L’interdiction du port du voile intégral, ou quand le législateur prend part à la mêlée

Rédigé le 27 janvier 2014 par : Guillaume Sneessens

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Sauf ordonnance de police préalable, Saint-Nicolas et Père Noël sont interdits en rue, ou dans tout autre espace accessible au public.

Ce week-end, j’ai rendu service à un ami. Déguisé en Saint-Nicolas, j’ai marché jusqu’à la porte de sa  maison, rejoignant une fête de famille où le patron des écoliers était attendu. Je portais une fausse barbe touffue qui dissimulait mon visage pour que, bien évidemment, les enfants qui me connaissent par ailleurs, ne puissent m’identifier. Les enfants ne m’ont pas reconnu. Après la fête, je suis reparti par la rue.

J’étais indiscutablement en infraction, l’article 563bis du code pénal énonçant :

« Seront punis d'une amende de quinze euros à vingt-cinq euros et d'un emprisonnement d'un jour à sept jours ou d'une de ces peines seulement, ceux qui, sauf dispositions légales contraires, se présentent dans les lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie, de manière telle qu'ils ne soient pas identifiables.

Toutefois, ne sont pas visés par l'alinéa 1er, ceux qui circulent dans les lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie de manière telle qu'ils ne soient pas identifiables et ce, en vertu de règlements de travail ou d'une ordonnance de police à l'occasion de manifestations festives. »

Cet article a été inséré dans le code pénal par la loi du 01/06/2011, dite « loi visant à interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage ». Incontestablement, il ressort des débats parlementaires, des débats publics, et des échos dans la presse, qu’elle visait surtout à interdire – sans pouvoir le dire – le port du voile dit « voile intégral » (burqa, niqab, çarsaf). Cependant, basé sur un prétexte de sécurité, l’article de loi a un champ bien plus large et vise toute personne ayant « le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie ».

La naissance d’un « problème »

L’espace public est un lieu de confrontation symbolique. Une minorité culturelle en besoin de reconnaissance aura tendance à marquer l’espace public de sa présence, pour exister et se voir reconnue. Si la place qu’elle revendique lui est contestée, ou si la place qu’elle revendique semble menaçante pour d’autres, à raison ou par ignorance, cette démonstration soudaine sera mal perçue et créatrice de tension et de rejet. Lesquels ne feront qu’amplifier le phénomène.

L’émergence d’un « problème du voile » dans les 10 dernières années illustre parfaitement le besoin de reconnaissance des musulmans dans les pays européens, et notamment en Belgique.  Très visibles, attirant le regard, les femmes se drapant dans un voile intégral feront parler d’elles. Le voile stigmatisera rapidement les peurs de la population, voire les fantasmes.

Le thème est d’abord porteur électoralement.  C’est en 2002 qu’apparaissent les premiers règlements communaux assez disparates, en Flandre, visant spécifiquement l’interdiction du port du voile intégral. Le Vlaams Blok en fait un cheval de bataille, puis d’autres partis, jusqu’à ce qu’en 2011, le législateur fédéral estime devoir légiférer.

Dans un tel contexte, l’intervention du législateur est-elle une solution, ou au contraire, une prise de position partisane qui renforcera le besoin de reconnaissance de la minorité visée ? Une descente dans la mêlée ne fera-t-elle pas qu’aviver les tensions ?

La réponse de l’Etat : une loi hypocrite

Impossible bien entendu de créer une loi visant spécifiquement les musulmans, et donc spécifiquement le port du voile, sans écorner sérieusement la Constitution, les principes de liberté et d’égalité, et les droits de l’Homme.

Il fallait, pour ne pas enfreindre les normes constitutionnelles et supra-étatiques, et donc se risquer à une évidente sanction des cours et tribunaux, adopter une loi qui soit suffisamment générale. Il fallait en outre, pour qu’une entorse à la liberté de religion notamment puisse être justifiée, que l’interdiction soit fondée sur des raisons de sécurité publique, de protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou de protection des droits et libertés d’autrui.

Le port du voile intégral a donc été interdit au moyen d’une législation tout-à-fait générale, interdisant à tout citoyen de se cacher le visage, pour des raisons de sécurité publique.

Et pourtant, concernant la sécurité, le Ministre de l’Intérieur a dit explicitement en répondant à une question parlementaire : « Il n’existe aucun indice d’un lien entre le port de la burqa et la criminalité ou un comportement menaçant l’Etat. Comme l’a montré le débat à la Chambre, le port d’une burqa constitue surtout un problème pour la dignité humaine et l’égalité des sexes. » La sécurité est donc bien un prétexte utilisé pour fonder une législation qui a d’autres objectifs.

C’est ainsi que, dans le pays du surréalisme, déguisé en Saint-Nicolas, j’ai enfreint la législation visant à interdire le port du voile intégral.

Pour autant, risquais-je quelque chose ? Le motard portant un casque lorsqu’il n’est pas sur sa moto, la personne avec une cagoule ou une écharpe et un bonnet lui couvrant le visage, Père Noël et Saint-Nicolas, seront-ils poursuivis pour les infractions commises ? Il y a lieu d’en douter. La création de la loi a été hypocrite, son application le sera probablement également.

Une loi qui ne remplit aucun des buts prétendument poursuivis

Le débat a été porté devant notre Cour constitutionnelle, laquelle a validé la loi, à une petite exception près : le port du voile doit être admis dans les lieux destinés au culte, même si c’est un lieu accessible au public.

La Cour a justifié la loi sur base de trois objectifs présentés par le législateur : la sécurité publique, l’égalité entre l’homme et la femme et une certaine conception du « vivre ensemble ».

Je n’entrerai pas dans une analyse juridique de la question. Mais pragmatiquement, la loi est-elle une avancée quant aux objectifs visés ?

L’argument de la sécurité n’était qu’un prétexte. Néanmoins, la loi apportera-t-elle plus de sécurité ? Je crains qu’il ne faille être sceptique.

Comme l’a dit le Ministre de l’intérieur au cours des débats, aucun indice ne permet de démontrer que le port du voile intégral ait jamais porté atteinte à la sécurité. En outre, il n’avait jamais été jugé utile d’interdire de porter des vêtements cachant en tout ou en partie le visage, alors que cela a toujours existé sans choquer, avant le problème religieux ou culturel minoritaire du voile intégral. Enfin, la personne qui voudra commettre une infraction, et donc créer réellement une atteinte à la sécurité,  ne se sentira pas empêchée de se cacher le visage, avec quelque moyen que ce soit, de par le simple fait qu’il existe une nouvelle infraction dans un article de loi dont le but réel est de lutter contre le port du voile.

L’argument de l’égalité entre l’homme et la femme n’est pas mieux rencontré. Qui pourra prétendre que concrètement, dans les foyers où les femmes ne bénéficient pas d’une situation d’égalité avec leur mari, la loi aura changé quoi que ce soit ? On ne s’attaque en rien au mal, juste à son expression en public. S’il y a inégalité, elle demeurera, mais en privé. C’est une manière de se donner bonne conscience à moindre frais : « cachez ce sein que je ne saurais voir ». En outre, c’est la victime de l’inégalité qu’on pénalise. Cela n’est pas sérieux.

Une loi qui avive une stigmatisation

Il reste un argument : une certaine conception du vivre ensemble.

Ma conception du vivre ensemble est que, lorsqu’une minorité s’exprime d’une façon qui fait peur à un grand nombre, sans pour autant lui causer de tort, le rôle du législateur n’est pas de créer une infraction pénale à l’encontre de cette petite partie de la population.

Ma conception du vivre ensemble est que, lorsqu’il existe des tensions entre citoyens ou résidents d’un même pays, il n’appartient pas au législateur de porter un débat populiste qui stigmatisera la minorité.

Ma conception du vivre ensemble est qu’il appartient à l’Etat de se trouver au-dessus de la mêlée, d’éduquer, de tirer vers le haut.

Hélas, ce n’est pas le choix qui a été fait, au contraire. En justifiant une loi par des questions de sécurité, le législateur a donné le sentiment de criminaliser la religion ou la culture musulmane. En parlant d’égalité entre les hommes et les femmes, le législateur a donné le sentiment de considérer la culture ou la religion musulmane comme moins évoluée(s).

En d’autres termes, le législateur a avivé les tensions, sans rencontrer aucun des objectifs qu’il disait poursuivre. Certes, une certaine frange de la population a sans doute été contentée. Provisoirement.  

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