Le monde n’a plus le choix entre la force et la loi

Rédigé le 21 mars 2014 par : Marie Peltier, Nicolas Bossut

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Le pourquoi des guerres est un sujet qui divise et suscite les passions. Guerre néocoloniale, agression impérialiste, … Les clés de lecture se multiplient sans jamais apporter de pistes de solutions. Trop complexes, trop difficiles à mettre en œuvre. Entretemps, les guerres continuent et nous, nous continuons à débattre sans fin sans apporter aucune solution. Comment alors passer au-delà de ces discussions stériles ? Peut-on parler de paix sans pour autant être défaitiste ?

Les raisons des guerres sont multiples et ne peuvent être réduites à un seul élément. Elles sont bien entendu le produit de facteurs économiques, politiques, sociaux ou culturels. Malheureusement, notre capacité d’analyse des guerres auxquelles nous assistons est bien souvent polluée par un « bruit » médiatique persistant, constitué de massacres, de bombardements et d’atrocités, qui nous empêche de voir au-delà de l’instantanéité et de l’agitation de surface. Il faut bien souvent du temps et du recul pour pouvoir se faire une idée précise du processus qui a amené un conflit à prendre cette forme de violence extrême qu’est la guerre. Quelles sont les raisons profondes du conflit ? Comment celui-ci s’intègre-t-il dans le temps long, le temps de l’histoire sociale cher à Fernand Braudel[1].

Face à ces massacres, ces bombardements et ces atrocités, nous ne pouvons pourtant pas nous payer le luxe, tel Braudel, de prendre le temps du recul. Il faut pouvoir réagir vite et devenir du jour au lendemain l’expert d’un conflit dont nous ne connaissions rien la veille. Impossible me direz-vous ? Pas du tout, il suffit pour ce faire de recourir aux formules du prêt-à-penser. C’est simple et efficace.

Le prêt-à-penser, c’est un peu comme les stéréotypes. On y trouve toujours une part de vérité mais on ne peut s’en servir sérieusement pour expliquer le réel. Il en va des guerres comme des relations hommes-femmes ou du racisme, il est toujours plus simple de recourir à un prêt-à-penser que d’analyser en profondeur chaque situation. D’ailleurs, comment le pourrait-on ? Les guerres sont si nombreuses …

Les anti-impéralistes et les anti-néocolonialistes

Chez les pacifistes de gauche, on affectionne des clés de lecture géopolitiques et économiques. Anti-impérialistes[2] et anti-néocolonialistes y excellent.

Les premiers s’opposent aux guerres de conquête par principe mais leur cible prioritaire est l’empire américain et ses alliés européens et israéliens. Pour les anti-impéralistes, ce qui compte, c’est la lutte contre l’empire. La démocratie ou la protection des droits humains fondamentaux ne sont que de fausses excuses pour s’ingérer partout dans le monde. Ceux qui, comme les Russes, les Vénézuéliens ou les Chinois, font contrepoids à l’empire ne sont peut-être pas des modèles mais ne leur cherchons pas des poux. Ils ne sont pas aussi dégueulasses qu’on ne l’affirme …

Les anti-néocolonialistes considèrent quant à eux que la mondialisation a introduit une nouvelle forme d’impérialisme basé sur une domination économique et non plus sur la conquête militaire. Cependant, affirment-ils, quand les intérêts des puissants sont contrariés, ils n’hésitent pas à faire intervenir leur bras armé. C’est oublier rapidement que les élites de Wall Street ou de la City ne sont pas les seules à avoir des intérêts économiques. Chinois, Russes mais Syriens, Congolais ou Maliens savent eux aussi faire leurs comptes. La rapacité et la prédation ne sont pas le seul fait d’une petite caste en costume trois pièces.

Outre leur européocentrisme, ces deux clés de lecture portent par ailleurs en elles le germe de l’inaction et de la paralysie. Elles sous-entendent en effet que la guerre est au cœur du système. S’y attaquer, c’est s’attaquer au système lui-même dans son entièreté. Comment ne pas être tétanisé face à une perspective pareille ? Par où commencer ? Les anti-impérialistes et les anti-néocolonialistes n’apportent aucune solution.

Tenir un discours anti-impérialiste ou anti-néocolonialiste est probablement le meilleur moyen de décourager à la fois les citoyens mais aussi les décideurs de lutter pour un monde plus pacifique et surtout, plus juste.

Les anti-interventionnistes

Les anti-interventionnistes portent quant eux un discours absolu. Ils estiment que la guerre n’apporte jamais aucune solution, qu’au contraire, elle est la source de tous les maux. La guerre, par essence, est mauvaise et le recours à la force, même à titre humanitaire, n’a aucun sens. Il n’existe aucune exception à ce principe.

De très nombreuses personnes partagent cette clé d’analyse. Elle a en effet l’avantage d’être universellement applicable. Elle peut ainsi, au contraire des deux précédentes, prendre en compte des conflits locaux dans lesquels les grandes puissances ne se seraient pas impliquées. Elle a également l’avantage d’être proche d’un certain antimilitarisme, d’une forme de refus de la violence, voire d’un isolationnisme tel que l’a connu l’Amérique d’entre-deux-guerres et apprécié par ceux qui estiment que « Mieux vaut s’occuper de ses problèmes avant de régler ceux des autres ».   

Certains, parmi les anti-interventionnistes, vont ainsi jusqu’à argumenter que la situation somalienne, après plus de 20 ans de chaos, semble s’améliorer d’elle-même. Certaines régions, à l’instar du Puntland ou du Somaliland, ont en effet réussi, sans aucune aide internationale, à restaurer un semblant d’ordre et de légalité.

Dans un autre texte[3], je soulignais à quel point un pacifiste pouvait estimer la guerre légitime dans certaines situations. Jean-Marie Muller, philosophe français spécialiste de la non-violence, ne disait-il pas : « S’il n’y avait le choix qu’entre la paix dans l’injustice ou la guerre pour la justice, alors mieux vaudrait-il choisir la guerre.[4] » Ainsi, si c’était à refaire, refuserions-nous de recourir à la force à la veille du génocide rwandais ? Laisserions-nous le massacre se dérouler sous nos yeux ?

Cette troisième clé, à l’instar des deux premières, n’offre la possibilité aux citoyens et aux décideurs que de se réfugier dans l’inaction. Ceux qui la défendent se contentent en effet malheureusement trop souvent de dénoncer les horreurs de la guerre sans jamais proposer d’alternatives aux horreurs de la paix. Ils n’offrent, dans leur analyse, aucune place à la compassion pour les victimes des guerres, aucune place pour le peuple. En cela, ils sont d’accord avec les anti-impérialistes et anti-néocolonialistes.

Une solution ? La résolution des conflits par le droit

La communauté internationale a progressivement mis en place une série de règles qui visent à encadrer les conflits. Le président Eisenhower, ancien commandant en chef des alliés, avait en effet averti, dans le New York Times en 1958 : « Le monde n’a plus le choix entre la force et la loi. Si la civilisation veut survivre, elle doit choisir l’autorité de la loi[5] ». L’avènement d’armes de destruction massive avait en effet rendu nécessaire dès 1945 la mise en place d’un système de règlement international des conflits qui puisse éviter des dommages irréversibles. Si Eisenhower et ses contemporains en ont eu l’intuition, ils avaient peut-être sous-estimé l’ampleur de la tâche.

Presque 70 ans après la fin de la Seconde guerre mondiale, le système du droit international est encore embryonnaire et semble souffrir de nombreuses tares. Les règles progressivement édictées dans le cadre de l’ONU n’ont pu s’adapter à l’évolution de la nature des conflits et des acteurs des conflits. Ainsi, la souveraineté des Etats reste absolue et les tyrans restent, malgré le développement de la responsabilité de protéger ou la création de la Cour pénale internationale, libres de faire la guerre à leur propre peuple. De même, la montée en puissance d’acteurs économiques sur la scène internationale n’avait pas été prévue tout comme le développement extraordinaire des sociétés privées de sécurité.

Tout porte à croire que le droit international est perfectible. Pourtant, avec toutes ses faiblesses, ce droit international a le mérite d’exister. Il doit être au cœur de notre action et de notre réflexion. Il s’agit pour nous de réfléchir très concrètement à la façon d’améliorer ce droit. Des pistes existent qui visent à inclure progressivement dans le droit international une notion nouvelle, celle de droits humains. Il ne s’agit ici ni de démocratie, ni de droits de l’homme mais plutôt de respect de l’intégrité physique de la personne. Ca, c’est un objectif atteignable et motivant.

 

 


[1] Fernand Braudel (1902-1985) est un historien français et l’un des représentants les plus populaires de « l’Ecole des Annales ». Il divise ce temps en trois parties :

·  l'histoire presque immobile, « le temps géographique » dont les fluctu  ations sont quasi-imperceptibles, qui a trait aux rapports de l'homme et du milieu ;

· l'histoire lentement agitée, « le temps social », une histoire sociale, ayant trait aux groupes humains ;

· l'histoire évènementielle, « le temps individuel », celle de l'agitation de surface.

[2] Pour une analyse du cadre de pensée des anti-impérialistes, Goldman H. , La gauche malade du campisme, pp. 37-38, in Politique, revue des débats, novembre-décembre 2013.

[3] Bossut N., Quand la Syrie met notre pacifisme à l’épreuve ..., 9 septembre 2013, http://bepax.org/publications/analyses/quand-la-syrie-met-notre-pacifisme-a-l-epreuve,0000446.html

[4] Muller Jean Marie, “Pacifisme”, in Dictionaire de la non-violence, p. 205, Paris, 2005

[5] Cité par Delmas-Mary M. , Résister, responsabiliser, anticiper, p. 71, Paris, 2013 

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