Reconstruire la paix après la guerre

Rédigé le 18 mars 2014 par : Nicolas Bossut

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Aussi longue qu’elle puisse paraître, la guerre n’est jamais qu’un épisode dans l’histoire. Elle n’a pas pour vocation d’être éternelle. Cependant, l’arrêt des hostilités ne signifie pas pour autant sa fin. Le retour à la paix est un processus qui doit se construire dans le temps. Si la communauté internationale s’est déjà depuis longtemps dotée d’outils pour éviter de nouvelles guerres ou pour encadrer les conditions d’exercice de la violence pendant celles-ci, elle s’est longtemps tue sur les règles qui devaient encadrer le retour à la paix.

Quelle paix ?

La paix se caractérise par l'entente cordiale de tous les individus qui composent une société. Elle n'implique pas l'absence de conflit, mais une résolution calme et mesurée de toute difficulté conséquente à la vie en communauté, principalement par le dialogue.

La paix, c’est donc bien plus que l’absence de la guerre. C’est un ensemble de conditions politiques, sociales et économiques qui participent à ce vivre ensemble dont le mode de résolution des conflits extrêmement violent qu’est la guerre est exclu. Spinoza disait à son propos que la paix était une vertu, un état d’esprit, une volonté de bienveillance, de confiance et de justice.

Construire la paix au sortir de la guerre n’est pas chose aisée. Les acteurs en présence manquent souvent de cadre auquel se référer. On peut distinguer plusieurs règles issues de deux sources normatives bien distinctes : des règles issues de la morale et des règles issues du droit, entendu comme le droit international ou la coutume. Ces deux sources normatives sont bien entendu liées, l’une suppléant à l’autre si nécessaire. En l’occurrence, les règles légales étant largement insuffisantes, il est fondamental d’avoir recours à la morale pour évaluer quelle conduite il s’agit de suivre.

Quelques repères

Brian Orend[1] propose 5 règles auxquelles devraient se référer les différentes parties prenantes à un conflit :

- Proportionnalité : La fin de la guerre doit déboucher sur un accord qui soit acceptable par toutes les parties au conflit. Les termes de cet accord peuvent comprendre des réparations à l’égard des crimes commis, des mesures rétroactives ou tout ce qui peut apparaître comme nécessaire pour éviter que celui-ci puisse être perçu comme inégal. On ne pourrait en effet construire la paix durable sur un accord inique ou perçu comme tel.

Ainsi, la signature le 28 juin 1919 du Traité de Versailles fut perçue par une grande majorité de l’opinion publique allemande comme humiliante et ses dispositions comme illégitimes. L’Allemagne et ses alliés s’y voyaient contraints de reconnaître leurs seules responsabilités dans le déclenchement de la guerre, de s’engager à des concessions territoriales, de procéder à un désarmement massif et de payer des réparations exorbitantes. Le Traité de Versailles, notamment de par son manque de proportionnalité, fut un échec dans le sens où il n’instaura qu’une paix instable et non durable.

- Respect des droits fondamentaux des individus : Les processus de paix doivent assurer le respect des droits de chaque individu, indépendamment de son appartenance à un quelconque groupe, y compris armé. Les droits de l’homme sont universels et inaliénables. Être lié à une des parties prenantes du conflit de par sa race, sa couleur, son sexe, sa langue, sa religion, ses opinions politiques, son origine nationale ou sociale, sa fortune ou sa naissance ne peut en aucun cas justifier une aliénation de ces droits sous prétexte de la défaite ou d’une culpabilité collective. Le non-respect de ces droits fondamentaux des individus prépare bien souvent le lit d’une prochaine guerre.

Ainsi, le sort réservé à la fois aux civils et aux belligérants entre les différentes guerres civiles qu’a connues la République démocratique du Congo est indubitablement un facteur essentiel de déstabilisation du pays. Un meilleur respect des droits fondamentaux pourrait être un élément-clé pour assurer une paix durable dans la Région des Grands Lacs.

- Principe de discrimination : Tout comme pour le droit de la guerre, il paraît essentiel d’établir une distinction nette entre combattants et non-combattants. Il est tout à fait normal que les civils, qui ne participent pas aux décisions et qui ne les exécutent pas non plus, ne puissent faire l’objet d’aucune mesure d’ordre punitif. Ce principe exclut bien entendu les mesures individuelles mais également les mesures collectives comme les sanctions économiques dont pourrait souffrir n’importe quel individu.

Ainsi, si des combattants peuvent être maintenus prisonniers dans un temps raisonnable qui suit la fin des hostilités, l'armée qui occupe un territoire où vivent des civils doit assurer leur protection, n'a pas le droit de les déporter et n'a pas le droit d'implanter des colons civils dans le territoire concerné. En ce sens, les pratiques d’Israël dans les Territoires palestiniens sont des obstacles évidents à toute paix.

- Juste peine : Si une peine, si tant est qu’elle puisse être pertinente, est imposée à ceux reconnus comme coupables d’un crime, cette peine ne peut bien entendu pas dépasser la gravité des crimes commis. Ces peines ne peuvent bien entendu être imposées que dans le cadre d’un procès où doit être évaluée la responsabilité de chacun en fonction de son grade et de la hiérarchie des combattants. On ne peut aucunement distinguer agresseur et agressé si tous deux ont commis des crimes contre la paix. La victoire ou la légitime défense ne peut en aucun cas justifier des crimes quelconques et ne peut non plus assurer l’impunité des combattants.

Ainsi, les différents procès organisés dans le cadre du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie sont à ce titre exemplaires dans le sens où des criminels des différentes parties prenantes au conflit ont été inculpés et des peines justes leur ont été infligées. Cette expérience est un pas en avant par rapport au procès de Nuremberg où seuls les perdants avaient été inculpés, en ce compris pour des crimes qu’avaient également commis les vainqueurs.

- Réhabilitation : Si un Etat a mis en danger la paix en raison de la nature même de son régime, de son caractère dictatorial, violent, répressif, voire expansionniste, un retour à la paix ne peut s’envisager sans l’instauration d’un régime plus apte à instaurer un climat de confiance. Une réforme institutionnelle est dès lors nécessaire. Il ne s’agit bien entendu pas de créer une république de pacotille. Les institutions d’un Etat doivent être le résultat d’un compromis politique entre tous ceux qui y participent. Elles ne peuvent être la copie conforme d’un modèle extérieur, elles doivent refléter la nature politique réelle du pays.

C’est ainsi que l’Allemagne de l’Ouest a pu vivre une réforme radicale de son système politique au sortir de la Seconde guerre mondiale. Même si cette réforme était encadrée par des exigences posées par les Alliés, elle fut négociée par des représentants des différents länders, adoptée par un Conseil parlementaire puis par référendum dans chacun des länders.

Quelles perspectives ?

On le voit, ces différentes règles se contentent de donner des orientations à ceux qui veulent rétablir la paix. Elles permettent de fixer un cadre mais elles ne sont en aucun cas contraignantes.

La communauté internationale, dans ses efforts pour stabiliser la paix dans les différentes régions du monde, a pris acte de cette absence de cadre contraignant et a tenté, tant bien que mal d’y remédier. C’est dans ce contexte qu’est née la Cour pénale internationale dans la suite des expériences de Nuremberg mais aussi des tribunaux spéciaux pour l’ex-Yougoslavie, pour le Rwanda ou de tribunaux nationaux internationalisés comme au Cambodge, au Sierra Leone, en Irak ou au Liban.

La justice pénale internationale intervient principalement dans le cadre du critère de la juste peine. Elle est un maillon essentiel dans le processus de reconstruction de la paix, un maillon encore fragile car non reconnu par l’ensemble des Etats mais aussi car en recherche de marques. La justice pénale internationale se construit encore, elle se cherche. Elle reste cependant un espoir de justice pour tous ceux qui ont connu les affres de la guerre.

 


[1] OREND B., The morality of War, New York, 1971 cité par Nadeau C., Saada J., Guerre juste, guerre injuste : histoire, théories et critiques, Paris, 2009 

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