Un prêtre africain en Belgique

Rédigé le 8 juillet 2019 par : Daniel Nahimana

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Le gros oiseau métallique s’arracha au sol comme pour fuir la chaleur torride de cet après-midi tropical. Après un battement d’aile nonchalant, le Boeing leva le nez vers le nord. Jérôme, bien calé dans son siège, sortit nerveusement son billet : Vol KQ 466. Départ de Bujumbura 17h55. Transit à Nairobi. Arrivée à Bruxelles 15h40.

Jérôme est un prêtre africain. Son évêque l’envoie en Belgique selon un accord conclu avec l’évêque de Namur. Prêtre « fidei donum », il est prêté par son diocèse pour une période de trois ans renouvelable.

La formule date de Pie XII (1957). Elle est aujourd’hui en vogue. Les chiffres dont nous disposons pour le diocèse de Namur remontent à l’an 2000. A l’époque, les prêtres africains étaient plutôt rares. On n’en comptait que 12 sur un total de 646 ministres du culte en action ou retraités. 18 ans plus tard, le clergé namurois est passé de 634 à 332 prêtres, une chute de 47%.

Pour répondre à l’appel pressant des centaines de clochers privés de curé, les responsables diocésains ont volontiers accueilli 112 prêtres en provenance de l’Afrique subsaharienne. L’apport ne couvre même pas la moitié des postes à pourvoir.

Jérôme arrive dans ce paysage bouleversé. Faut-il remplacer le clergé belge par des étrangers ? Quelle place accorder aux prêtres venant d’autres Eglises ? Jérôme ne s’imagine pas ce qui l’attend !

L’accueil à l’évêché a été très chaleureux. En quelques jours, le nouveau venu est installé dans son presbytère, inscrit en sa commune de résidence et introduit dans sa charge pastorale.

C’est l’avantage de l’universalité de l’Eglise. On est différent mais pas étranger. En plus, les prêtres échappent aux tracasseries administratives qui empoisonnent la vie des demandeurs d’asile. Ils sont désirés, attendus et bien accueillis.

Certains lui diront : « Ta présence chez nous, c’est le retour normal des choses. Au siècle dernier, nos prêtres sont partis évangéliser l’Afrique. Maintenant, c’est au tour de l’Afrique de nous évangéliser ! »

D’autres trouvent bizarre qu’il ait un accent. « Il ne parle pas bien notre langue. On ne comprend ce qu’il dit ». En fait, ce n’est pas tant une question de langue qu’une question de style. Un ami nous avait prévenu : « Dans tes homélies, évite des mots comme ‘ vous devez ‘, ‘ il faut ‘, ‘ chez nous, c’était comme ceci… ‘. Les gens ont horreur des comparaisons et des conclusions moralisantes.

Universalité de l’Eglise, avons-nous dit ? Oui, mais ! Chaque Eglise locale a ses spécificités qu’il convient de respecter.

Le prêtre « fidei donum » ne vient pas annoncer des vérités toutes faites comme des énoncés mathématiques applicables en tout et partout. L’évangile a cette capacité divine de s’incarner. « Et le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14). Cette capacité de toucher le cœur de chaque personne, de chaque peuple, dans son histoire, dans sa culture et dans son projet de vie.

Le missionnaire ne peut se contenter de proposer ce qui se fait dans sa région d’origine. Il va à la rencontre de chaque personne en son temps et en son milieu. En appréciant son génie propre. Comme le faisait Jésus. Le Galiléen reconnaissait volontiers que les gens qu’il rencontrait avaient déjà la foi. « Va, ta foi t’a sauvé » ! (Mc 10, 52 / Lc 17,19 / Lc 18, 42).

Ceci explique l’attitude respectueuse du prêtre « fidei donum ». Alors que le missionnaire du siècle passé se présentait aux populations africaines comme le héraut de Dieu dont le discours ne pouvait être mis en doute, le prêtre « fidei donum » propose la foi. En terre de mission, les non-croyants étaient mis au ban de la société. On les appelait païens (du latin pagani, paysans). Les prêtres qui viennent d’Afrique risquent de reproduire, en toute bonne conscience, l’image d’un « prédicateur qui a autorité » comme cela se vit chez eux.

Pour les prémunir contre cette tendance rigoriste, l’évêché a fini par organiser des journées de formation à leur intention. Ce qui est un excellent moyen de les introduire sur le terrain pastoral et de les ouvrir au discernement des priorités pastorales de l’Eglise qui les a accueillis.

Jérôme éprouvera une autre difficulté inattendue. Là-bas, en Afrique, le prêtre a de la considération. Son Eglise est puissante ! On va vers lui comme on va à la cour du roi. Il est entouré, choyé, adoré. Ici, sans encore tomber dans l’anonymat, l’homme d’Eglise est le représentant d’une institution mal aimée ou tout franchement dénuée de tout intérêt pour le citoyen lambda. On se déclare chrétien non pratiquant, en d’autres mots, volontairement distant de tout ce qui fait « communauté de foi ».

Le sentiment d’isolement peut envahir son cœur s’il n’a pas d’autres ressources d’intégration et s’il ne va pas lui-même à la rencontre des gens.

Surgit alors la question du bien-fondé de la présence du prêtre africain dans cette Europe du XXIème siècle.

Nous avons vu que le nombre de prêtres a fortement chuté entre 2000 et 2018. La tendance persiste. L’appel aux prêtres africains ou polonais n’est pas prêt de s’arrêter. Mais jusqu’où ira-t-on ? Certains se posent la question et avec raison. Chaque société a un seuil de tolérance qu’il ne faut pas franchir. L’an dernier Namur alignait 112 prêtres immigrés, jeunes pour la plupart et diplômés des meilleures universités d’Europe, face à 332 prêtres autochtones y compris les retraités. Le tableau peut susciter des inquiétudes. Dans quelle mesure l’Eglise locale pourra-t-elle faire face sereinement aux défis du moment ? Si les autorités ecclésiastiques ne font que recruter des missionnaires au lieu d’investir dans les forces locales, quel dynamisme aura-t-elle encore cette Eglise ? Si l’on ne s’engage pas à inventer des voies nouvelles d’évangélisation propres à la société, on ne fera qu’affaiblir l’Eglise. Des résistances face à l’entrée massive des prêtres africains s’expriment à mots couverts et pourraient un jour prendre le dessus.

A notre avis, il est temps de plaider pour un équilibre entre l’apport missionnaire et le génie propre au territoire belge. Le problème, ce n’est pas tant le manque de prêtres que le manque de foi en l’avenir. A ce propos, le Père Dominique Colin vient de publier un livre au titre remarquable : « Le christianisme n’existe pas encore » (Forum Salvator). Comme pour rappeler que le christianisme a encore à déployer ses charismes pour accomplir sa mission : porter au monde la Bonne Nouvelle !

Loin de cette noble préoccupation pastorale, revenons aux petits soucis terre à terre. Jérôme a dû s’habituer à certains regards méfiants qui imaginent qu’il n’est venu que pour se faire de l’argent. C’est un préjugé bien ancré dans la société d’autant plus que certains confrères de couleur ne se sont pas gênés quand il s’agissait de quémander des subsides. En plus, le débat sur l’immigration prête à confusion.

Le prêtre africain croise souvent des expatriés qui séjournent en Belgique comme réfugiés politiques ou économiques. Et on a vite vu en lui cet homme qui fuit la misère et à qui l’on peut objecter : « Va-t-en, voyant, rentre chez toi. Là-bas, tu peux gagner ton pain et prophétiser » (Cfr Amos 7,14).

Mais qu’à cela ne tienne ! Tant que l’Eglise chrétienne restera « catholique », ouverte à toutes les nations, des missionnaires sillonneront le monde. Et l’on a besoin de cette collaboration, surtout à l’heure de la mondialisation, car « nul n’est prophète en son pays » (Cfr Mt 13, 57).

Jérôme ne sera pas choqué quand il entendra qu’on le soupçonne de détourner les fonds de sa paroisse. Des mauvais gérants, on en trouve partout et à toutes les époques de l’histoire de l’Eglise. Heureusement, la plupart des prêtres africains s’en sortent plutôt bien. A part quelques exceptions qui ont fait la une des journaux.

Un autre préjugé auquel on n’arrivera pas à tordre le cou facilement est celui des africains amateurs du beau sexe. Ce cliché malveillant ne devrait pas énerver outre mesure. Un professeur de morale disait que le législateur Moïse qui a promulgué des lois en rapport avec le sexe était un observateur attentif de la nature humaine. Que l’on soit de l’Orient ou de l’Occident, du Midi comme du Septentrion, notre nature ne se démentit point. Nous connaissons tous les mêmes tentations et avons à fournir les mêmes efforts pour parvenir à la maturité affective.

Un dernier conseil à notre missionnaire des temps modernes. Un évêque me disait qu’un prêtre africain qui réussit à entrer en syntonie avec ses paroissiens est une chance pour l’Eglise. Il peut alors montrer toute sa richesse spirituelle, sa bonne humeur, son enthousiasme, la chaleur du cœur ! Toutes des qualités qu’on retrouve ordinairement dans les jeunes Eglises. Les néo-convertis rivalisent par la diversité de leurs vocations et par la générosité dans le service.

Puisse Jérôme garder cette fraîcheur d’un homme qui, comme saint Augustin, a demandé   lui-même le baptême et sait apprécier le don reçu de Dieu.

« De sa plénitude en effet, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce » (Jn 1, 16).

Lorsque, à la fin de sa mission en Belgique ou à l’occasion d’une visite en famille, Jérôme reprendra l’avion, il apportera un plus à son Eglise. Il aura appris comment être témoin de l’évangile dans une société sécularisée, comment passer d’une Eglise puissante vers une Eglise humble et servante, comment sortir d’une pastorale de conservation vers une pastorale « d’engendrement ».

La collaboration entre les Eglises à travers le réseau des prêtres fidei donum est en fin de compte une formule « gagnant-gagnant ». Chaque communauté y trouve son intérêt, que ce soit celle qui accueille le prêtre ou celle qui l’a envoyé. Nous dirions même que cette collaboration est appelée à se développer davantage. L’universalité de l’Eglise et le processus de la mondialisation en cours nous poussent à sortir de nos frontières pour ouvrir nos préoccupations pastorales à la dimension du monde.

Doyen de Barvaux, l'abbé Daniel Nahimana est originaire de Bujumbura au Burundi. Des massacres à caractère ethnique le poussent à quitter son pays natal. Sa vie d'exilé commence alors au Congo (RDC). Il est ordonné prêtre au Rwanda en 1978. Il étudiera ensuite à l'université salésienne de Rome pour une spécialisation en lettres classiques et chrétiennes.

 

 

 

 

 

 

    

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