Mémoire des parents, histoire des enfants : Vivre dans la diaspora rwandaise en Belgique et transmettre une histoire apaisée

Rédigé le 16 décembre 2019 par : Groupe de dialogue inter-rwandais

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« Ma petite-fille a six ans. Je l’ai récemment entendue demander à son frère, 10 ans, ce qu’était le génocide. Son frère lui répond que ce sont les Hutu qui ont tué les Tutsi. Elle demande alors : « c’est quoi les Hutu et les Tutsi ? ». Son frère lui répond : « demande à maman ». Sa maman, ma belle-fille, est Tutsi. Son papa, mon fils, est Hutu. Et ils ne savent pas quoi répondre à cette petite, ni surtout comment lui répondre. Mais pendant ce temps, dans la tête de ma petite-fille, ça travaille ».

Voici le témoignage d’un membre du groupe Dialogue inter-Rwanda de BePax, lorsque nous avons discuté pour la première fois de l’opportunité de travailler sur la question de la transmission de la mémoire liée au génocide des Tutsi. S’en sont suivis de nombreux discussions, anecdotes et questionnements. S’il est évident que la mémoire du génocide continue d’impacter au quotidien la vie de celles et ceux qui ont directement vécu ce drame, qu’en est-il de leurs enfants ? De nos enfants ? Qu’est-ce que nous leur transmettons de cette histoire ?

Les « parents » et les « enfants »

C’est ainsi que nous avons souhaité mettre en relation la parole de deux générations différentes. Une première génération, celle des « parents », constituée de personnes ayant vécu directement le génocide. Et une seconde génération, les « enfants », des jeunes de moins de trente ans. Ces différents échanges et débats collectifs nous ont permis de mettre plusieurs constats en évidence.

Tout d’abord, il y a clairement un problème de transmissionde la mémoire. Ainsi, les jeunes ont expliqué ne pas discuter de l’histoire du génocide avec leurs parents (sauf lors de circonstances bien particulières). Bien sûr, ils peuvent entendre leurs parents en discuter lorsque la situation se présente mais il n’y a pas d’échange et de communication clairs.

Les parents, de leur côté, déclarent presque tous ne pas discuter concrètement de cette histoire avec leurs enfants et mettent en avant plusieurs raisons pour expliquer ce constat : pour les protéger, car les enfants ne comprendraient pas, parce qu’il est plus facile d’en parler avec d’autres personnes qui l’ont vécu, car ils ne savent pas comment raconter l’indicible, car il y a de la honte, car il importe de ne pas raviver les souffrances ou encore parce qu’ils ont l’impression que les enfants sont davantage belges que rwandais.

Pourtant, les enfants expriment majoritairement le désir et le besoin d’en savoir plus. Il y a un besoin d’obtenir des informations pour comprendre leur histoire, pour pouvoir se construire, pour en savoir davantage sur le vécu de leurs parents et sur leur histoire familiale, pour avoir des éléments d’information et de compréhension lorsque ce sujet est abordé dans leurs cercles d’amis ou encore pour pouvoir être armé pour savoir en discuter avec leurs propres enfants, à l’avenir.

Par ailleurs, les jeunes insistent : la transmission se fait, qu’on le veuille ou non. Ils expliquent être attentifs à tous les non-dits et les silences, les attitudes et les réflexes, les intonations et termes utilisés. Ces différents éléments, les jeunes les observent, les reçoivent et doivent les interpréter, leur donner du sens. Ils souhaitent une histoire vraie, puisée à la source en lieu et place d’une histoire supposée.

Ensuite, cette mémoire et ce passé impactent toujours la vie aujourd’hui. Tant les parents que les enfants déclarent que ce passé, cette histoire, cette mémoire continuent d’impacter leur vie au quotidien. Si ce constat est évident pour les parents, les jeunes l’expriment souvent de manière plus indirecte, avec cette idée que de toute façon, le passé joue toujours un rôle dans le présent, qu’un jour ou l’autre, ce passé les rattrape(ra).

Plusieurs d’entre eux ont également mis en avant le fait que même s’ils souhaitaient oublier ce passé ou en tout cas ne plus le laisser impacter leur vie, ils n’en avaient pas la possibilité. Ainsi, le fait de vivre dans une société dans laquelle ils sont avant tout perçus comme rwandais ou d’origine rwandaise les renvoie fréquemment à cette histoire.

Par ailleurs, nous avons également observé chez certains jeunes une certaine réserve concernant le fait d’intervenir et de parler de cette histoire. Il y a ainsi ce constat selon lequel il faut être attentif à savoir avec quelles personnes on se trouve et faire attention à ce que l’on va dire pour ne pas mettre les pieds dans le plat, pour ne pas blesser qui que ce soit. Le conflit de mémoire autour du génocide des Tutsi a clairement un impact sur la manière dont les jeunes personnes impliquées dans le projet abordent cette question et sur leur vivre-ensemble.

En outre, c’est souvent une histoire qui est racontée par d’autres. Il a également été constaté que l’histoire du génocide est racontée par d’autres, étrangers pour la plupart, et qui ne sont pas directement concernés. Des experts, des politiciens, des journalistes, etc. racontent, interprètent, expliquent à leur manière le génocide.

C’est l’ensemble de la société qui doit se responsabiliser

Le génocide et la mémoire de ce drame restent quelque chose de très méconnu dans l’ensemble de la population. Il y a par ailleurs une impression très répandue que cette histoire et cette mémoire ne concernent que les autres, que les Rwandais. Une mémoire et une histoire qui ne nous concernent pas, nous les Belges. Pourtant, nous souhaitons vivement attirer l’attention sur le fait qu’au contraire, c’est une histoire et une mémoire qui concernent l’ensemble de la société. Et il importe que chacun, à commencer par les personnes qui encadrent des jeunes, se responsabilise à cet égard.

Nous aimerions insister sur trois points principaux :

  • Cela s’inscrit dans une histoire qui concerne la Belgique

Pour parler du génocide des Tutsi, il faut inscrire ce drame dans l’histoire du Rwanda. Et à cet égard, il importe également de prendre en compte la manière dont cette histoire s’inscrit aussi dans l’histoire coloniale belge. Cela nécessite de s’intéresser notamment à la manière dont les autorités belges ont participé à structurer et attiser les tensions inter-ethniques durant la présence coloniale belge sur le territoire du Ruanda-Urundi. Or, ce passé colonial en général, le rôle joué par les autorités belges dans les tensions ethniques au Rwanda en particulier, sont encore trop méconnus.

En même temps, il faut être attentif. La question n’est pas de se culpabiliser à outrance : reconnaître la responsabilité mais surtout voir comment éviter que les conflits jadis créés ne se rejouent dans notre pays, quartier ou même dans notre école.

  • Cela s’inscrit dans un contexte sociétal particulier

Lors des rencontres avec les jeunes générations, plusieurs personnes ont insisté sur un aspect important : même si elles souhaitent oublier et laisser ce passé derrière elles,  elles n’en ont pas la possibilité. De fait, à tout moment, elles peuvent y être renvoyées. Par exemple, il est très fréquent que leur soit posée la question « Tu viens d’où ? ». La réponse donnée à cette question entraine d’autres questions, comme par exemple es-tu Hutu ou Tutsi ?, tant le Rwanda est encore intimement lié au génocide dans la mémoire collective en Belgique. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’aborder cette thématique, que ce soit dans les classes, avec des groupes de jeunes ou même dans le cadre de relations amicales, il importe d’être attentif et conscient que les mots utilisés ne sont pas anodins mais peuvent être violents.

  • Cela s’inscrit plus généralement dans un contexte dans lequel les conflits mémoriels occupent une place très importante

Aujourd’hui, la société belge est traversée par plusieurs conflits de mémoire. L’association Métis de Belgique a porté devant le parlement un combat pour la reconnaissance des violences subies par les enfants métis durant la colonisation. Des débats et tensions existent concernant la reconnaissance du génocide arménien tandis que de nombreuses associations militent pour mettre la question du passé colonial belge et de la restitution des œuvres volées durant la colonisation à l’agenda politique.

Nous n’avons pas le choix !

La démarche qui est la nôtre est humble et nous n’avons pas la prétention d’apporter des réponses à ces questions – nous ne les avons pas et les cherchons également –, mais nous souhaitons nous interroger à ce sujet. Et avant tout permettre de susciter le dialogue et réfléchir, ensemble, à la manière de transmettre une mémoire apaisée. À une façon d’arrêter de transmettre la haine. Un documentaire vidéo axé sur ces échanges fera au début de l’année 2020 l’objet d’une projection et d’un débat.

Si nous souhaitons aborder ces questions, ce n’est pas tant que nous en ayons envie : nous n’avons pas le choix !

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