La foi chrétienne, frein ou incitateur à la violence ?

Rédigé le 20 décembre 2013 par : Marie Peltier

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Depuis une quinzaine d’années, la religion fait un « comeback » retentissant sur la scène médiatique. Et si ce réinvestissement de l’espace public peut paraitre étonnant, force est aussi de constater qu’il se fait sur fond de revendication identitaire, de fondamentalisme, de violence. Comment dans ce contexte appréhender le rapport entre foi et violence ? La foi ou la croyance est-elle source de violence ou au contraire, comme les religions ont tendance à l’avancer, sont-elles une voie pour la paix entre les humains ? Cette analyse s’attardera à cette question en prenant comme angle celui de la tradition chrétienne, même si les questionnements formulés peuvent aussi concerner les autres traditions religieuses.

En préalable, il convient de souligner que les termes « foi » et« croyance » ne sont pas des évidences et qu’ils font eux-mêmes débat, spécialement au sein des églises chrétiennes. La foi pour le chrétien est bien plus qu’un simple ensemble de croyances, puisqu’elle est « la relation à Dieu dont il reçoit la Parole (…); elle est d'abord lien à Jésus-Christ qui nous révèle Dieu... Croire en Dieu pour le chrétien c'est croire qu'il est le fondement même de son existence. »[1]Il y a donc une distinction fondamentale pour le chrétien entre la foi, véritable socle de la vie,  marquée par son intangibilité en Dieu, et les « croyances », simples adhésions humaines à des thèses pouvant être multiples et mouvantes. Par ailleurs, dans le Christianisme, foi et religion ne se confondent pas, cette dernière étant définie comme « l’ensemble de rites, de pratiques, de prières par lesquels un peuple, ou une société, a coutume d'exprimer son lien à Dieu, à la divinité, ou au sacré. »[2] . Nous ne nous attacherons pas à ces différentes distinctions dans notre analyse, mais tenterons de voir quel rapport entretient la foi chrétienne avec la violence, et comment ce rapport imprègne la relation de la religion chrétienne au monde qui l’entoure.

Violence et religion, un lien intrinsèque ?

Le premier élément de réflexion important à relever est que le rapport entre religion et violence commence dans la religion elle-même. Il y a donc là une interpellation lancée aux traditions religieuses elles-mêmes, amenées à s’écarter de l’idée selon laquelle la violence serait « extérieure » à la religion ou à la foi, telle une contamination venant du dehors.

La « croyance » de laquelle  l’Eglise, entre autres, devrait se départir est que la foi produirait un rapport immédiat avec la douceur et la paix. La foi n’est pas une garantie protégeant a priori contre les pulsions et les actions violentes. Etant par essence ancrée dans les réalités humaines et concernée par elles, on peut considérer qu’aucune de ces réalités ne lui est étrangère. La violence fait donc partie de la foi, qui est appelée en quelque sorte à « rendre des comptes » face à un phénomène qui n’est pas quelque chose d’extérieur à elle (« en face de »), mais d’abord en elle (« à l’intérieur de »).

Dans leur discours public, les chrétiens peuvent avoir tendance à se décrire comme « extérieurs » au monde qui les entoure, comme s’ils étaient « en face de » lui. Or, la foi chrétienne, dès ces fondements évangéliques, s’est ancrée « au cœur » du monde, et a été formulée dans une perspective universelle (concernant tous les hommes). Cette tendance présente chez certains chrétiens à concevoir les « dérives » du monde comme un corps étranger, à combattre de l’extérieur, peut contribuer à masquer (« refouler ») leurs propres dérives, cette violence intrinsèque à toute réalité humaine. On assiste donc fréquemment à une forme de déni de personnes chrétiennes vis-à-vis du caractère violent d’un certain discours religieux, rendu public sous une forme « excluante » et « clivante ».

L’interprétation littérale des textes, vecteur de violence ?

Un autre enjeu fondamental qui refait actuellement surface est celui concernant la manière de lire les textes (« Ecritures Saintes »). Parallèlement à la montée d’un Islam littéraliste, on assiste ces dernières années à l’intensification des courants fondamentalistes chrétiens. A cet égard, il importe de rappeler que la genèse du changement moderne dans l’interprétation des textes correspond à l’émergence de la démocratie et de la liberté de  penser.  Or à l’heure actuelle, l’ignorance de beaucoup de Chrétiens en la matière est un véritable défi, car il peut correspondre à un vrai « retour en arrière » concernant le rapport aux « écritures saintes ». Derrière cette méconnaissance des textes sacrés et de la manière de les interpréter, se cache l’enjeu de l’usage des textes (violents et autres).

Sans mise en perspective des écrits bibliques, les chrétiens peuvent y trouver toutes les «  justifications » possibles à toute prise de position ou tout engagement. Comment dans un tel contexte rendre possible un exercice « éclairé » de la conscience individuelle et la faculté de pouvoir exercer sa liberté de pensée, comme le contexte démocratique devrait l’exiger ?  L’enjeu pour les communautés chrétiennes est de ne pas abandonner une approche dialectique de leurs propres positionnements. Cette approche concerne au premier rang l’interprétation des textes bibliques, avec toutes les projections dont ces derniers peuvent faire l’objet.

Or, nous réassistons depuis une vingtaine d’années à un regain des lectures de type « fondamentaliste » des textes sacrés, tant dans les nouvelles églises protestantes que dans beaucoup de nouvelles communautés catholiques. Plus généralement, il s’agit d’un renforcement d’un rapport dogmatique et identitaire à la foi chrétienne. Un renforcement du manichéisme « nous » et les « autres » est dès lors à l’œuvre, avec comme « lignes de démarcation »  l’application – réelle ou imaginée – de tel ou tel « prescrit ». Dans cette dynamique, l’interprétation littérale devient un outil de « condamnation » et de « justification », fomentant un rapport violent – car désincarné –  à la « vérité ».

 La « concurrence » religieuse, source de dérives identitaires ?

Tout au long de l’Histoire, on a pu remarquer qu’il n’y a que relativement peu de paix entre les religions. Le risque pour le Christianisme, est d’entrer dans une logique de rivalité et de concurrence, ce qui est la position la plus incompatible avec l’Evangile. Or, cette dérive est très présente actuellement.

La conséquence et le risque sont que l’on assiste aujourd’hui à l’instrumentalisation de la liberté religieuse, dans le sens d’une « ambition religieuse publique ». Conjointement à la montée du fondamentalisme religieux, on voit dès lors se multiplier depuis plusieurs années des « marqueurs identitaires » de plus en plus affirmés dans la sphère publique. Comme s’il s’agissait d’exister en tant que minorité « visible » et d’attacher à cette « reconnaissance » sociale une série de revendications, à la manière d’un lobby tentant d’influer sur le plan sociétal.

Sans sous-estimer l’hostilité régnant dans certains cercles de laïcité ou d’athéisme militant, le défi pour le Christianisme et les églises chrétiennes semble aujourd’hui de ne pas entrer dans une surenchère d’auto-défense ou d’offensive publique.

Le défi opposé aux églises est donc de parvenir à endosser une fonction d’initiation à la démocratie plutôt que de peser sur les rapports de force inhérents à la démocratie. Car en amont de la liberté religieuse, il y a la liberté de penser, sur laquelle le Christianisme ne peut faire l’impasse. Comment pourrait-il revendiquer sa place au sein d’une démocratie pluraliste sans amorcer un processus de démocratisation en son sein ? Voilà sans doute un des enjeux fondamentaux pour les communautés chrétiennes dans un avenir proche.

 Le rapport de la religion chrétienne à la violence dans l’avenir dépendra sans doute de sa capacité à se positionner de manière adéquate dans une société devenue multi-culturelle et multi-confessionnelle. A la posture victimaire que l’Eglise semble parfois adopter, les communautés chrétiennes sont peut-être aujourd’hui plus que jamais invitées à une remise en question sur leurs propres fonctionnements et leur propre rapport à la violence. La foi chrétienne pourrait alors remplir pleinement le rôle qu’elle entend pouvoir jouer : être, aux côtés des autres traditions philosophiques religieuses, une source de paix entre les humains.

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