Le rejet de l'Islam, un nouveau racisme ?

Rédigé le 13 juin 2012 par : Nicolas Bossut

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Le racisme est une idéologie, qui partant du postulat de l'existence de races humaines, considère que certaines races sont intrinsèquement supérieures à d'autres. Cette idée selon laquelle les caractéristiques physiques d’un peuple prédisposeraient de ses qualités morales ou intellectuelles est en perte de vitesse depuis la Seconde guerre mondiale. Peu de gens se déclarent ou peuvent être taxés de racistes aujourd’hui. Pourtant, les discriminations, la xénophobie ou l’ethnocentrisme qui sont des conséquences directes du racisme perdurent dans notre société et connaissent même une nouvelle vigueur. Comment s’expliquer ce phénomène ?

Dès l’après-guerre, l’idéologie raciste connaît une mutation. L’immigration de travail que de nombreux pays européens ont encouragée pour assurer la reconstruction puis le développement économique des années 50 et 60 a entraîné l’installation en Europe de centaines de milliers d’immigrés issus principalement du pourtour méditerranéen. Dans un premier temps, les Etats pensèrent que cette immigration serait temporaire mais, à partir des années 70 et 80, il est devenu évident que ces travailleurs ne rentreraient pas dans leurs régions d’origine et s’installeraient à demeure sur le territoire européen.

Tout d’abord, assurés de la réussite de leur modèle civilisationnel, les Européens ne doutèrent pas un moment de leur capacité d’assimilation. Il leur semblait évident que les nouveaux arrivants ne tarderaient pas à abandonner leurs cultures d’origine pour se fondre dans la masse de la population et y disparaître.

Dans un premier temps, c’est en effet cette logique qui a prévalu. On avait bien fait comprendre aux premiers migrants qu’ils n’étaient pas chez eux. Ils n’étaient pas citoyens et pour beaucoup, devaient être reconnaissants du salaire qui leur était attribué et courber l’échine quand on le leur demandait. Tout est fait pour que ces travailleurs se rappellent bien qu’ils ne sont pas chez eux. 

L’échec de l’assimilation

Pour leurs enfants par contre, la situation est tout à fait différente. Éduqués à l’école de la démocratie, on leur a expliqué que s’ils acceptaient de s’intégrer dans les normes et valeurs de la société d’accueil, les portes de la réussite sociale leur seraient ouvertes. Malheureusement pour eux, l’Europe des années 70 et 80 faisait déjà face à la crise. Très rapidement, ces jeunes se sont rendu compte que leur ascension sociale était bloquée à un certain niveau, qu’ils devaient faire face à toute une série de discriminations systémiques. La déception a été d’autant plus rude que les espoirs étaient élevés.

Blessés, nombre de ces jeunes ont été tentés, dans un réflexe de dignité et de fierté, de renouer avec la culture de leurs parents, qui se présentait comme une alternative à des valeurs occidentales si décevantes à leurs yeux. Ils voulaient pouvoir dire qu’ils étaient fiers de leurs parents, de leurs racines, que leurs ancêtres n’étaient pas des Gaulois.

Pour certains d’entre eux, la religion a alors été vue comme l’ultime rempart de leur fierté, une religion souvent brandie comme un étendard politique. Cette réaction était tout à fait incompréhensible dans les sociétés sécularisées qui sont les nôtres, d’autant plus que la visibilisation de l’Islam est essentiellement passée par le port du voile chez les femmes. Comment des jeunes femmes éduquées, émancipées et autonomes peuvent-elles être plus religieuses que leurs parents ?

Crispations dans l’univers francophone

Dans l’univers francophone européen, cette résurgence de la pratique religieuse a dû faire face à une levée de bouclier inégalée dans les autres régions d’Europe. En France ainsi, les musulmans ont face à eux une coalition des forces politiques de droite comme de gauche. Toutes deux se sont retrouvées autour de la défense des valeurs de la laïcité, une idée jusqu’alors clairement connotée à gauche et nourrie aux racines de l’universalisme des Lumières et de la Révolution. C’est au nom de cette laïcité que la quasi-totalité des hommes et des femmes politiques français veut refouler toute expression religieuse dans l’espace privé.

Cette position peut paraître surprenante pour un pays qui aime à se présenter comme la patrie des droits de l’homme. L’article 18 de la déclaration universelle des droits de l’homme ne précise en effet elle pas : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. ».

Pourtant, ce discours trouve un large écho dans une très large majorité de la population française mais aussi en Belgique francophone ou en Suisse romande, d’autant plus que ces populations ne savent plus très bien qui elles sont. En effet, ce qui structurait le sens de la vie des Européens, comme la religion ou les idéologies qui devaient nous amener vers un avenir meilleur, sont en recul. Ces Européens, minés par le doute, doivent désormais faire face à une identité qui semble fière et qui semble assumée.

Cette situation peut paraître agressive pour de nombreux citoyens. Pour se défendre, la société va alors tenter de refouler cette présence trop envahissante. En France, cette tentative de protection s’est ainsi traduite par l’interdiction du port du voile à l’école, l’interdiction pour les mères portant le foulard d’accompagner les sorties scolaires et l’obligation de neutralité, y compris dans leur intérieur, pour les gardiennes encadrées.

En Belgique, dans l’état actuel des choses, aucune législation dans ce sens n’a jusqu’à présent été adoptée, à l’exception de celle interdisant le port du voile intégral. Cet état de fait s’explique probablement par les traditions politiques diamétralement opposées des deux voisins. Régime des cultes libéral, vigueur d’une société civile, pilarisation et culture du compromis sont autant de caractéristiques belges qui empêcheraient l’application telle quelle du modèle français en Belgique. Ce serait l’ensemble de la société belge qui tremblerait sur ses bases depuis les hôpitaux jusqu’aux organismes d’enseignement qui, presque tous, sont liés à l’un ou l’autre pilier.

Cependant, le discours français trouve une oreille attentive dans de larges couches de la population qui verraient bien la Belgique l’adopter. En Suisse également, cette influence se fait sentir. Ainsi, le débat suscité par l’initiative populaire visant à interdire les minarets s’est organisé en Suisse romande autour de la défense de la laïcité, tandis qu’il s’organisait en Suisse alémanique autour de la défense de l’identité chrétienne du pays.

Racisme ?

On ne peut assimiler ce rejet franc et massif de l’Islam à du racisme. Dans une telle situation, l’immense majorité de la population française, wallonne, bruxelloise et romande serait raciste. Le musulman n’est pas fondamentalement inférieur. Il pourrait devenir l’égal des autres citoyens pour autant que toute marque extérieure de sa pratique religieuse disparaisse de l’espace public.

En ce sens, on peut faire la même nuance entre le racisme et le rejet de l’Islam qu’entre l’antisémitisme et l’antijudaïsme chrétien. L’antisémitisme est une idéologie laïque qui pointe les Juifs comme un peuple distinct ayant une culture, une mentalité et une religion différentes. Selon cette idée, quoi qu’il pense, fasse, le Juif ne peut échapper à sa judéité et restera intrinsèquement mauvais. L’antijudaïsme désigne une hostilité à la religion juive en tant que telle. Cela signifie que l’individu, pour autant qu’il abandonne sa religion, n’est plus l’objet de l’hostilité.

On ne peut donc assimiler le rejet de l’Islam à du racisme, ce qui ne l’exonère pas pour autant d’une condamnation vigoureuse et n’exclut pas les corollaires du racisme, la xénophobie, les discriminations et l’ethnocentrisme.

Quelle pistes ?

Aujourd’hui, il apparaît donc que les populations d’origine immigrée ne sont absolument pas prêtes à abandonner les référents culturels qui sont les leurs, dont la religion peut faire partie. Elles veulent s’insérer dans la société sans pour autant être victimes d’une acculturation.

Beaucoup d’Européens, de leur côté, moins à l’aise par rapport à leur suprématie supposée qu’il ne l’étaient 40 ans plus tôt, commencent à douter. Ils se sentent agressés par la visibilisation croissante de cultures allochtones. Le rejet de l’autre ne se base plus sur les différences de races mais sur celles des cultures. L’individu objet de cette ostracisation est l’immigré dont tout référent culturel exogène à la culture d’accueil est perçu comme une agression et une marque d’obscurantisme et d’arriération.

Cette nouvelle forme d'exclusion est beaucoup moins déterministe que le racisme. En effet, l’individu victime de l’ostracisation a l’espoir d’une rédemption pour autant qu’il accepte d’abandonner toutes les caractéristiques culturelles qui le différencient. Un Africain, un Juif ou un Arabe sont tout à fait fréquentables pour autant qu’ils aient abandonné le port du boubou, des papillotes ou du voile.

Dans notre lutte contre la xénophobie, les discriminations et l’ethnocentrisme, nous devons prendre en compte ces éléments. En effet, taxer de raciste ceux qui rejettent l’Islam est une stratégie qui ne peut que conduire à la fermeture du débat. Il faut donc renouveler nos outils et nos schémas afin de les adapter à ces nouvelles données.

Le rejet de l’Islam n’est pas raciste mais ses conséquences sont exactement les mêmes pour l’individu ostracisé.


Cette analyse a fait l’objet d’une discussion lors d'une rencontre-débat organisée en mai par BePax avec Henri Goldman, rédacteur en chef de la revue « Politique » et auteur d’un essai remarqué : « La rejet français de l’Islam ».  

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