Le retour des djihadistes en Belgique, prétexte pour une dérive sécuritaire ?

Rédigé le 15 décembre 2014 par : Kim Tondeur

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Ces djihadistes qui décident de rentrer au pays, on les appelle returnees. Ils reviennent du théâtre de guerre syrien, ont certainement vécu des expériences traumatisantes mais s'y sont aussi peut-être radicalisés à l'extrême. Entre la carotte et le bâton, quelles réponses apportent donc la communauté internationale et la Belgique face à un tel cas de figure ?

Parce qu'ils sont engagés dans la coalition militaire menée par les États-unis, certains pays tels que le Danemark, la Grande-Bretagne mais aussi la Belgique se montrent particulièrement préoccupés face au salafisme violent[1]. Pourtant, ce n'est pas la première fois que des ressortissants occidentaux s'engagent sur la voie du djihad[2], et l'expérience de l'Afghanistan, de la Bosnie, de la Somalie ou encore de l'Irak montre que la probabilité de voir ces combattants étrangers perpétrer un attentat une fois de retour chez eux est faible. Et en effet, le djihad syrien est bien un djihad « défensif », qui invite à « combattre l'ennemi là où il agresse la communauté (c'est-à-dire dans des pays comme l'Afghanistan, la Tchétchénie, la Palestine », et aujourd'hui la Syrie), et non à porter la guerre « en Europe pour venger les civils musulmans »[3]. Aujourd'hui, certains évènements récents tels que les fusillades au musée juif de Bruxelles et au parlement canadien nourrissent néanmoins les craintes, terreau de l'engagement sécuritaire.

Le Danemark, le Royaume-Uni et le continuum des réponses politiques

 En Belgique comme ailleurs, le débat politique se cristallise autour de deux enjeux : lutter contre le radicalisme violent et désamorcer la menace constituée par les returnees. On peut ainsi distinguer deux « réponses types » situées à l'opposé sur l'échiquier des possibles. Un premier pôle « prévention-compréhension » qui souligne l'importance de lutter contre les départs en combattant les discriminations et la pauvreté et qui appelle à l'accompagnement des jeunes victimes des filières de recrutement, cela en rappelant le caractère potentiellement traumatique de la guerre et du djihad. Un second pôle « répression-criminalisation », ensuite, qui met l'accent sur la menace des retours, parle d'échec de l'intégration (et de refus de l'assimilation des valeurs démocratiques) chez ces jeunes et appelle, pour plus de sécurité, à un renforcement des moyens de police ainsi que des sanctions économiques et pénales envers les [candidats] djihadistes.

Deux initiatives emblématiques permettent d'exemplifier ces stratégies. Au Danemark, la ville d'Aarhus a mis en place un programme original et progressiste qui offre aux returnees un accompagnement médical et psychologique ainsi qu'une aide à la réintégration scolaire ou professionnelle, le tout dans un partenariat entre autorités locales, familles, mosquées et responsables communautaires. Outre-Manche, le schéma n'est pas si attrayant. L'International Center for Counter-Terrorism (ICCT) dénonce ainsi avec véhémence une proposition de la secrétaire d'État à l'Intérieur Theresa May, validée en mai 2014 par la Chambre des Lords et qui rendrait possible la déchéance de nationalité pour les djihadistes britanniques, que ceux-ci possèdent plusieurs nationalités ou non. Autrement dit, le Royaume-Uni s'apprête à rendre possible l'apatridie, cet espèce d'« exil médiéval » qui définit la nationalité et l'exercice de la citoyenneté comme un privilège lorsque ce sont précisément des droits ![4]

Cela ne signifie pas que le Danemark ne se dote pas de mesures répressives, ni que le Royaume-Uni s'engage uniquement dans une politique criminalisante : chaque pays met en place une combinaison plus ou moins savante entre approche sociale et sécuritaire. Coexistent ainsi entre ces deux « pôles » une kyrielle de réponses et stratégies politiques au problème du djihadisme et des returnees : de l'instauration en Suisse d'une « ligne verte » destinée aux familles à l'adoption de nouvelles lois antiterroriste en France et en Australie, en passant par la possibilité de confisquer les documents d'identité des candidats au djihad, comme c'est le cas en Allemagne.

De l’international à la Belgique fédérale : une stratégie déséquilibrée

Malheureusement, que ce soit à l'ONU, à l'UE ou en Belgique, on constate dans les stratégies contre le djihadisme un déséquilibre flagrant qui favorise les mesures répressives et criminalisantes aux dépends d'une approche préventive plus soft.

C'est du moins la critique qu'adresse l'ICCT au Conseil de Sécurité de l'ONU sur la « résolution 2178 » adoptée par ce dernier à propos des « combattants terroristes étrangers ». S'il y est bien fait mention de la nécessité de s'attaquer à l'ensemble des causes du terrorisme en promouvant – entre autres – la cohésion et l'intégration sociales, le développement économique et la tolérance religieuse, le texte n'accorde pourtant aucune place à la description des stratégies et bonnes pratiques à suivre en ce sens. Tandis que les « instructions faites aux Etats lorsqu'il est question de durcissement de la loi, de contrôle des fonds financiers, de renforcement des frontières ou de collaboration entre services de police sont [...] bien plus spécifiques et détaillées ». L'ICCT condamne également le manque de clarté de la résolution (la notion de terrorisme n'y est elle-même pas définie) et, par conséquent, son trop grand champ d'application et son caractère potentiellement liberticide.[5]

La stratégie de l'UE est sensiblement identique. Au menu : mise en place dans tous les aéroports d'un système automatique de screening électronique de tous les voyageurs, restriction du contenu Internet en accord avec les grands hébergeurs (Facebook, Youtube, Google, etc.) et possibilité de confisquer les documents d'identité sur base non plus de preuves mais de « fortes suspicions », avec interdiction de quitter le territoire. Lorsqu'il analyse le rôle de l'UE dans la lutte contre l'Organisation État Islamique et les groupes radicaux violents, Gilles de Kerchove (coordinateur à la lutte pour l'antiterrorisme à l'UE) ne fera jamais mention des problèmes que constituent les inégalités socio-économiques et l'islamophobie : jamais.

En Belgique, enfin, fallait-il espérer autre chose d'une coalition fédérale MR-NVA-CD&V-VLD ? La tonalité sécuritaire transpire d'un bout à l'autre de l'accord gouvernemental dont celle-ci s'est dotée. Parmi les mesures les plus fortes contre la radicalisation, on trouve la volonté de sanctionner les départs à l'étranger qui s'effectuent dans le but de participer à un conflit armé, de lutter contre le cyberdjihadisme, d'isoler financièrement les groupes radicaux violents et de renforcer la coopération internationale en matière de sécurité. On y trouve également une série de mesures stigmatisantes et caractéristiques d'une Justice à deux vitesses qui pénalise directement les belges d'origine étrangère. Par exemple, la déchéance de nationalité, le retrait du statut de réfugié ou de demandeur d'asile. Comme le Conseil de Sécurité de l'ONU et l'Union européenne, le gouvernement Michel 1er ambitionnait soi-disant une approche intégrale de la radicalisation violente : force est de constater que de telles ambitions sont restées lettre morte.

Des politiques liberticides et stigmatisantes, non mais et puis quoi encore ?! Ah, oui…, coûteuses et inefficaces !

Cette volonté presque généralisée de gérer les départs en Syrie d'une main de fer soulève des questions évidentes. On voit que l'effet cumulé des multiples mesures évoquées ici résulte à la fois en une facilitation, une intensification et une diversification des pratiques sécuritaires et punitives (via le renforcement des mesures administratives et légales) applicables à l'ensemble des citoyens. Certes, de telles mesures sont – ou seront – appliquées dans le but de lutter contre des groupes dits « terroristes » qui ne respectent ni le droit international ni les droits humains et n'ont que faire de l'État de droit. Mais lorsqu'elles mettent en péril la liberté d'expression et la libre circulation des personnes, n'est-il pas temps de se demander si nos sociétés ne s'écartent pas précisément de cet idéal démocratique qu'elles entendent incarner ?

Et ce n'est pas tout, car certaines de ces politiques visent plus directement voire exclusivement les personnes issues de l'immigration. En Belgique, la facilitation de déchéance de nationalité et le durcissement des politiques migratoires fait particulièrement froid dans le dos. Non seulement stigmatisantes, ces politiques témoignent de surcroît d'un « rétrécissement inquiétant de l'identité belge en opposition à d'autres nationalités » ainsi que du triste succès de l'argument aujourd'hui répandu du « choc des civilisations »[6]. Il est en effet malheureusement difficile de ne pas observer que ces choix étatiques contribuent à valider la recrudescence des différentes formes de racisme en Europe et, plus grave encore, à l'institutionnaliser. Si elles prétendent lutter contre le salafisme violent, force est de constater que de telles décisions génèrent plutôt les conditions propices à sa diffusion. C'est le serpent qui se mord la queue...

Mais enfin, ce choix d'une réponse à court terme qui mise largement sur la stratégie du bâton n'a-t-il que des désavantages par rapport à l'approche préventive ? Ça y ressemble. Et des désavantages, on peut en citer au moins deux encore. Anti-démocratiques, dangereusement nationalistes et racistes (osons le mot!), ces mesures sont aussi bien plus coûteuses, si bien que ce bon vieux prétexte de l'« austérité » peinerait à leur rendre justice. Enfin, elles sont aussi et surtout moins efficaces. Car en voulant décourager les jeunes de partir combattre en Syrie, elles les dissuadent surtout de revenir ! De là à créer une armée mobile de damnés et d'exclus, il n'y a qu'un pas.

Nourrir le radicalisme « ici » et pousser les jeunes à rester combattre « là bas », tout en entamant au passage notre État de droit, voilà le résultat plus que probable de la lutte répressive contre le djihadisme...Ô, aberrance politique, quand tu nous tiens...!

 


[1]    Pour une meilleure compréhension du salafisme et de ses multiples tendances, voir BOSSUT, Nicolas, 2013. « Instrumentalisation d'un salafisme fantasmé », [en ligne]. URL : http://bepax.org/publications/analyses/instrumentalisation-d-un-salafisme-fantasme,0000438.html

[2]    TONDEUR, Kim, 2014. « De la Belgique au djihad : cette idée horrible d'un occident « barbare », [en ligne]. URL :http://bepax.org/publications/analyses/de-la-belgique-au-djihad-cette-idee-horrible-d-un-occident-barbare,0000523.html

[3]    Martinez, Luis, 2008. « Structures, environnement et basculement dans le jihadisme », Cultures et Conflits, 69, p. 156.

[4] PAULUSSEN, Christophe et Laura VAN WAAS, 2014. « UK measures rendering terror suspects stateless : a punishement more primitive than torture », [en ligne]. URL : http://www.icct.nl/publications/icct-commentaries/uk-measures-rendering-terror-suspects-stateless-a-punishment-more-primitive-than-torture

[5] VAN GINKEL, Bibi, 2014. « The new security council resolution 2178 on foreign terrorists fighters : a missed opportunity for a holistic approach », [en ligne]. URL : http://www.icct.nl/publications/icct-commentaries/-the-new-security-council-resolution-2178-on-foreign-terrorist-fighters-a-missed-opportunity-for-a-holistic-approach

[6]    Zian, Yasmina, 2014. « Déchéance de la nationalité. Des allemands aux jihadistes », [en ligne]. URL : http://bildungsblog.hypotheses.org/208

 

 

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