Enseignement religieux, philosophique, cours de citoyenneté, que proposent nos voisins ?

Rédigé le 20 décembre 2016 par : Anne-Claire Orban, Groupe Laïcité-Islam

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Education à la citoyenneté, enseignement du religieux ou de la morale, la Belgique n’est pas seule à débattre autour de l’enseignement du religieux dans ses écoles. Comment nos voisins traitent-ils cette question ? Quels modèles ont-ils mis en place pour garantir la liberté de conviction des élèves ? Peuvent-ils devenir une source d’inspiration ?

Un phénomène européen

« Dans les écoles de la quasi-totalité des pays d’Europe, il existe des cours spécifique consacrés aux religions durant les différents stades du cursus scolaire. [… L’organisation de ces cours évolue] sous la pression de la sécularisation et d’une diversité religieuse accrue » peut-on lire dans le rapport « Des maitres et des dieux, écoles et religions en Europe ». Il apparait que l’ensemble des pays d’Europe rencontrent trois défis identiques : 1- la diversification religieuse et philosophique de la société avec tous les enjeux liés à la reconnaissance officielle ou non, 2- la visibilité croissante de l’islam. En effet, tant que le christianisme constituait l’interlocuteur principal de « la laïcité », il existait peu de remise en question. L’un et l’autre s’accommodant facilement. La visibilité croissante de l’islam, depuis quelques années, amène à questionner le mode de fonctionnement laïque que nous connaissions jusqu’alors.  3- Le questionnement autour de l’enseignement du fait religieux à l’école. Troisième défi découlant directement des deux premiers : comment dans une société multi-convictionnelle garantir la liberté d’accès des jeunes à toutes ces convictions reconnues tout en conservant un programme de cours cohérent. Comment et pourquoi leur permettre de continuer à réfléchir aux questions spirituelles et religieuses dans un cadre scolaire ?

Que la Belgique se trouve face à de tels questionnements aujourd’hui semblait donc attendu.

Il est intéressant de noter que si les défis semblent similaires, les réponses varient selon les territoires nationaux. L’histoire du pays et le rapport national à la religion expliquent en grande partie les choix politiques posés en matière d’enseignement. Jean Beaubérot explique ainsi qu’il n’existe pas un seul modèle de laïcité (qui serait la « laïcité à la française ») mais bien une pluralité de modèles de laïcités. Trop souvent pris comme exemple, le modèle français n’illustre qu’un cas parmi d’autres. Ce penseur distingue 1- les finalités de la laïcité  (inscrite dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme) qui sont la liberté de conscience et la non-discrimination pour motif religieux et 2- les moyens de la laïcité qui sont la neutralité de l’Etat et la séparation des pouvoirs politiques et religieux. Une étude comparative des modèles mis en place pour assurer ces finalités communes est intéressante pour se détacher de la référence à la laïcité française, exclusive, tendant vers l’exclusion et le racisme en se rendant compte de la diversité des dispositifs existants.

La laïcité déclinée en 4 idéaux-types

Jean Beaubérot propose pour cette étude comparative, quatre idéaux-types de nations laïques, idéaux-types créés en fonction du rapport historique à la religion sur les territoires donnés et sa place dans les différentes luttes d’émancipation.

1. Dans un premier groupe se retrouvent les pays où la religion a représenté un contre-pouvoir quand le territoire était administré par une puissance étrangère, promouvant une autre religion. On peut citer l’Irlande, la Pologne, la Bulgarie, la Grèce et la Roumanie. Dans ces pays, la religion garde une place symbolique (voire  politique) forte, même quand il existe des systèmes de séparation. En découle une certaine difficulté de fait à préserver la liberté de conscience et l’égalité parfaite des convictions.

2. Le second groupe renferme les pays qui se sont appuyés sur la religion dans le processus d’identification et de construction nationales. C’est le cas de l’Espagne, l’Allemagne ou l’Italie. Beaubérot parle alors de « séparation / collaboration » : l’Etat garantit la liberté d’opinion et de croyance et garde son rôle d’arbitre en évitant toute discrimination. Par contre, il existe un système de « coopération » via la reconnaissance de « cultes reconnus ». Dans les faits, il apparait que souvent en Europe, la religion catholique garde une place privilégiée. La Belgique se situe dans cet ensemble. Elle se trouve être le seul Etat reconnaissant sur le même pied les convictions religieuses et la laïcité organisée.

3. Le Royaume-Uni et les pays scandinaves constituent la troisième variante, dite moins laïque. L’Angleterre et l’Ecosse connaissent encore des religions établies, et le Danemark, une religion nationale. La religion dominante sur ces territoires prend une double dimension : d’une part celle d’une « religion civile », symbolisant l’identité nationale et entretenant des liens privilégiés avec le politique tout en assurant une mission de « service public », et d’autre part, une « religion croyante », proposant des normes et pratiques  réservées à l’ensemble des fidèles, qui y adhèrent volontairement.

4. Si Beaubérot pointe les pays de l’ex-URSS, comme dernier groupe, nous préférons ajouter la catégorie représentant une laïcité plus exclusive, symbolisée par le modèle français. Pays s’étant construit contre la religion et gardant toujours une certaine réticence, voire animosité, envers le fait religieux, quel qu’il soit.

Ces quatre idéaux-types montrent clairement que le modèle de laïcité développé dépend de l’histoire nationale face au phénomène religieux. La forme que prennent les dispositifs encadrant l’enseignement du religieux dans les établissements scolaires dépend directement de ces équilibres nationaux entre Etat et religion. Une étude comparative de l’enseignement du religieux (ou tout autre domaine relevant du principe de laïcité) n’est pertinente qu’au regard des contextes nationaux spécifiques.

Laïcité et enseignement : étude de cas

Depuis la rentrée scolaire 2016-2017, nous accueillons dans nos écoles primaires publiques (subventionnées – CEPC et organisée – FWB) et libres non confessionnelles qui le souhaitent (FELSI) un cours de philosophie et citoyenneté[1]. Ce cours remplace une partie des cours confessionnels, dispensés dans nos écoles publiques suite au Pacte Scolaire de 1959 et de morale. Il se donne pour objectifs d’éduquer les élèves à la philosophie, l’éthique et la démocratie et au bien-être de chacun dans le but de favoriser le vivre-ensemble en Belgique. La Belgique se trouve à l’intersection entre une approche séculière de la religion et une approche théologique (des cours de religion sont toujours dispensés et supervisés par l’Eglise) ou non confessionnelle laïque (cours de morale). Les débats autour de cet enseignement montrent à quel point la question est épineuse… Qu’en est-il chez nos voisins ?[2]

L’Angleterre

En Angleterre, « toutes les écoles financées par l'État doivent enseigner l'éducation religieuse (le terme éducation est préféré à celui d’enseignement) aux élèves de 6 à 18 ans : écoles publiques dirigées par les pouvoirs locaux, écoles subventionnées, académies, écoles libres (non confessionnelles) ou à caractère religieux. ». Il est à noter qu’en Angleterre, il existe une religion d’Etat, l’anglicanisme, mais toutes les autres confessions qui respectent les valeurs chrétiennes participent à cette éducation. Depuis l’instauration du cadre national en 2004, l’éducation religieuse doit contribuer au développement spirituel, moral, culturel, mental et physique des élèves à l’école et dans la société ; refléter le fait que les traditions religieuses du pays sont principalement chrétiennes, dont une inspiration chrétienne pour l’assemblée quotidienne ; prendre en compte l’enseignement et les pratiques des autres religions représentées dans le pays ; permettre une compréhension claire de la signification des religions et des croyances dans le monde d’aujourd’hui, en reconnaissant tant leurs similitudes que leurs différences.

L’élève est invité à acquérir tant des connaissances sur les religions choisies que des compétences et un sens critique face au fait religieux. La dispense semble être possible, mais difficile, et les enseignants ne sont pas dans l’obligation de suivre une formation pour dispenser ce cours. 

La Grèce

Dans un pays où l’Eglise orthodoxe est l’Eglise d’Etat, l’article 16 de la Constitution grecque stipule que « L’instruction (…) a pour but l’éducation morale, culturelle, professionnelle et physique des Hellènes, ainsi que le développement de leur conscience nationale et religieuse et leur formation comme citoyens libres et responsables »

La France

En ce qui concerne les rapports entre enseignement et religion en France, on retrouve dans le préambule de la Constitution de 1946, l’article suivant « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat » (art. 13). Bien que le principe de laïcité ne trouve jamais aucune définition claire dans les divers textes de loi, il renvoie toutefois à un rejet net du monde ecclésiastique. Au sein de l’enseignement public, nulle approche du phénomène religieux si ce n’est à travers différents cours de sciences humaines et sociales (histoire, philosophie, sociologie). Les enseignants doivent respecter la neutralité des services publics en n’arborant aucun signe d’appartenance religieuse.

L’Allemagne

Particularité en Allemagne, l’enseignement obligatoire, enseignement supérieur, la reconnaissance et gestion des cultes, sont des matières gérées au niveau des différents Länder. Ces derniers disposent du droit d’initiative de modifier leurs propres législations grâce à leur Chambre législative, mais dans le respect de la Loi fondamentale, et sous réserve de remarques ou objections de la part de la Cour constitutionnelle. La reconnaissance des Eglises (principalement protestantes et catholiques) en tant que « corporations de droit public » leur accorde notamment de gérer l’enseignement religieux confessionnel dans les écoles publiques.  

Au sein des écoles publiques allemandes - et en conformité avec l’article 79 de la Loi fondamentale de 1949 -, l’enseignement religieux est une matière scolaire ordinaire dans toutes les écoles, et il est dispensé « en accord avec les principes des communautés religieuses ». De manière tout à fait générale, l’enseignement religieux est traditionnellement limité au catholicisme et au protestantisme mais il existe depuis une bonne quinzaine d’années des offres alternatives pour les enfants à propos desquels une demande de dispense de tout cours d’enseignement religieux aura été introduite. L’enseignement de l’islam illustre un cas particulier : afin de limiter l’influence de pays tiers (notamment la Turquie) sur leurs territoires, la plupart des Länder organisent aujourd’hui un enseignement religieux musulman au sein même des écoles publiques.

Le Québec  

Une remarque inscrite dans le paragraphe sur la neutralité de l’Etat stipule que « l’attribution à l’école d’une mission émancipatrice dirigée contre la religion n’est pas compatible avec le principe de la neutralité de l’État entre religion et non-religion […] La liberté de conscience et de religion étant l’une des finalités de la laïcité, la neutralité de l’État devrait être con­çue de manière à favoriser son expression et non à l’empêcher. ». Il en découle que, depuis septembre 2008, les élèves du Québec doivent suivre un programme d’Éthique et culture religieuse (ÉCR). Enseigné à tous les niveaux du primaire et du secondaire à l’exception de la troisième secondaire, ce nouveau programme remplace l’ancien régime d’option entre les programmes d’enseignement religieux catholique ou protestant et le programme d’enseignement moral. Y sont mêlées connaissances sur la religion et compétences face au fait religieux. Il est obligatoire dans toutes les écoles privées et publiques du Québec (sauf les autochtones cris, inuit et naskapis) sans possibilité d’exemption. Les finalités de ce cours sont la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun. Le cours n'a aucun contenu obligatoire et ne comprend aucun examen.

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Que peut-on retirer de cette première comparaison ? On retrouve la tension entre d’une part les tenants d’une approche séculière du fait religieux : le cours de religion y aurait une valeur égale aux cours non convictionnels, comme cela est proposé en Angleterre.  L’humanisme ne prime en rien sur le religieux et la religion est abordée dans ses diverses manifestations avec les outils et méthodes des sciences humaines. Et d’autre part, les tenants d’une approche dite laïque d’abstention ou d’ignorance (rejettent le fait religieux dans la sphère privée), comme en France.

 Dans ce cas de figure, aucun espace n’est laissé au volet théologique. La religion, abordée sous l’angle historique et culturel, traverse une série de cours sans qu’aucun ne lui soit entièrement consacré. Entre ces deux modèles se retrouve une panoplie de dispositifs.

Ce rapide tour d’horizon des différents systèmes présents en Europe (et au Québec) permet de mettre en lumière les variantes en termes d’enseignement du religieux. Comme le notent les auteurs du rapport « Ni maitre, ni dieux », la tendance  générale en Europe est à la création de cours philosophiques abordant les religions sous l’angle socio-historique, privilégiant une approche à l’anglo-saxonne plutôt qu’à la française. Cela anticipe les difficultés qu’amène la reconnaissance de nouveaux cultes (et donc l’obligation d’en assurer l’enseignement) dans des sociétés où les confessions se diversifient. Cette approche séculière du fait religieux touche également les pays comme la Grèce et la Belgique où, certains enseignants tendent à déconfessionnaliser petit à petit leur cours de religion, afin de rendre ces cours accessibles à toute personne, de toute conviction. Le modèle allemand « flexible » permet également l’adaptation aux réalités locales et l’intégration de convictions multiples au sein de cet enseignement. On le voit, loin de représenter la norme, le modèle français reste un cas spécifique de la gestion du religieux sur le territoire.

La laïcité à la française n’est pas le seul modèle

Cette première analyse comparée des systèmes laïques permet d’abord de montrer qu’on ne peut comprendre le système d’enseignement du religieux qu’au regard de l’histoire nationale. Ensuite, loin de la binarité « Neutralité exclusive vs. Multiconfessionnalisme » qui trop souvent clôt le débat, il existe un large éventail de conceptions d’application de la laïcité dans l’enseignement.

Alors qu’il s’agit de questions renvoyant à la structure profonde, au fonctionnement global d’une société, de débats nécessaires dans un monde pluriel et diversifié, c’est malheureusement en Belgique (et en Europe) l’islam qui se voit sans cesse incriminé, vu comme responsable des tensions engendrées et du soi-disant « chaos » qui en découle.

Avec ses cours de religion dans les écoles publiques, le pacte scolaire de 1959, le financement de la laïcité organisée, son nouveau cours de philosophie et citoyenneté (EPC), la Belgique semble illustrer, au sein du groupe opérant une « séparation / coopération », un cas spécifique. Cette situation transitoire, avec les tensions qu’elle amène parmi les différents protagonistes, révèle les difficultés à penser l’enseignement du religieux dans notre Etat. L’apport de la comparaison avec d’autres Etats confrontés aux mêmes défis permet de mettre en avant différents modes de pensée, d’envisager différentes perspectives, autres que Française, d’ouvrir le débat pour penser les possibilités entre « neutralité exclusive » et « multiconfessionnalisme ».

Néanmoins, la tentation reste grande en termes philosophiques et économiques, d’une harmonisation a minima. Un cours d’éducation à la citoyenneté présenterait l’avantage d’un socle commun sur lequel s’appuyer. Cependant, l’inconvénient résiderait dans la relégation du développement spirituel ou religieux en dehors du système éducatif formel, dans une sphère privée qui exclut tout enrichissement mutuel. C’est une des spécificités des cours de religion actuels, en dehors de la reconnaissance des cultes qui y seraient liée.

C’est ainsi qu’à notre sens, la neutralité d’abstention/d’ignorance calquée sur l’approche française que l’on essaie d’appliquer en Belgique nous parait peu pertinente. On peut comprendre que l’identité française, et belge à moindre mesure, s’est forgée en partie dans un combat anticlérical (ou dans celui d’une liberté de conscience individualisée) et que toutes deux gardent certains ressentiments ou craintes face aux religions, alimentées par certaines dérives radicales actuelles. Cependant, nos sociétés laïques européennes restent confrontées aux défis de l’inter-convictionnalité, sans solution miracle, mais avec des réponses qu’on espère respectueuses des droits fondamentaux, réfléchies et articulées. Dans ce contexte, il est bon de revenir aux fondamentaux et de rappeler les finalités de la laïcité : garantir la liberté de conscience et la non-discrimination des citoyens. Le combat contre la religiosité n’est pas l’objectif de la laïcité. Loin de là.

Cette analyse a été rédigée dans le cadre du groupe de travail « Laïcité et Islam ». Une étude approfondie des systèmes voisins laïques sortira dans le courant de l’année 2017. Toute personne intéressée par la thématique, peut contacter Anne-Claire Orban en expliquant ses motivations à intégrer un tel groupe de travail.

Merci à Quentin, Sophie, François, Paul et Louis pour leurs apports et critiques toujours pertinentes.

 


[1] http://www.enseignement.be/index.php?page=27915&navi=4429

[2] Les cas concrets repris ci-dessous proviennent de travaux des membres du groupe « Islamophobie » de BePax. Ces travaux ne sont pas encore consultables à l’heure de cette analyse (décembre 2016).  

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