En dénonçant les inégalités, l’anti-racisme – comme courant de pensée et mouvement social – remet en cause un des fondements de l’organisation sociale. Ce qui le condamne à être relégué à la marge du débat public au prétexte de sa radicalité et de multiples manques (d’objectivité, de maturité, de modération) imputés aux personnes impactées par le racisme voulant prendre part dans un débat qui les concerne.
Ce numéro du Signe des temps se veut une modeste contribution à renverser ce mécanisme en mettant en lumière les effets quotidiens du racisme sur les personnes racisées, leurs rapports aux autres et à leur propre corps.
Démarrant avec le très riche article de Hassina Semah, qui décline le concept de “colonialité” dans ses dimensions historique, systémique, interindividuelle et subjective, nous recouvrerons la mémoire d’un passé encore bien présent. Par le biais d’un monde militant qui se projette comme porteur de progrès social, elle montre la persistance de traces laissées par la période coloniale sur les relations entre des militantes féministes en Belgique.
Le numéro se poursuit par les contributions, saisissantes et éclairantes, de Emmanuelle Nsunda et Estelle Depris. Leurs textes prolongent la description des mécanismes d’exclusion à partir du monde professionnel et au-delà en se basant sur des témoignages et des entretiens approfondis. Elles décrivent avec acuité les ressorts psychiques à travers lesquels opère l’emprise du racisme sur les corps racisés, pour démontrer leur impact néfaste sur leur santé mentale.
Ainsi, Emmanuelle Nsunda nous conscientise sur l’effet cumulatif et démultiplicateur des discriminations et de la “charge raciale” comme charge mentale spécifique sur le vécu de femmes noires au travail. À travers les deux cas qu’elle analyse, elle pointe une condition collective : celle d’une surexposition à des risques psycho-sociaux pour les travailleuses issues de minorités.
Estelle Depris, quant à elle, s’ancre dans le concept de “trauma racial” pour illustrer les effets concrets du racisme dans la manière dont il marque les vécus, les émotions et les comportements des personnes racisées. La charge raciale prend ici la forme d’une peur anticipant ou rejouant la violence et conduisant à l’intériorisation d’une vulnérabilité sociale et physique spécifique en tant que personne racisée.
L’anti-racisme s’attaque souvent aux mots car ils fabriquent notre réalité et cadrent nos actions. En les prononçant, les remettant en question ou en en inventant de nouveaux, les chercheur·se·s et militant·e·s entendent détruire les barrières qui nous empêchent de nous voir et de nous entendre, et d’habiter un monde commun, forcément pluriversel.
Dans ce numéro, la problématique de la santé mentale – déclinée autour des concepts de discrimination, charge et trauma racial – donne à voir combien la violence raciste déchire le corps collectif. Ainsi, ces personnes contribuent à la marche collective vers un horizon de paix et de justice sociale, en s’attaquant aux structures oppressives et aux foyers de violence qui les reproduisent dans notre société.
Bonne lecture !