Invisibilisation du racisme anti-asiatique

Pourquoi le racisme anti-asiatique est-il si rarement nommé et reconnu ? Que ce soit dans les médias ou les luttes antiracistes, les voix des communautés asiatiques sont souvent absentes ou relayées au second plan. Une partie de l’explication réside dans le mythe de la minorité modèle, une construction stéréotypée qui présente les personnes asiatiques comme exemplaires, travailleuses, dociles et silencieuses.

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Entre déni et stéréotype de la minorité modèle

Pourquoi le racisme anti-asiatique est-il si rarement nommé et reconnu ? Que ce soit dans les médias ou les luttes antiracistes, les voix des communautés asiatiques sont souvent absentes ou relayées au second plan. Une partie de l’explication réside dans le mythe de la minorité modèle, une construction stéréotypée qui présente les personnes asiatiques comme exemplaires, travailleuses, dociles et silencieuses. Derrière cette image prétendument flatteuse se cache une forme insidieuse de racisme, qui invisibilise les discriminations, banalise les violences et isole ces communautés dans une position d’exception face aux autres groupes de personnes racisées.

Un racisme banalisé

Souvent perçu comme moins grave, le racisme anti-asiatique est fréquemment minimisé, voire ignoré. Pourtant, ses manifestations sont nombreuses : propos stéréotypés, violences symboliques, stigmatisations ou agressions physiques.

En France, le 7 août 2016, Chaolin Zhang, un couturier d’origine chinoise de 49 ans, meurt à la suite d’une agression raciste à Aubervilliers. Ses agresseurs le ciblent précisément parce qu’il est perçu comme asiatique et donc supposé porter sur lui de l’argent liquide, un stéréotype raciste courant. En effet, le vol d’argent prenant comme cible des personnes perçues comme chinoises est assez fréquent, et est basé sur un imaginaire fantasmé qui voudrait que ces populations se promèneraient avec beaucoup d’argent liquide sur elles, et qu’elles auraient tendance à ne pas porter plainte en cas d’agression, ce qui fait donc d’elles des cibles faciles.

De plus, la pandémie de Covid-19 a accentué les actes de violences racistes envers les personnes perçues comme asiatiques. Dès les premiers cas rapportés de maladie et l’hypothèse d’une provenance chinoise, il y a une explosion des actes racistes visant les personnes asiatiques, qui est documentée à travers le monde, y compris en Europe. En Belgique, ce phénomène s’illustre dans un rapport d’Unia qui note une hausse des signalements de racisme anti-asiatique de 183 % entre 2019 et 2020.

Ce racisme peut se traduire par de nombreuses expressions et stéréotypes racistes. Que ce soit dans les médias, le cinéma ou dans l’opinion publique, il n’est pas rare d’entendre des propos racistes ou des insultes envers les personnes d’origine asiatique sans que ça ne pose un problème. « Travailleuses », « discrètes », « bien intégrée », … ces stéréotypes en apparence « positifs » s’apparentent également à du racisme, car ils enferment les personnes d’origine asiatique dans une réalité où la violence raciale est bel et bien présente.

Le mythe de la minorité modèle : une construction raciste

Apparu dans les années 1960 aux États-Unis, le mythe de la minorité modèle désigne l’idée selon laquelle les personnes asiatiques seraient des immigré·e·s exemplaires : travailleuses, silencieuses, dociles et ayant réussies économiquement. Ce récit a émergé en opposition aux luttes des communautés noires américaines, qui étaient assimilées à la délinquance et peuplant majoritairement les prisons du pays. Cette stratégie servait donc à diviser les groupes marginalisés et renforcer l’idée de méritocratie, où la réussite dépend uniquement de l’effort individuel. En Europe, ce mythe est également largement diffusé. Il prend racine dans une histoire coloniale et migratoire[1]qui a longtemps perçu les travailleur·euse·s asiatiques comme des « bon·ne·s travailleur·euse·s », obéissant·e·s et discret·e·s.

Le mythe de la minorité modèle s’inscrit dans une culture du silence. En effet, elle contribue grandement à l’invisibilisation des personnes d’origine asiatique, que ce soit dans les débats publics ou bien même dans les mobilisations antiracistes. En dépeignant l’image d’une population discrète, ce stéréotype masque les violences et discriminations que ces personnes peuvent vivre. L’absence et l’invisibilisation des vécus des personnes asiatiques reflète un réel silence qui est renforcé par une intériorisation du stigmate et une pression à la conformité. Ainsi, lorsque le racisme vécu est exprimé, il est fréquemment minimisé ou ignoré.

Par ailleurs, dans l’imaginaire collectif occidental, les communautés asiatiques sont souvent représentées de manière homogène – comme une entité unique, souvent assimilée à l’Asie de l’Est. Cette uniformisation contribue à renforcer les stéréotypes et empêche la reconnaissance des vécus variés, par exemple entre personnes d’origine chinoise, vietnamienne, indienne ou pakistanaise. Or, réduire les personnes asiatiques à une seule « communauté » masque une réalité bien plus complexe. L’Asie est un continent avec des identités culturelles, linguistiques, religieuses et sociales extrêmement diverses. Cette réduction des identités complexes et ce traitement uniforme contribue en grande partie à renforcer les représentations stéréotypées.

Le mythe de la minorité modèle s’apparente à du racisme car il réduit des individus à des qualités utilitaires (travailleuses, discrètes, dociles, intelligentes, bien intégrées) et masquent les violences structurelles dont ils peuvent être victimes. Le silence face à ces clichés contribue à l’invisibilisation des expériences raciales spécifiques des personnes asiatiques.

Sous couvert d’un racisme banalisé et ordinaire, cette représentation s’inscrit en réalité dans une perspective raciale empêchant d’une part de reconnaître réellement l’existence du racisme anti-asiatique, et d’autre part empêchent les personnes d’origine asiatique de le dénoncer. Le mythe de la minorité modèle pose dès lors problème car il occulte les discriminations, empêche de penser les violences spécifiques vécues par ces communautés et rend plus difficile leur dénonciation.

Le mythe de la minorité modèle participe dès lors à la banalisation et à l’invisibilisation du racisme anti-asiatique.

Le mythe de la minorité modèle ne se contente pas d’invisibiliser le racisme anti-asiatique, il va aussi hiérarchiser les luttes. En érigeant les Asiatiques en modèle d’intégration, cette croyance suggère que les autres groupes minorisés seraient responsables de leur propre exclusion en ne faisant pas assez d’efforts.  Ce discours sert à légitimer un système inégal, si les Asiatiques réussissent, alors le racisme n’existerait plus. Cette idée a pour objectif d’invisibiliser les mécanismes structurels d’exclusion. Le mythe de la minorité modèle œuvre en réalité comme un outil de hiérarchisation raciale. En érigeant les personnes asiatiques comme un modèle d’intégration supposée réussie, cela sous-entend que si les autres groupes racisés ne parviennent pas à s’intégrer c’est de leur ‘’faute’’, par manque de volonté ou de discipline.

Ceci peut amener certains membres des groupes asiatiques à se démarquer des communautés noires et arabes par exemple, par peur d’être assimilés à une image plus négative, et même à adopter partiellement des discours hostiles envers ces autres groupes, souvent sous l’effet des injonctions à l’intégration. Symétriquement, le stéréotype de la minorité modèle peut susciter de la jalousie ou de la suspicion de la part d’autres personnes racisées, qui voient les Asiatiques comme socialement privilégié·e·s ou favorisé·e·s. Cela alimente des incompréhensions et des divisions, au lieu de la solidarité intercommunautaire attendue dans un mouvement antiraciste. En sciences sociales, le concept de « zero-sum competition »[2] est appliqué à ces situations. La représentation des relations intergroupes comme une lutte pour des ressources considérées comme limitées : l’avantage accordé à un groupe est vu comme une menace ou une perte pour les autres. Cette logique sous-tend fréquemment l’émergence de sentiments de rivalité, de jalousie ou de défense[3]

Des mobilisations pour briser le silence

Nommer le racisme anti-asiatique, c’est briser une culture du silence trop longtemps imposée. En déconstruisant le mythe de la minorité modèle, ces luttes refusent la division entre personnes racisés, la hiérarchisation implicite et les injonctions à la conformité.

Le racisme anti-asiatique ne se réduit pas aux agressions physiques : il est systémique, symbolique et quotidien. Le combattre nécessite d’en reconnaître la spécificité, d’en visibiliser les formes et de soutenir les voix qui s’élèvent.

Il y a des initiatives comme le média Asiattitudes, le mouvement #StopAsianHate et Untold Asian Stories. Nombreux de ces projets ont vu le jour après la crise sanitaire pour raconter d’autres récits et dénoncer le racisme spécifique dont sont victimes les personnes d’origine asiatique3.

Par ailleurs, ces luttes s’inscrivent dans une volonté de créer des alliances entre communautés racisées. En refusant l’instrumentalisation du mythe de la minorité modèle, elles appellent à s’organiser collectivement, ces mouvements dénoncent les logiques de division raciale et défendent une approche solidaire avec l’ensemble des communautés. Ces mobilisations insistent donc sur la nécessité de coalitions entre communautés racisées, de sortir de l’isolement imposé par le mythe de la minorité modèle, et de construire des luttes solidaires.

Ressources

Beast Talks. (s. d.). Compte Instagram. https://www.instagram.com/beast.talks

Chou, R. S., & Feagin, J. R. (2015). The myth of the model minority: Asian Americans facing racism. Routledge.

Chuang, Y.-H. (s. d.). Une minorité modèle. La Vie des idées. https://laviedesidees.fr/Chuang-Une-minorite-modele

Chuang, Y.-H., & Le Bail, H. (2022). Faire reconnaître le racisme anti-asiatiques. Marronnages. https://sciencespo.hal.science/hal-03881363v1/file/marronnages-2022-art03-ya-han-chuang-et-helene-le-bail-faire-reconnaitre-le-racisme-anti-asiatiques.pdf

CNRS. (s. d.). Minorité modèle [Article PDF]. https://www.migrations-asiatiques-en-france.cnrs.fr/images/PDF/Minorite%20modele%20article%20.pdf

Dans l’imaginaire des agresseurs, ce sont des cibles faciles : Quand le racisme envers les Asiatiques n’est plus passé sous silence. (2024). France 3 Occitanie. https://france3-regions.franceinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/dans-l-imaginaire-des-agresseurs-ce-sont-des-cibles-faciles-quand-le-racisme-envers-les-asiatiques-n-est-plus-passe-sous-silence-3159285.html

Encyclopédie canadienne. (s. d.). Minorité modèle. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/minorite-modele

Les Chinois de France face à un racisme si peu reconnu. (2016, 4 octobre). Le Monde. https://www.lemonde.fr/enquetes/article/2016/10/04/les-chinois-de-france-face-a-un-racisme-si-peu-reconnu_5007859_1653553.html

Minor Asie. (s. d.). https://www.minor.asie

MRAX. (s. d.). Racisme anti-asiatique. https://mrax.be/racisme-antiasiatique/

Nous ne sommes pas des virus : Racisme, harcèlement et discriminations liés au Covid. (2022). Médor, no 26. https://medor.coop/magazines/medor-n26-printemps-2022/nous-ne-sommes-pas-des-virus-racisme-harcelement-covid-discriminiation-asie-stereotype/?full=1

Racisme : Les Chinois de France en première ligne. (2016). Libération. https://www.liberation.fr/apps/2016/09/racisme-chinois/

Radio France. (2023, 27 juin). Zoom Zoom Zen [Émission radio]. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/zoom-zoom-zen/zoom-zoom-zen-du-mardi-27-juin-2023-8614434

Stop Asian Hate France. (s. d.). Compte Instagram. https://www.instagram.com/stopasianhatefr

Unia. (2025). Lexique de la discrimination (PDF). https://www.unia.be/files/Lexique-discrimination-FR-2025-1.pdf

Welcome to the Jungle Media, La journaliste Emilie Tran Nguyen combat le racisme anti-asiatique, (s. d.). [Vidéo YouTube]. https://www.youtube.com/watch?v=khWG7MaWlnE


[1] Pour aller plus loin : Tertrais, H. (2015). Chapitre 4. L’Asie du Sud-Est colonisée, entre exploitation et révolte. L’Asie pacifique au XXe siècle (p. 50-60). Armand Colin. https://shs.cairn.info/l-asie-pacifique-au-xxe-siecle–9782200289751-page-50?lang=fr.

[2] Une compétition à somme nulle est une situation où le gain d’un·e participant·e équivaut exactement à la perte d’un·e autre, sans qu’aucune nouvelle richesse ne soit créée ou détruite.

[3] Goh JX, Douglas T. Perceived Zero-Sum Competition Between Asian Americans and Black Americans. Pers Soc Psychol Bull. 2025 Aug 28:1461672251365061. doi: 10.1177/01461672251365061. Epub ahead of print. PMID: 40876889.

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