Les Versets égalitaires : Islam et féminisme

Rédigé le 28 juin 2012 par : Amandine Kech

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Parmi les militantes de la cause féministe, on trouve de plus en plus de musulmanes qui puisent la justification de leurs revendications dans leur foi. Cette démarche va à contre-courant de l’image selon laquelle l’islam enfermerait la femme dans un rôle d’épouse soumise à son mari. Les prescriptions du Coran et les articles des Droits humains sont-ils conciliables ? Est-il possible de revendiquer des droits égalitaires en se référant aux écrits islamiques ?

« La source des femmes », un film de Radu Mihaileanu en compétition officielle à Cannes en 2011, aborde ces questions avec sensibilité et intelligence.  Du côté académique,  l’étude de Leïla El Bachiri « Les féministes de l’Islam » publiée par l’Université des femmes en 2012, décrit l’émergence des mouvements de féministes musulmanes et analyse les discours de militantes à Bruxelles.

« La source des femmes »

« La source des femmes » raconte l’histoire des femmes d’un village situé quelque part entre l’Afrique du Nord et le Moyen Orient. Après de nombreux accidents, notamment des fausses couches, dont elles sont victimes dans la montagne alors qu’elles vont y chercher l’eau, celles-ci entament une grève du sexe afin d’obtenir la participation des hommes à cette tâche dangereuse et pénible. Elles mettent ainsi en cause les rôles traditionnels assignés à chacun en fonction de son genre. 

Leurs protestations ne sont pas entendues et le conflit s’envenime jusqu’à devenir violent et à mettre en question la paix du village. Entre autres démarches, ces femmes se plongent alors dans le Coran pour y trouver les arguments de leurs revendications. Une séquence du film les montre aller à la rencontre de leur imam et discuter avec lui de versets coraniques qui établissent l’égalité et l’entraide mutuelle entre hommes et femmes.

Sous des allures de fable orientale, ce film aborde des questions réelles, actuelles et polémiques de l’Islam : égalité entre hommes et femmes, répudiation, mariage forcé, nouvelle interprétation des textes sacrés, réforme interne. Partant d’un problème concret et d’un enjeu de vie ou de mort, les spectateurs sont ainsi plongés au cœur d’une lutte féministe, incluant pour une part la dimension religieuse.

Printemps arabe et  réislamisation 

Ce film peut de plus faire réfléchir d’une part, aux soulèvements dans le monde arabe et de l’autre, aux divers phénomènes de réislamisation. Bien que les élections récentes aient donné une large part aux islamistes, les contestations populaires du Printemps arabe ont montré la volonté des populations d’aller vers la démocratie. Dans ce contexte, le film « La Source des femmes » peut rappeler deux choses. D’une part, l’activisme des femmes dans les révoltes arabes, par l’organisation de manifestations, par la communication sur Internet, ou encore par leur participation à des cercles d’opposition et ce, en Tunisie, en Egypte, au Yémen ou en Syrie.  De l’autre, il montre que les révolutions ne sont pas uniquement citadines, affaires d’hommes et évènements publiques. Elles peuvent aussi être assumées dans la sphère privée, dans des contextes ruraux, par des femmes. Si la domination arbitraire peut être remise en cause au niveau national, elle peut l’être également au niveau local ou familial par les populations, pour le bien être de tous et toutes.

Si nous quittons les révolutions arabes pour nous pencher sur l’Europe et en particulier sur la Belgique, on remarque que les phénomènes de réislamisation retiennent l’attention du monde politique, des média et de l’opinion publique. Multiples et mal compris, ils peuvent être perçus ou vécus comme un repli identitaire, voire confondu avec l’islamisme. La réislamisation recouvre par exemple tant un regain du port du voile par les femmes ou une fréquentation plus importante des mosquées qu’un retour à une connaissance accrue des textes sacrés. C’est cette connaissance, montrée dans le film « La source des femmes », qui permet à des musulmanes de revendiquer certains droits en se référant aux sources islamiques, sans toutefois qu’elles se positionnent elles-mêmes dans un mouvement de réislamisation.

Les Féministes de l’Islam 

Radu Mihaileanu met ainsi en lumière dans son film les principes qui conduisent ce féminisme porté par des musulmanes en terres d’islam mais aussi en Belgique. Pour comprendre ce mouvement et son ancrage belge, Leïla El Bachiri a mené une étude intitulée « Les Féministes de l’Islam – De l’engagement religieux au féminisme islamique ».

Leïla El Bachiri décrit dans son étude l’émergence et le développement d’une mobilisation féministe musulmane transnationaleaujourd’hui multiforme. Ce mouvement trouve ses prémisses dans les luttes féministes laïques des années 20 en Egypte et reste longtemps proche du féminisme occidental. Dans les années 80-90, des femmes iraniennes formulent un discours qu’elles qualifient de « féminisme islamique ». Elles affirment qu’il est possible de promouvoir les droits des femmes à  partir des textes religieux, le Coran et la Sunna. Le féminisme islamique a été particulièrement développé en Malaisie par les « Sisters of Islam » ou au Maroc au moment de la réforme du code de la famille. Au niveau international, le mouvement existe aussi dans la sphère du courant frériste, inspiré par la vision de l’islam des Frères musulmans. A Bruxelles, il se décline de différentes manières selon son ancrage associatif. Il peut par exemple prendre la forme de réunions de femmes, qui discutent entre elles de certains versets du Coran.  

Globalement, ce mouvement soutient que les textes fondamentaux de l’islam donnent aux femmes des droits bafoués par l’interprétation sexiste et le système patriarcal. Les militantes musulmanes de cette mobilisation considèrent l’islam en tant que doctrine d’égalité des genres, elles discutent le Texte sacré et en proposent leur interprétation. Elles défendent l’idée que les versets égalitaires du Coran relatif par exemple au soutien mutuel, sont les principes les plus élevés de l’Ecriture, supérieurs aux versets discriminants relatifs à la polygamie ou à la correction de l’épouse. Elles prônent ainsi l’émancipation de l’espace privé vers l’espace public, le droit au travail, à l’autonomie financière, à l’investissement social et politique…mais parfois en continuant de légitimer certaines différences fondées sur le genre comme la division sexuelle du travail. 

Féminisme et interculturalité

Est-ce possible de concilier relation d’égalité entre hommes et femmes et foi musulmane ? Notons que cette interrogation pourrait être déclinée dans d’autres contextes, chrétien ou juif par exemple. Mais la vitalité et la visibilité de l’islam, notamment à travers le port du voile, place probablement cette confession davantage que d’autres comme sujet d’interrogations en matière d’égalité hommes-femmes.

De l’extérieur, la tension peut paraître trop grande entre le respect des textes fondateurs et la promotion d’une lecture réformatrice et libératrice du Coran et de la Sunna. Le discours stéréotypé sur les femmes musulmanes, surtout si elles portent le voile, les décrit principalement comme des individus oppressés par leur religion, ce qui équivaut à une réduction de leur identité à leur seule pratique religieuse.

Et pourtant, grâce au regard de Radu Mihaileanu et à l’étude de Leïla El Bachiri, nous pouvons prendre conscience que cette « tension » est vécue de mille et une manières selon les époques ou les milieux de vie et fait donc partie d’autant d’identités différentes s’exprimant en Egypte dans les années 20, en Malaisie ou encore durant le Printemps arabe. En Belgique, des femmes exercent leur citoyenneté avec énergie tout en vivant leur foi musulmane, voire en portant le voile, dans nos universités, nos associations, nos pouvoirs politiques, etc. C’est sans doute à chacune d’entre elles que nous pourrions nous  adresser pour percevoir toutes les subtilités de cet alliage entre leur respect des principes religieux et leur vie sociale.

En reconnaissant le combat des féministes musulmanes, on peut bénéficier d’un point de vue intéressant pour la promotion de l’égalité des sexes. Le féminisme à l’occidentale, laïque et universaliste, peut collaborer avec le féminisme des femmes musulmanes, et vice versa, pour ensemble transcender les oppositions stéréotypées « tradition » versus « modernité », « Occident » versus « Orient », « universaliste » versus « communautariste » afin d’atteindre la réalisation concrète des droits de toutes les femmes en Belgique et ailleurs.

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