Paire de jambes, décolleté, féminisme et islam

Rédigé le 2 juin 2017 par : Anne-Claire Orban

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Une paire de jambes dénudées, surmontée d’une courte jupe noire, chaussée de hauts talons aux semelles rouge, marquée de traits posant les limites de l’acceptable et de l’inacceptable aux prétendus dires de la religion islamique. S’opposant à cette vision d’un islam fondamentalement sexiste, des voix de femmes s’élèvent.

L’affiche décrite ci-dessus est accompagnée du slogan « La liberté ou l’islam ? », slogan emblématique du mouvement islamophobe « femmes contre l’islamisation » [1] auquel s’ajoutent « No Islam. Just Freedom » ou « Islam kills women ». Autant de phrases assassines révélant la profonde méconnaissance de l’hétérogénéité du monde musulman et de ses femmes.  

Des « femmes contre l’islamisation » illustre l’exemple parfait de la banalisation des discours racistes sous couvert d’arguments vus comme « raisonnables ». Il est en effet évident que l’enfermement des femmes dans un rôle spécifique ou l’imposition de style vestimentaire va à l’encontre du mouvement de libération des femmes. Tout comme il est évident que cet enfermement social et l’objectivation du corps de la femme ne sont pas propres à la religion musulmane. Loin de là. Pensons aux plafonds de verre que nous connaissons toutes ou à l’image véhiculée çà et là qu’une femme « libérée » devrait montrer ses jambes (comme le propose les affiches de propagande de la campagne « liberté ou islam »). N’est-ce pas autant de manifestations de sexisme rencontrées quotidiennement par les femmes vivant depuis toujours en Belgique ? Le combat n’est pas entre communautés, il est contre un système d’oppression nommé patriarcat, que nous connaissons toutes.

Stéréotypes sur « la » femme musulmane

Si les êtres humains sont théoriquement égaux en droits, sexisme et racisme font toujours quotidiennement des victimes. Souffrant de ces deux systèmes d’oppression, les femmes provenant d’un « ailleurs » et encore plus si cet « ailleurs » est majoritairement musulman, sont trop souvent considérées comme incapables de s’engager de façon progressiste dans la société.

D’où viennent ces stéréotypes sur l’islam et les femmes musulmanes ? Si le racisme a construit son discours autour de prétendues « races » inférieures et supérieures, les secondes ayant pour mission de « civiliser » les premières, et d’exploiter les richesses des territoires colonisés, cette rhétorique se pare aujourd’hui d’autres termes. Condamnée moralement et rendue désuète scientifiquement, la division de l’humanité en « races » laisse la place à une division en « cultures » et/ou « religions ». Le clivage reste identique. Les stéréotypes aussi. Face à certaines « cultures » moins « civilisées » qui ne respecteraient pas les droits et libertés fondamentales, s’en érigent d’autres, « évoluées » et garantissant les droits et libertés de tous et toutes… Les communautés musulmanes comptent parmi les principales victimes en Belgique. Est reprochée aux personnes de conviction musulmane, ou perçues comme de conviction musulmane, une série de déboires et d’enfreintes aux droits universels de l’être humain : soumission des femmes, maltraitance des animaux, éducation sectaire, … Les femmes musulmanes, ou considérées comme telles, se voient assignées au rôle de femme soumise à leur mari, frère, père et/ou à Dieu. En cela, elles ne pourraient véhiculer aucune valeur féministe d’émancipation.

Sans parler du fait que la société « belge » a encore du chemin sur le terrain féministe, d’éducation, de laïcité, ces discours racistes offrent une vision faussée de la réalité. Parler d’ « une » communauté musulmane et assigner à toutes les personnes de conviction islamique les mêmes comportements cache la diversité des rapports au texte et à la religion au sein de cette population[2]. Et particulièrement les mouvements progressistes, laïques, citoyens, présents dans toutes les communautés d’individus.

Des yeux féministes sur les textes sacrés

Choisir entre la « Liberté ou Islam ? », c’est bien l’inverse justement que proposent les femmes porteuses du mouvement féministe au sein du monde musulman[3]. Des femmes qui entreprennent une relecture des textes sacrés en y incorporant les valeurs d’équité et/ou d’égalité et proposent un regard critique et féministe. Comme d’autres croyantes féministes (catholiques, juives, orthodoxes), ces femmes partent du constat que les textes sacrés ont été écrits et interprétés tout au long de l’histoire par des hommes et pour des hommes. Au jour d’aujourd’hui, elles replacent la femme au cœur des lectures en mettant en avant des personnages historiques féminins et trouvent au cœur des textes sacrés les fondements de l’égalité hommes/femmes et les bases de l’émancipation féminine.

Dans son ethnographie, Ghalyia Djelloul établit trois parcours amenant les femmes à adopter une position critique par rapport à l’islam et à s’engager dans la transformation des rapports de genres au sein de leur communauté tout en restant profondément attachée à la croyance islamique[4].

1-  Vivant plutôt au sein de la communauté, des femmes ayant souffert de discriminations se réapproprient les textes pour lutter contre l’assignation au rôle traditionnel féminin (notamment les tâches domestiques et le maintien à domicile) tout en s’inscrivant dans un féminisme différentialiste, basé sur la complémentarité des sexes.

2-  Plus fortement diplômées et engagée dans la société belge, ces femmes ont une vision plus transnationale et universaliste de la religion. Elles entament un travail de « détraditionnalisation » des lectures des textes sacrée mais restent proches du féminisme différentialiste.

3- Prônant déjà les valeurs féministes avant leur entrée dans l’islam, ces femmes nouvellement pratiquantes s’engagent pour l’égalité de genre au sein de la communauté religieuse.

Leila El Bachiri propose elle aussi une typographie du féminisme musulman en trois catégories auxquelles elle attribue une personnalité spécifique :

1- Amina Wadud comme figure dominante du féminisme islamique[5] dans les années 1990.

2- Malika Hamidi[6] ou Asma Lamrabet[7] comme militantes universitaires dites « glocales »

3- Hajer Missaoui et Aïcha El Hajjami [8]comme juristes théologiennes engagées « locale » et « glocale »[9]

Par cette relecture féministe des textes, ces femmes tentent de se positionner face aux débats de société contemporains comme l’euthanasie, l’avortement, l’homosexualité, le changement de sexe, etc. et de répondre aux arguments conservateurs religieux par des arguments progressistes religieux.

Si un travail de visibilisation extérieure est plus que nécessaire pour mettre en avant les voix progressistes musulmanes et briser l’idée d’un monde musulman homogène et rétrograde comme le proposent « des femmes contre l’islamisation », un travail en interne l’est tout autant afin de sensibiliser les hommes et les femmes de croyance islamique à une nouvelle vision de l’islam.

Un désir de faire route ensemble

Loin de se cantonner au sein du monde islamique, nombre de féministes musulmanes désirent s’engager dans la promotion du droit des femmes et de l’égalité des genres. « Nous voulons vraiment faire société ensemble, avec nos ressemblances et nos différences. Chiche ? » concluent les femmes du collectif « Citoyennes, musulmanes et féministes » en septembre 2016. Loin de l’image d’un islam enfermant et profondément sexiste véhiculé par le collectif de femmes islamophobes cité plus haut, les féministes musulmanes incarnent l’ouverture et le désir de construire ensemble le monde de demain. Avant d’être musulman, afro-descendant, homosexuel ou athée, nous sommes des citoyennes désirant l’égalité de tous et toutes.

Le combat est en réalité bien plus large et touche d’autres domaines que le féminisme[10]. Il s’agit de faire co-exister la croyance et la militance, soit deux façons d’être au monde longtemps vues comme antagonistes. Ici se trouve le nouveau défi de la lutte sociale (et des partis de gauche) : faire corps avec des individus désirant le changement, mais porteurs d’une ou l’autre religion… religions contre lesquelles la lutte s’est opposée des décennies durant ! Le combat est plus large donc car il demande de réconcilier esprit critique, militance et croyance. Il demande de réconcilier éthique individuelle (je crois pour moi) et progressisme social (j’agis pour le bien de toutes et tous) afin d’inclure dans le mouvement social des femmes comme les féministes musulmanes.

 

 

 


[2] Voir par exemple la classification de Younous Lamghari dans son étude sur la gestion du religieux à la STIB : http://www.revue-democratie.be/index.php/societe/egalite-discrimination/301-stib-lentreprise-a-lepreuve-du-fait-religieux

[3] Pour des détails quant à ce mouvement, voir les ethnographies de Ghaliya Djelloul ou Leila El Bachiri et les travaux de Malika Hamidi ou Asma Lamrabet.

[4] Ghaliya Djelloul, Parcours de féministes musulmanes belges. De l’engagement dans l’islam au droits des femmes, Academia L’Harmattan, Islams en changement, 2014.

[5] Qur’an and Woman : Rereading the Sacred Text from a Woman’s Perspective, paru en 1999

[6] Dernier ouvrage : Malika Hamidi, Islam et féminisme, éditions de l’Aube, 2017

[8] Notamment Aïcha El Hajjami, « L’option de l’ijtihad dans la réforme de la condition juridique de la femme au Maroc » https://www.cairn.info/femmes-entre-violences-et-strategies-de-liberte--2912946891-page-81.htm

[9] Leila El Bachiri, Les féministes de l’islam. De l’engagement religieux au féminisme islamique, Université des femmes, Pensées Féministes, 2011

[10] Je pense ici aux débats sur le cours de philosophie et citoyenneté où les professeurs de religion seraient vus comme incapables de tout esprit critique, submergés par une foi aveuglante…  

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