Les allié.e.s de la lutte antiraciste : Partie 2

Rédigé le 3 juin 2019 par : Betel Mabille

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La première partie de cette analyse (disponible également sur ce site) faisait le point sur la question des allié.e.s blanc.he.s dans les luttes antiracistes notamment via le volet du militantisme. Mais la question des allié.e.s se trouve également à d’autres niveaux. La suite de cette analyse propose d’aborder la question des allié.e.s travaillant dans les associations de lutte contre le racisme.

Travailler dans une association de lutte contre le racisme en tant que blanc.he est un statut particulier qui touche à plusieurs questions dont celles de la rémunération mais également de la légitimité. S’il est évidemment possible d’être blanc.he.s et de travailler dans une association de lutte contre le racisme, il est également important de connaître sa position, ses privilèges et comment s’en servir pour faire avancer la cause.

En Belgique francophone, comme en France, ce sont les associations de lutte contre le racisme composées en majorité de personnes blanches qui obtiennent des financements. C’est un fait. Avec de l’argent, il est plus facilement possible de dégager du temps et des ressources matérielles.

Ce que ces associations n’ont pas, c’est le vécu. Elles ont la théorie et les livres écrits sur le racisme mais elles n’ont pas le vécu quotidien et systématique du racisme. Parfois elles n’ont même pas conscience de leur propre racisme et de la perpétuation de celui-ci[1]. Elles n’ont pas la motivation de changer le monde provenant de leur propre survie. Il s’agit d’un travail. Il est évidemment possible d’être passionné.e et motivé.e par son travail mais les personnes racisées quand elles luttent contre le racisme, elles luttent pour leur vie et leur survie. Des gens meurent du racisme, ce n’est pas un sujet anodin.

En tant que complice[2] et travaillant dans une association de lutte contre le racisme, il y a donc plusieurs questions à se poser : Y a-t-il nécessité à ce que je sois payé pour lutter contre le racisme ? Est-ce la seule voie possible en tant que blanc.he pour lutter contre le racisme ?[3] Ces questions me semblent essentielles sur la manière dont une personne blanche va mettre en place son travail au sein d’une association antiraciste.

1.       Qu’est-ce qu’on peut attendre d’une association blanche et de travailleur.se.s blanc.he.s dans la lutte contre le racisme ?

 Avoir conscience du système raciste

Il est impossible de travailler dans une association de lutte contre le racisme sans avoir conscience du système raciste mis en place dans notre société. Ce premier point peut paraître superficiel mais c’est l’idée de dire qu’on ne saura jamais tout du racisme car les personnes racisées elles-mêmes sont en constant apprentissage sur le sujet. Si une personne blanche ne remet pas en question ses présupposés de base sur les questions raciales, il n’est pas possible de lutter efficacement contre le racisme.

Une position privilégiée…

Avoir conscience de sa place et de ses privilèges est nécessaire. Il y a une position privilégiée à être blanc.he et à être engagé.e dans une association de lutte contre le racisme. L’important est d’en avoir conscience et de l’utiliser à bon escient.

L’atout blanc

Ce point est lié au point précédent. Les blanc.he.s écoutent les blanch.e.s. Dans une association de lutte contre le racisme être blanc.he peut donc être un atout et cet atout doit être utilisé. Comme dit précédemment, il faut se mettre en danger. Il faut parler à ses pairs du racisme et les conscientiser sur la question.

Réduire les inégalités au sein de sa structure

Engager des personnes racisées. Il y a certainement une peur des associations blanches d’engager des personnes racisées car cela sera probablement lié à un tournant dans l’association. Cependant, les personnes racisées sont moins favorisées sur le marché de l’emploi. En tant qu’association de lutte contre le racisme et si l’occasion se présente, engager des personnes racisées sera un plus mais également une manière de rompre quelque peu le système.

Créer un environnement « safe »

Si des personnes racisées sont engagées, l’environnement de travail doit être adapté. Autrement dit, il faut faire de leur lieu de travail un endroit où les rapports de domination raciaux n’auront pas lieu. En tant que complice, il ne faut pas hésiter à aller à l’action et mettre les autres personnes blanches face à leurs responsabilités en cas de situation raciste. De plus, engager des personnes noires ne doit se faire que si celles-ci ne seront pas utilisées comme des token[4]. Les personnes racisées vont venir bousculer l’association mais l’objectif est également là : avoir une réflexion sur la légitimité et sur le système capitaliste et raciste maintenant les personnes racisées en bas de l’échelle.

Être un relai

Exiger que les intervenant.e.s racisé.e.s soient rémunéré.e.s, laisser sa place face aux médias à des personnes racisées, exiger que l’Etat finance des associations de personnes racisées, etc. Une association antiraciste composées de personnes blanches ne doit pas se voir comme une entreprise capitaliste. L’idée n’est pas d’engager le plus possible et d’avoir un maximum d’argent, car les subsides fonctionnent par enveloppe et les associations blanches sont déjà privilégiées face à l’Etat. En d’autres termes, il faut laisser de la place et de l’argent aux personnes racisées en prenant des positions fermes de retrait.

La rémunération et la visibilité

L’expertise des personnes racisées n’est pas acquise. Pour avoir accès à cette expertise il est nécessaire de rémunérer les personnes qui la possèdent et également de leur donner une visibilité. Ne pas rémunérer des personnes racisées s’apparente à un acte raciste résultant du colonialisme où les personnes racisées restent vues comme incapables. Ne pas rémunérer et créditer s’apparentent au vol d’un savoir intellectuel et d’un vécu allant parfois jusqu’à la capitalisation de ceux-ci.

La charge mentale

Il faut prendre en compte la charge mentale du racisme pour les personnes racisées travaillant avec vous. Comme dit ci-dessous, le racisme est quotidien pour les personnes racisées. Il ne s’agit pas uniquement d’un travail ou d’une lutte mais d’un système qui les exploite et les infériorise de manière systématique.

Tout ne doit pas reposer sur les épaules des personnes racisées

Il ne faut pas attendre des personnes racisées de l’association un mode d’emploi sur « comment gérer le racisme sur le lieu de travail ». Il faut en effet leur demander ce qu’elles souhaitent mettre en place face à des situations de racisme mais personne n’a de mode d’emploi tout prêt qu’il suffirait juste d’appliquer. Il faut procéder par essai/erreur tout en gardant en tête l’impact et le poids que le racisme peut avoir sur les personnes concernées.

Nous luttons pour la même chose mais pas au même niveau

Il faut se rappeler que si nous souhaitons tous et toutes changer les choses, cela ne peut se faire que de manière inconfortable pour les personnes blanches. Comme dit précédemment, il s’agit de remettre en question l’ensemble d’un système et la place que l’on occupe dans celui-ci. Si nous voulons un monde plus juste cela doit déjà commencer par nous-mêmes et nos lieux de travail censés être des espaces relativement « safe » sur les questions raciales. Ce monde n’arrivera pas si les complices baissent les bras. Les personnes racisées choisissent et utilisent les outils pour leurs propres luttes, si les personnes blanches n’y adhèrent pas, le changement va prendre encore plus de temps.

2.       En conclusion, c’est quoi être blanc et lutter contre le racisme ?

Si nous parlons de « lutte » contre le racisme, ce n’est pas anodin. Le système est discriminant et si nous voulons que cela s’arrête, il faut lutter. Il ne s’agit pas forcément de lutte violente, mais en tant que blanc.he, de se mettre dans des situations inconfortables. Les personnes racisées le sont quotidiennement, il est attendu des blanc.he.s qui veulent lutter contre le système qu’ils.elles le soient également car la remise en question de ces privilèges, c’est de l’inconfort.

 « Ce n’est pas de notre responsabilité de vous tenir la main au cours du processus pour devenir complice.[5] » Ce n’est pas non plus de la responsabilité des personnes racisées de le faire gratuitement.

Être complice, c’est choisir de se mettre en danger quand d’autres n’ont le choix que de se battre, quotidiennement.

 

 


[1] A ce sujet, « Racisme anti-noirs. Entre méconnaissance et mépris » de Mireille-Thseusi Robert

[2] Voir la partie 1 de l’analyse pour comprendre les différences entre « complice » et « allié.e »

[3] Le syndrome de l’imposteur est l’idée d’être à une certaine position et d’avoir le sentiment de ne pas le mériter. C’est quelque chose que l’on retrouve souvent chez les personnes racisées qui arrivent à des endroits où on ne les attend pas (directeur.ice, doctorant.e, médecin, professeur.e, etc.). Il serait intéressant de savoir si ce syndrome se retrouve également chez les personnes blanches étant payées pour lutter contre le racisme.

[4] Utiliser une personne issue d’une minorité pour mettre en avant le côté « ouvert » d’une entreprise et se prévaloir ainsi de toute accusation de racisme, sexisme, ou autre.

[5] Accomplices Not Allies: Abolishing The Ally Industrial Complex  

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