’islam et les demandes d’accession aux mêmes droits que les cultes voisins, qui amène à questionner le mode de fonctionnement laïque que nous connaissions jusqu’alors, 3- le questionnement autour de l’enseignement du fait religieux à l’école. En effet, comme le note Luce Pépin, « la plupart des systèmes éducatifs ont […] été conçus, en particulier au niveau de leurs contenus et de la formation des enseignants, pour répondre aux besoins de sociétés relativement homogènes et monoculturelles »[3]. Une évolution de ces contenus semble donc nécessaire afin de prendre en compte les religions minoritaires. Là se trouve un des défis de l’enseignement européen aujourd’hui : la mise en place de systèmes éducatifs garantissant la liberté religieuse des jeunes (dont la liberté de suivre ou non un cours convictionnel) tout en construisant un programme de cours commun et cohérent pour former les citoyens de demain.

Comme le note Jean-Philippe Schreiber, « Dans de nombreux pays, [les] questions [de la place des religions et du religieux dans l’espace public] ont émergé dans les écoles, spécialement au cours des vingt dernières années, à travers le port de signe religieux ou la présence de symboles religieux, mais aussi à travers les restrictions alimentaires relatives à une conviction ou des réticences face aux contenus de certains cours. L’exemple des écoles, qui sont par excellence les lieux où les tensions entre politique et religion ont pris et prennent toujours place depuis le 19ème siècle, illustre le fait que, même si cela évolue, la relation avec la culture religieuse reste présente. Cependant, malgré la cristallisation de certaines tensions, dans nombre de pays, et spécialement concernant les cours relatifs au religieux (« religion-related courses »), une nette évolution s’est fait sentir, allant jusqu’à des transformations parfois radicales, comme récemment au Luxembourg »[4]. Notons toutefois que si l’école condense les tensions entre politique et religion, d’autres problématiques y sont présentes, notamment la ségrégation socio-spatiale ou les inégalités socio-culturelles[5].

Le renouveau des guerres scolaires ?

En Belgique, ce troisième défi agite particulièrement les mondes politiques, associatifs, cultuels et de l’enseignement. Si l’instauration d’un cours commun et la réduction de cours de religion a été pendant longtemps un cheval de bataille du mouvement laique en Belgique, d’après Caroline Sägesser, « jusqu’à présent, la diversification du paysage convictionnel ne s’était pas traduite par une remise en cause des règles de base qui organisent en Belgique le pluralisme convictionnel. En 2016, toutefois, une première évolution notable s’est manifestée avec l’introduction du cours d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté dans les écoles officielles de la Communauté française en lieu et place d’une heure de religion ou de morale non confessionnelle »[6]. Présent dans nos écoles primaires subventionnées (CEPC et CEPEON)[7], organisées (FWB) et libres non confessionnelles qui le souhaitent (FELSI[8]) depuis la rentrée 2016-2017, son corollaire en secondaire a attendu la rentrée 2017-2018.

Ce cours remplace une partie des cours confessionnels et de morale, dispensés dans les écoles du réseau officiel suite au Pacte Scolaire de 1959. Et toucher au pacte scolaire, c’est ré-ouvrir les clivages entre le mouvement laïque et le monde catholique. On entend d’un côté que d’abord les cours de religion seraient poussiéreux et caduques face au monde d’aujourd’hui, que la séparation des élèves qu’il occasionne serait néfaste pour l’apprentissage de la citoyenneté et qu’ensuite, comme le note Michel Demissy, « l’enseignement religieux peut alors être considéré comme ne respectant pas les valeurs de l’éducation publique, en particulier le développement de l’esprit scientifique »[9].  Et de l’autre, les professeurs de religion faisant valoir la légitimité de leur cours, que ce dernier permettrait l’ancrage des jeunes dans leurs racines et une construction identitaire sereine et complète. Ils dénoncent enfin la vision erronée des cours convictionnels : déjà actuellement, y sont abordés les questionnements philosophiques et les différents courants religieux et l’enfant y est déjà poussé à penser de façon critique et autonome.

Alors que l’on touche ici à une question fondamentale, en lien direct avec le respect des droits et libertés fondamentales, l’instauration du cours d’EPC en Belgique semble résulter d’une gestion très « émotionnelle » et « dans l’urgence », créant des blocs d’opposition (les « antis » vs. les « pros ») où chaque pilier défend ses positions.

Stigmatisation du cours de religion islamique… et de ses professeurs

L’école, comme nous l’avons dit, reste le miroir de la société, société où malheureusement l’islamophobie se fait de plus en plus ressentir. Il fallait donc s’attendre à retrouver des arguments islamophobes au cœur des débats sur l’enseignement de la citoyenneté et de la religion/morale.

Alors que l’idée de l’instauration d’un cours de citoyenneté était défendue depuis plusieurs années, notamment par les sociaux-démocrates, et était au programme du gouvernement de la Communauté française en 2014 (PS et CDH), l’ex-ministre de l’enseignement Joëlle Milquet avouait que les attentats de Paris en novembre 2015 puis ceux de mars 2016, avaient précipité l’instauration d’un cours de citoyenneté, le cours de religion islamique étant vu comme une possible voie de radicalisation des jeunes… Sous-entendant par-là, l’idée que certains professeurs de religion islamiques désireraient l’expansion de l’islam et feraient du prosélytisme mais surtout qu’ils manqueraient de jugement critique et de recul par rapport à leur foi et à la religion islamique.

Ce préjugé semble d’ailleurs sous-entendu par la ministre de l’éducation, Madame Schyns elle-même : « à l’heure d’aujourd’hui, quand on voit comment certains extrêmes peuvent se développer […], ce cours permet la construction d’une démarche philosophique, il permet d’apprendre à mieux se connaitre soi, creuser un peu en profondeur, définir sa position, définir son opinion, en plus de 140 caractères »[10].

François Desmet note que l’on a peur des « agendas cachés » de ces professeurs. L’idée qu’ils désireraient imposer la charia et renflouer les troupes islamistes pousse certains à vouloir les éloigner des enfants d’aujourd’hui[11].

Accusés de promouvoir le radicalisme ou tout du moins, le communautarisme, les professeurs de religion islamique bénéficient de moins de légitimité que leurs collègues catholiques ou de morale. Et ce manque de légitimité est certainement créé par le manque de légitimation, d’où découle un manque de structuration, dont bénéficie ce cours.

Notons que paradoxalement, les professeurs de religion avancent également l’argument de la dé-radicalisation pour maintenir l’enseignement religieux au sein du réseau officiel : en incarnant des personnes de référence pour des jeunes parfois noyés dans l’information propagée sur les réseaux sociaux, les professeurs de religion islamiques (puisque c’est ceux-ci que l’on cible) ont la possibilité de recadrer le jeune et l’empêcher d’être séduit par des discours extrémistes propagés sur la toile.

Par ailleurs, les professeurs de religion islamique supportent mal les nombreux préjugés accolés à l’ensemble des personnes considérées comme musulmanes, notamment d’être vues comme des êtres obnubilés par leur foi et donc dénoués de raison, faisant primer leur croyance sur les droits humains universaux. Certains posent alors la question de savoir comment penser l’intégration des élèves de culture ou de religion islamique lorsqu’ils sont confrontés à de tels propos ?

Ne soyons pas naïfs au point de croire que tous les enseignants de religion portent des idées progressistes de liberté et d’esprit critique sur le monde et la religion. Face à un ou une enseignant-e émettant des propos contraires aux droits humains ou allant à l’encontre des droits sociaux acquis au cours des dernières décennies, il nous parait évident que les sanctions sont nécessaires. Les propos allant à l’encontre des droits LGBT (comme entendu dernièrement de la part d’un enseignant de religion catholique dans une réunion professionnelle) ou des propos anti-avortement (tenus par le professeur de philosophie Stephane Mercier, à l’UCL, en mars dernier) demandent à être sanctionnés. Ces dérives sont partout. Ce que nous déplorons, c’est que certaines sont rendues plus visibles que d’autres.

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Les professeurs de religion islamique sont bien placés pour sentir les effets du racisme sur leur quotidien. Ils subissent les préjugés accolés aux minorités en plus de ceux accolés aux croyants en général. Leur enseignement s’en voit de ce fait sans cesse mis en doute. Comme le note Hicham Abdel Gawad - dont le licenciement en juin 2017[12] est pour nous une aberration ! - sur sa page facebook « l'enseignement de la religion islamique dans les écoles [est] dans un état lamentable : absence de programme, absence de supports, absence de manuels, absence de formation et absence de conseillers pédagogiques dûment diplômés […] ». Cela ne doit pas remettre en cause les compétences de discernement et d’esprit critique des individus en charge de ce cours mais plutôt pousser à améliorer les conditions d’enseignement.

Au lieu de stigmatiser des personnes sur base de leur fondamentalisme présupposé, il est nécessaire de soutenir et d’accompagner les professeurs de religion et futurs profs d’EPC dans leurs nouvelles missions - quelle que soit leur appartenance religieuse initiale - à travers un programme de formation ambitieux, des outils pédagogiques adaptés et des espaces de rencontres pour partager les expériences… 

Les débats autour de l’instauration d’un cours de citoyenneté et la réduction des cours convictionnels ne tournent pas autour de la gestion de l’islam comme certains continuent à le prétendre, mais bien autour de la gestion de la diversité dans les classes, et plus largement de la gestion de la diversité sur notre territoire. Bien entendu, les tensions actuelles sont compréhensibles, on touche ici à l’emploi et à la dignité des professeurs de religion et de morale, qui se voient taxés de nombreux maux. Les tensions entre politiques et syndicalistes se comprennent aisément et nous soutenons les comités d’enseignants désirant préserver leurs emplois. Nous sommes convaincus du potentiel de chacun, pour autant qu’ils et elles puissent bénéficier de formations et des outils adéquats pour enseigner aux élèves les valeurs universelles et fondamentales d’une société démocratique ainsi que l’esprit critique et l’ouverture sur le monde.

Comme l’étude Une école hors les murs de CJP le pointe, le défi de l’école d’aujourd’hui est de pouvoir concilier « une exigence d’intégration à travers des références communes, d’une part, et l’importance d’une valorisation des différences et cultures d’origine, d’autre part » afin de construire la société démocratique de demain. Pour ce faire, il s’agit de réfléchir d’abord sur notre projet de société car répondre à la question quelle école voulons-nous, demande d’avoir des idées claires sur la société désirée.

Rejeter une partie du corps enseignant sur base d’a priori racistes, c’est leur faire porter le poids de questionnements bien plus larges tout en évitant d’aborder un des défis colossaux de notre époque, celui de faire société avec des identités multiples. Ce défi est à relever avec l’ensemble de la société, en tenant compte de ses composantes les plus diverses.

Sources utilisées

La laicité en question. De la théorie à la Pratique, Débat organisé par la Fédération Laïque de Centres de Planning Familial, le 27 juin 2017.

Jan Nelis, Caroline Sägesser et Jean-Philippe Schreiber (eds.), Religion and Secularism in the European Union. State of Affairs and Current Debate, eds. Peter Lang, coll. Dynamiques citoyennes en Europe, 2017.

Caroline Sägesser, Jean-Philippe Schreiber et Cécile Vanderpelen-Diagre, Les religions et la laïcité en Belgique, pour ORELA, rapport 2016.

Luce Pépin, L’enseignement relatif aux religions dans les systèmes scolaires européens, pour Network of European Foundations, 2009.

EURYCIDE, L’éducation à la citoyenneté en Europe, pour la Commission européenne, rapport 2012.

Claude Demissy, Enseignement religieux et transmission croyante, Laval théologique et philosophique 682, 2012.

[1] Etude 2017 Une école hors les murs, p 6

[2] Notamment au niveau démographique, pour assurer la pérennité de notre système social.

[3] Rapport 2009 L’enseignement relatif aux religions…, p 38

[4] Dans Religion and Secularism in the European Union. State of Affairs and Current Debate, pp 215-216

[5] Pour aller plus loin sur les défis rencontrés par l’école, voir l’étude Une école hors les murs, 2017

[6] Rapport 2016, Les religions et la laïcité en Belgique, p 3

[7]Conseil de l'enseignement des communes et provinces et Conseil des Pouvoirs organisateurs de l'Enseignement officiel neutre subventionné

[8] Fédération des Etablissements Libres Subventionnés Indépendants

[9] Dans Enseignement religieux et transmission croyante, p 386

[10] Débat juin 2017, La laicité en question. De la théorie à la Pratique.

[11] Débat juin 2017, La laicité en question. De la théorie à la Pratique.

[12]http://www.rtl.be/info/belgique/societe/ce-professeur-de-religion-islamique-a-evite-le-piege-du-radicalisme-religieux-voici-son-parcours-incroyable-videos--847289.aspx 

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