Le burkini, détail d’un climat islamophobe

Rédigé le 20 octobre 2016 par : Anne-Claire Orban

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La côte belge ne verra-t-elle plus jamais l’ombre d’un burkini ? La question échauffe les politiciens. L’interdiction de ce maillot illustre selon nous un acte islamophobe parmi tant d’autres ces dernières années. Retour sur l’état de l’islamophobie en Belgique.

« En 2015, 330 dossiers liés à la conviction religieuse ou philosophique ont été traités par Unia, soit 11 % de plus qu’en 2014. 91% d’entre eux concernent l’islam (301 dossiers) »   peut-on lire dans le rapport annuel du centre. Les dossiers traitant des convictions religieuses ou philosophiques arrivent en troisième place après ceux traitant de critères « raciaux » et du handicap. Les auteurs du rapport précisent que si les plaintes liées au monde du travail décroissent en 2015 (alors qu’elles occupaient la première place du triste classement en 2013), on constate une augmentation des dossiers concernant les médias. Les déclarations islamophobes se répandent principalement par les mails en chaîne, par  les réseaux sociaux (surtout facebook) ou les pages de discussion liées à l’un ou l’autre site d’informations. Selon Muslims’Rights Belgium  les plaintes concernent des faits assez divers : insultes, photomontages, commentaires haineux, pétitions contre l’institutionnalisation de l’islam, … 

Après le domaine des médias, viennent les plaintes concernant les discriminations sur le marché de l’emploi, puis dans l’enseignement. Unia comme Muslims’ Rights Belgium pointent l’augmentation des manifestations d’hostilité envers les musulman-e-s dans l’espace public. Ces manifestations vont de l’agression verbale (dont les plus récurrentes sont « Retournez dans votre pays ! » ou « Terroristes ! »), crachats, bousculades, voire l’arrachement de foulard.

En ce qui concerne le profil des personnes les plus touchées par les discriminations, tant Unia que Muslims’ Rights pointent les femmes et les jeunes.

Rien ne laisse présager que le rapport 2016 sera plus positif. Selon nous, deux événements majeurs ont joué un rôle important dans la détérioration de l’image des musulmanes de Belgique : le débat sur la laïcité et les attentats de mars 2016. Tant le débat sur la laïcité (notamment la neutralité à l’école) que la catastrophe du 22 mars ont poussé nos politiciens à prendre des mesures, certes rapides, mais à nos yeux plus médiatiques que réfléchies. Cela couplé à l’une ou l’autre intervention mal placée, voire carrément raciste, il n’en fallait pas moins pour stigmatiser encore la population musulmane de Belgique et recouvrir d’un terreau frais le terrain islamophobe.

Femmes, neutralité et féminisme

Le rapport de Muslims’ Rights pointe que les femmes représentent 73% des personnes déposant une plainte et que 41% d’entre elles portent le voile. C’est dans les domaines de l’enseignement et du monde du travail que les femmes se voient le plus fortement discriminées. Le port d’un voile accentue encore la discrimination dans ces domaines. Les femmes rencontrent des difficultés d’accès à l’éducation, à la formation et à l’emploi en raison du port du voile. Certaines font face au harcèlement quotidien et sont priées d’enlever leur signe religieux si elles ne désirent pas être licenciées.  À cela s’ajoutent les agressions physiques ou verbales dans les espaces publics où les dépositaires de plaintes sont également majoritairement féminins et voilés !

Il est évident que les débats sur la neutralité des services publics, dans l’enseignement, de l’espace public, et maintenant sur les plages, touchent principalement les femmes, porteuses d’un signe religieux particulièrement visible. Si Muslims’ Rights qualifie de discrimination toute mesure visant à écarter une femme pour le port d’un signe convictionnel, Unia ne tranche pas. À la question  de savoir si le port de signe convictionnel dans la fonction publique est légitime ou non,  le centre répond prudemment : « Sans prôner l’une ou l’autre option, Unia rappelle que le principe de base est la liberté de conviction et que toutes les limitations ou interdictions doivent être justifiées et proportionnées dans une approche d’ajustement concerté. » Difficile également pour Unia de se positionner face au secteur privé : « Un employeur privé peut-il se mêler de (l’expression de) la conviction religieuse ou philosophique d’un salarié ? Peut-il lui imposer le principe de neutralité exclusive ? » . Le centre reste sans réponse, renvoyant à la Cour européenne de Justice. Difficile de savoir si les plaintes des femmes concernant leur exclusion de lieux « neutres » sont reprises dans les statistiques du centre.

Plus largement, un récent rapport d’ENAR intitulé « Forgotten Women » démontre que les femmes musulmanes souffrent tant de la condition d’être femme (plafonds de verre, discrimination à l’embauche, violences physique et verbale, écart salarial, …) que de la condition d’être « étrangère ». Les auteurs pointent particulièrement le monde du travail où les femmes souffrent de discriminations tant en raison de facteurs de genre, ethniques et religieux. À noter que selon l’organisation, les femmes sont plus susceptibles d’être victimes de crimes ou discours de haine, tant sur le net que dans les espaces publics, que leurs homologues masculins.

Sans entrer ici dans les détails, on voit qu’une interprétation étroite (ou exclusive) de la neutralité belge ainsi qu’une interprétation dite « féministe » selon laquelle couvrir son corps serait une forme de soumission, offrent toutes deux de bons arguments pour écarter ces femmes du monde du travail, du monde de l’enseignement et pour justifier insultes et violences. Les femmes musulmanes incarnent un public particulièrement fragilisé, souffrant du racisme et du sexisme ambiants.

Les attentats de Bruxelles de mars 2016

« Un acte islamophobe par jour après le 22 mars » titrait la Libre en juillet dernier. Comme nous le disions, si les chiffres pour 2016 ne sont pas encore connus, le collectif contre l’islamophobie de Belgique a recensé environ 36 actes islamophobes durant la période du 22 mars au 22 avril. Ces dossiers renvoient à des délits de haine (agression, incitation à la haine, appel au meurtre), à des discriminations et du harcèlement, à des propos haineux. Le CCIB montre que les vecteurs principaux de diffusion de ce racisme restent les médias et le net. Ces discours racistes s’entendent également dans les espaces publics et dans certains discours politiques… Ce dernier vecteur de diffusion est particulièrement inquiétant lorsque l’on connaît « l’impact considérable sur les mentalités et les passages à l’acte violent » constate le collectif.

Malgré l’effort de politiciens insistant sur l’importance de séparer terrorisme et communauté musulmane, l’image « du » musulman et « de la » musulmane a toutefois été fortement ternie. Les propos ministériels désastreux clamant la joie des musulmans de Belgique à l’annonce des attentats ont certes été violemment réprimés par certains, mais intériorisés par beaucoup d’autres. Le CCIB s’insurge évidemment contre cette image de la communauté musulmane mais dénonce surtout la « surdité sociale » à l’égard de la prise de parole de musulmans. Il recense une quarantaine d’organisations musulmanes ou proches des communautés musulmanes dénonçant publiquement les attentats. Selon le collectif, ces paroles de musulmans n’entrant pas dans « la représentation fantasmée du musulman », ne trouvent aucun écho sur les ondes médiatiques.

De l’insulte ou l’interdiction à l’exclusion

Replacés dans un tel contexte, les débats ouverts par la NVA début août autour de l’interdiction du burkini sur nos plages font peur. Trouble à l’ordre public, repli identitaire, atteinte à l’égalité des genres, ou encore frein au vivre-ensemble entend-on. Des arguments qui vont à l’opposé des arguments initiaux d’Aheda Zanetti, créatrice de l’habit : « J’ai créé le burkini pour donner plus de liberté aux femmes, non leur reprendre »[1]. Il s’agissait de permettre aux femmes de respecter leur conviction et de porter le voile tout en étant capables d’exercer une activité sportive. Et la créatrice a bien compris les dérives que peut prendre l’interdiction d’un tel habit : « Si vous divisez le pays, que vous n’écoutez pas, et que vous ne travaillez pas à une résolution, il va forcément y avoir des gens en colère. Mettre les gens de côté, les isoler, ça n’est certainement pas une bonne chose à faire, pour quelque politicien que ce soit, dans n’importe quel pays »[2].

En effet, il va sans dire que ce climat islamophobe a un réel impact sur le quotidien des hommes et femmes musulman-e-s. Sentiments d’exclusion, de honte, d’infériorité, faible estime de soi, vengeance, peu de confiance dans les institutions, protestation, désir de repli communautaire, … les réponses émotionnelles et sociales sont nombreuses et variées. Elles entraînent d’ailleurs un cercle vicieux : comme les différents rapports le notent, très peu de personnes portent réellement plainte et entreprennent les démarches pour diminuer les actes islamophobes. Selon Muslims’ Rights, cela est dû à trois facteurs principaux : le fatalisme (ma démarche ne servira à rien), le manque de preuve (prouver une discrimination reste en effet très difficile), le manque de confiance dans le système judiciaire belge (idées de corruption et de complot laissant penser que jamais un musulman ne gagnera son procès). Difficile dans ces conditions de dresser des statistiques fiables de l’islamophobie en Belgique. Les rapports comme précédemment cités restent toutefois à encourager : débanaliser les insultes et discriminations, montrer à quel point ces dernières nuisent aux victimes et comment elles entretiennent un lien étroit avec les réponses individuelles et sociales non acceptables (croyance au conspirationnisme, repli communautaire, désir de vengeance) restent des priorités actuellement pour briser le cercle vicieux de l’exclusion sociale.

Rapport Muslims’ Rights Belgium http://www.je-participe.be/sites/default/files/rapportannuel2014.pdf

ENAR http://www.enar-eu.org/IMG/pdf/forgottenwomenpublication_lr_final_with_latest_corrections.pdf

http://unia.be/files/Unia_Rapport_2015_opmaak_FR_AS.pdf

http://www.slideshare.net/CCIB/islamophobie-en-belgique-1-mois-aprs-le-22-mars-2016?from_action=save

[2] “If you are dividing the nation and not listening and not working towards something you are naturally going to have someone who is going to get angry. If you are pushing people away, and isolating them – this is definitely not a good thing for any politician to do, in any country”. 

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