Racisme et sexisme : un même mécanisme pour des réactions inégales ?

Rédigé le 30 avril 2020 par : Estelle Namur

Blanchité Privilèges

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Depuis quelques mois, BePax travaille sur un concept qu’on peut presque nommer d’impensée : la blanchité. En effet, cette norme structure les rapports sociaux des personnes blanches sans même qu’elles ne s’en rendent compte, ce qui est en soi… un privilège.

Lors des formations, aborder ce concept peut provoquer de vives émotions de la part des personnes blanches : frustration, colère, déni… Pour pouvoir appréhender la blanchité, il faut souvent passer par un rapprochement avec des mécanismes sexistes : pour comprendre la charge raciale, il faut faire le parallèle avec la charge mentale, pour comprendre qu’il est important de laisser la parole aux personnes concernées, il faut faire un parallèle avec l’absurdité d’un débat sur le féminisme mené par des hommes – chose qui malgré tout bon sens se produit toujours, comme lors du débat sur CNews le 20 avril 2020 qui traitait du féminisme au temps du coronavirus et qui se composait de quatre hommes et une présentatrice -. Alors, les mécanismes de sexisme et de racisme sont-ils si semblables ? Les concepts dénonçant la domination masculine et blanche se multiplient : privilèges masculins et blancs, charge mentale et raciale, plafond et mur de verre… Autant de concepts qui peuvent se transposer tant au sexisme qu’au racisme.

Peggy McIntosh est la première a théorisé le concept de privilège fin des années 1980. Les privilèges sont des avantages attribués à certains groupes sociaux de façon innée. Par exemple, les hommes peuvent sortir sans avoir peur du harcèlement de rue, ne pas s’épiler sans être jugés ou encore voir des leaders politiques ou religieux majoritairement de leur genre[1]. Les personnes blanches n’ont pas peur de se faire refuser un logement ou un travail à cause de leur couleur de peau, peuvent allumer la télévision et voir leur race largement représentée, ou encore on ne leur demande pas de parler aux noms de celles et ceux de leur race[2]. Ce concept repousse donc l’idée que le racisme ou le sexisme serait uniquement des actes individuels, mais bien un système qui privilégie un groupe social et s’inscrit dans une structure sociale. Il est généralement appris que le racisme, comme le sexisme, est un désavantage pour certain.e.s, mais il est moins admis que, logiquement, il est donc un avantage pour d’autres. La notion de privilège remet en place le rôle de chaque individu dans un système de domination. Ils peuvent être utilisés pour parler de tout système de domination, on parle de privilège hétéro, cis, de minceur… Le but n’est pas d’être plus complaisant.e dans une position de domination mais bien de pouvoir prendre conscience du système de domination auquel on appartient. Peggy McInstosh parle de « déballer son sac à dos invisible», déballer toutes ces « cartes jokers » que l’on sort en société sans même s’en rendre compte.

Nous pouvons donc faire le lien avec la mécanique raciste de Pierre Tevenian[3] qui parle de 3 façons de vivre sa condition blanche : l’adhésion qui se complait dans cette situation, la dénégation qui s’apparente au colorblind - prétendre qu’on ne voit pas les couleurs - et finalement la conscientisation. Le concept de privilège permet d’une part de passer au-dessus du déni de la condition blanche – il en est de même pour la condition d’homme -, mais d’autre part d’avoir conscience de son propre rôle dans le système d’oppression si on arrive au mode de vie que Pierre Tevenian appelle la traitrise : soutenir un système non-oppressif, qui induit de renoncer à certains privilèges. Après avoir déballer son sac à dos de privilèges invisibles, et donc d’avoir pris conscience de son rôle dans un système de domination, des oppressions vécues par les personnes concernées, il convient de devenir ce qu’on appelle un allié : une personne consciente de son statut, qui utilisera sa voix pour élever celles des autres, sans prendre leur parole pour autant. En effet, la place de l’allié est inconfortable et non-acquise, elle nécessite une remise en question constante de tous les acquis. Les privilèges ne sont au final que des droits fondamentaux dont chacun.e devrait avoir l’opportunité de jouir.

Peggy McIntosh parlait du privilège blanc ainsi que du masculin dès son premier article. Nous pouvons donc d’ores et déjà voir que ces deux systèmes partagent des concepts transposables. Nous pouvons également parler du plafond et des murs verres. Ceux-ci limitent l’accès aux hautes fonctions de certaines personnes – plus précisément dans notre cas, aux femmes et aux personnes non-blanches - et les cantonnent dans certains secteurs d’activités. En effet, les murs de verre se caractérisent par une sur-représentation dans certains secteurs, dans les métiers du care pour les femmes, et dans les secteurs primaires et secondaires pour les personnes racisées[4] - et donc une sous-représentation dans le tertiaire et quartenaire comme les autorités publiques-. Nous pouvons relever une nouvelle caractéristique commune, ces similitudes nous appellent à renoncer au mythe de la méritocratie ainsi qu’à un total libre arbitre. En effet, ces concepts nous montrent un impact très concret sur la vie des personnes concernées qui ne résultent pas de simples actes individuels mais bien d’un système global. Ces systèmes impliquent également une charge aux personnes oppressées. Ce qu’on appelle la charge mentale pour les femmes, c’est-à-dire de devoir penser à « tout » : les tâches ménagères, les courses, l’éducation des enfants, la contraception… toutes ces charges que l’on relaye naturellement aux femmes. Pour les personnes racisées, il s’agit de la charge raciale : la charge d’être tout le temps attentif à ce que l’on porte, ce que l’on dit, à sa manière d’être afin de ne pas être jugé.e selon sa couleur de peau[5]. Il s’agit d’une pression constante afin de ne pas subir ce qu’on appelle le racisme ordinaire – des micro-agressions quotidiennes nourries par les préjugés. Il est intéressant de rappeler que le sexisme ordinaire existe également sous le même principe.

Nous avons donc pu établir des similitudes, des concepts partagés entre ces deux systèmes d’oppressions. Peut-on pour autant dire qu’il s’agit de luttes communes ? Il est nécessaire de rappeler que ce soit les luttes féministes ou les raciales, elles n’ont pas toujours été – ne sont pas toujours – inclusives. Le féminisme de la première vague était majoritairement blanc et ne prenait pas compte du vécu des femmes de couleurs. En parallèle, les luttes raciales n’ont pas toujours pris en compte le vécu des femmes de couleurs non plus. Il est donc important de souligner l’intersection des oppressions subies par les femmes racisées : être une femme et être racisée. Elles subissent donc différentes sortes d’oppressions, ainsi que des discriminations spécifiques à leur condition. Évidemment, des mouvements qui répondent à leur vécu spécifique se sont développés, comme l’afroféminisme. Il paraitrait néanmoins inconvenant pour une femme blanche de se dire afroféministe puisqu’elle ne vit pas ces discriminations spécifiques. Il y a donc une nouvelle sorte de féminisme qui a émergé : le féminisme intersectionnel[6]. Ce féminisme qui a mis en lumière dans un premier temps les discriminations des femmes noires et leur combat, prône maintenant la reconnaissance de toutes formes d’intersections : femme et lesbienne, femme et trans, femme et musulmane… Cette branche du féminisme dénonce les discriminations spécifiques d’une part et incite à se remettre en question face à ces discriminations qu’on ne vit pas, et donc de ses privilèges d’une autre part.

Nous avons donc abordé des similitudes au sexisme et au racisme, pourtant en formations, ces deux systèmes de dominations et leurs implications dans les rapports sociaux ne reçoivent pas le même accueil. Même s’il reste un long chemin, nous pouvons dire que le mouvement #metoo à durablement impacté notre société et nos rapports sociaux en mettant en lumière le harcèlement sexuel, qu’en est-il de l’impact des mouvements anti-racistes ? Comme Noire n’est pas mon métier ou encore Black Lives Matter, est-ce que la population serait plus hermétique face à ces messages ? Puisque l’impact de la condition blanche dans nos rapports sociaux reste majoritairement impensé, un certain déni collectif ne fait que se renforcer. Il est donc impératif que chacun puisse se rendre compte de ses privilèges afin de pouvoir avancer dans la lutte anti-raciste, et de tout système de domination.

 


[1] Male Privilege Checklist | Project Humanities. (s. d.). Consulté le 28 avril 2020.

[2] Mc Intosh, P. (1989). White Privilege: Unpacking the Invisible Knapsack. Consulté le 28 août 2020.

[3] Tevenian, P. (2008, janvier 2). La question blanche . Consulté le 28 avril 2020.

[4] Discrimination en raison de l’origine ethnique - Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale. (s. d.). Consulté le 28 avril 2020.

[5]Dibondo, D. (2019, mai 14). Qu’est-ce que la charge raciale, qui pèse sur les personnes non-blanches ? Consulté le 28 avril 2020.

[6] Le féminisme intersectionnel, c’est quoi ? (2015, novembre 4). Consulté le 28 avril 2020.

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