Le beau défi de l’asbl SIMA : Intégrer et vivre ensemble

Rédigé le 3 décembre 2014 par : Hervé Narainsamy

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Nous fêtions récemment l’anniversaire des immigrations marocaine et turque en Belgique. C’est pourquoi nous avons souhaité vous proposer le portrait d’actions citoyennes portées par les migrants eux-mêmes. Dans ce cadre, j’ai eu le plaisir de rencontrer Ali Cicek, directeur de l’asbl SIMA depuis 2004.

« Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition » Montaigne 


Quelques mots sur ce militant du vivre-ensemble : arrivé à 21 ans en Belgique, il est alors aidé par SIMA, qui existe depuis 1983 et qui l’aide à s’orienter. Il obtient d’abord un graduat en électricité mais la vocation sociale qu’il porte en lui le pousse à passer un graduat d’assistant social et, ensuite, une licence en sciences du travail. Il entre à l’asbl en 1997.

Ali retrace pour nous l’histoire de SIMA, des origines à nos jours et au-delà, évoquant le travail accompli, les difficultés, les réussites, les défis à venir.

Aux origines de SIMA

Les premières migrations turque et marocaine vers la Belgique ont lieu vers 1964. Dans un premier temps, les migrants qui viennent travailler, principalement des hommes, ont dans l’idée de retourner au pays ensuite. Ce n’est que 10 ans plus tard que naît le désir de s’installer dans le pays d’accueil et de procéder à des regroupements familiaux.

Certains des migrants s’adaptent à leur nouvelle patrie. D’autres, une majorité, éprouvent des difficultés à s’intégrer. C’est dans ce contexte que naît SIMA. SIMA signifie Service d’Intégration et d’Insertion – Mission Action[1].

Les fondateurs sont des Turcs principalement issus des mouvements syndicaux (CSC en particulier), progressistes et laïques. Bien sûr, existait déjà, alors, toute une vie associative turque et turcophone mais les fondateurs souhaitaient créer une structure plus large, ouverte à tous les travailleurs issus de l’immigration, au-dessus de la diversité associative souvent communautaire, au-delà des clivages ethniques ou religieux.

L’urgence était d’offrir un service direct, pratico-pratique, aux migrants turcophones (et pas seulement Turcs !) : d’une part, les aider à gérer les difficultés administratives et quotidiennes liées à la non-maîtrise de la langue. Pour ce faire, il s’agissait d’organiser des cours de français ; d’autre part, les former pour leur donner accès à une plus grande diversité de métiers.

Mutation et travail social

En 1997, l’asbl connaît une dissolution et une adaptation de fond. Les attentes des pouvoirs subsidiants changent. Il s’agit d’aller au-delà de l’accueil et du soutien aux migrants, il faut travailler plus activement à l’insertion socio-professionnelle. On le sait, les migrants sont triplement frappés par la précarité professionnelle, d’abord parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue, ensuite parce que (du coup) ils n’ont pas de diplôme et évidemment parce qu’ils n’ont pas l’expérience, souvent requise. Bref, c’est ainsi que SIMA décide la création d’ISPAT (Insertion socio-professionnelle – Action Travail)[2], l’une maintenant son axe d’éducation permanente, la seconde se spécialisant dans l’insertion socio-professionnelle.

1997 est également une date charnière dans la mesure où l’on assiste à un élargissement considérable du public cible. Fréquentée principalement par des turcophones et des Marocains au départ, l’asbl finit par compter, en son sein, jusqu’à 15 nationalités différentes, selon les années et les flux migratoires. On y trouve aussi Tchétchènes et Russes.

Evidemment, le travail social doit désormais s’élargir avec les nouveaux défis qu’apporte son public : il ne s’agit plus seulement d’accueillir et d’encadrer mais également de travailler avec les migrants sur la mixité, mixités culturelle, religieuse, sexuelle, intergénérationnelle et sociale.

SIMA se veut un espace de rencontre où les migrants sont invités à entrer en interaction avec d’autres cultures que la leur, à réfléchir sur les stéréotypes et les préjugés, afin de construire un vivre-ensemble.

L’heure des réalisations

L’accompagnement des femmes, défi majeur, porte ses fruits. Souvent, les femmes de migrants ne travaillent pas et sont seules, s’occupant seulement des enfants et du ménage. SIMA développe, pour elles et avec elles, des points de repères qui leur apportent une certaine émancipation. Le projet « permis de conduire » par exemple, qui permet à celles-ci de prendre de l’indépendance par rapport aux hommes et aussi de satisfaire des désirs personnels de sociabilité comme, tout simplement, sortir pour passer du temps avec leurs amies. Ali Cicek a produit une étude à ce sujet et qu’il a intitulée, avec humour : « L’émancipation de la femme turque passe-t-elle par le volant ? ».

Autre satisfaction de SIMA : tous ceux qui, passés par l’asbl, ont pu être conduits jusqu’à une insertion professionnelle ou des cours de promotion sociale.

SIMA est fière également de sa proximité avec les migrants : se rendre proche et disponible pour tous ceux qui viennent frapper à la porte de l’asbl, quelle que soit leur origine.

Le travail sur la parentalité est encore un projet important pour SIMA ces dernières années : faire comprendre aux parents que l’analphabétisme, par exemple, n’est pas une barrière infranchissable dans l’accompagnement et l’éducation de leurs enfants ; montrer à ces parents précarisés que la proximité affective peut déjà constituer un soutien et un repère puissants pour des enfants de migrants.

On peut citer enfin la participation de SIMA à l’organisation de la « semaine de la dignité humaine »[3] ou des journées associatives aux intitulés évocateurs : « 1001 visages », « 1001 paroles pour se dire », « 1001 regards », « 1001 mains », « 1001 diversités d’histoires », « 1001 histoires de la diversité ».

Les défis à venir et messages aux politiques

On sait que, vers 2020, nous connaîtrons un afflux important de nouveaux migrants, principalement espagnols et bulgares (estimés à 12.000 par an), peut-être aussi des groupes venus des Proche et Moyen-Orient. Il faut dès à présent amener le secteur à préparer cette venue et l’accueil de ces primo-arrivants. À l’heure actuelle, Bruxelles manque cruellement de crèches, d’écoles, de logements sociaux. Le secteur associatif est donc déjà sur le pont, pendant que notre gouvernement choisit, encore et encore, l’austérité.

Les élections de 2019 seront dès lors cruciales ! Elire un gouvernement qui ne prendrait pas la paix sociale au sérieux serait une catastrophe collective. Autrement dit, il s’agit de comprendre dès aujourd’hui qu’on ne peut pas lâcher le travail social de proximité sous prétexte de budget ; on ne peut pas affaiblir les moyens de couches de population déjà en souffrance, sauf à vouloir l’implosion.

Par ailleurs, il y a des options politiques qui culpabilisent les migrants, qui les stigmatisent en les présentant à l’opinion publique comme des parasites paresseux car, bien sûr « quand les opprimés se font la guerre au nom de l’origine, les oppresseurs ont la paix pour faire affaire, c’est-à-dire des affaires »[4]. Mais, pour avoir travaillé avec eux, auprès d’eux, Ali et tous ceux du monde associatif savent bien qu’il n’en est rien : les immigrés travaillent et souvent dans des secteurs à haute pénibilité. La question n’est pas donc pas d’abord celle de politiques d’immigration mais bien celle de l’intégration et d’une décente distribution des richesses produites pour construire et maintenir une paix sociale.

A beaucoup de points de vue, l’immigration est source d’enrichissement pour nos sociétés. Encore faut-il y croire et s’en donner politiquement la peine. Si, soi-disant on n’a pas assez de main-d’œuvre, si on choisit de délocaliser, c’est peut-être parce qu’on ne souhaite pas investir ici pour intégrer, former et payer décemment ceux qui ont émigré chez nous par nécessité. Les gouvernements à venir seront-ils à la hauteur morale de ces défis ? Ali, et il n’est pas le seul, se demande si les politiques de demain auront le courage – car il en faudra – et la dignité d’être fidèles à la Constitution et de placer l’être humain, tous les être humains, au centre de leurs préoccupations. On peut toujours rêver…

« Fanon, donc, qui, dans les dernières lignes de son premier livre, Peau noire, Masques blancs, lançait cette interpellation dont l’écho résonne encore dans notre présent : "Supériorité ? Infériorité ? Pourquoi tout simplement ne pas essayer de trouver l’autre, de sentir l’autre, de me révéler l’autre ? Ma liberté ne m’est-elle donc pas donnée pour édifier le monde du Toi ?" Et d’ajouter : "Qu’il me soit permis de vouloir l’homme, où qu’il se trouve". Tel est le chemin qu’il nous faut réemprunter, retrouver, réinventer »[5]

Merci à SIMA et à son équipe pour leur engagement citoyen. Merci à eux de vouloir l’homme, où qu’il se trouve et, par là, de construire le vivre-ensemble de demain.

 

 


[1] Leur site : www.simaasbl.be

[4] PLENEL (Edwy), Pour les musulmans, Paris, Éditions La Découverte, 2014, p. 26.

[5] Idem, p. 125.

 

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