Critique du terme « diversité » : diversity washing et déshumanisation

Rédigé le 19 septembre 2019 par : Betel Mabille

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Il est devenu indéniable que le mot « diversité » est à la mode et se retrouve un peu dans toutes les bouches de personnes travaillant dans le domaine social et maintenant économique. Si les entreprises et associations ont compris les intérêts d’avoir une équipe composée de profils divers, il n’en reste pas moins que la « diversité » et ce qu’elle implique posent question.

En tant que personne racisée, le terme « diversité » a tendance à m’interpeller. Qu’est-ce que la diversité ? A quoi ce mot fait-il référence ? Quel sens a-t-il dans la bouche de ceux et celles qui le prononcent ? J’ai beaucoup lu sur la « diversité » mais la majorité des écrits sont produits par des personnes blanches et la manière dont la « diversité » est perçue m’a interpellée et m’a amenée à aller faire un tour du côté de la littérature militante anglophone.

Pour commencer cette réflexion autour du terme « diversité », je souhaite traduire l’introduction du texte « Use the word « diversity » to avoid really dealing with race »[1] (Utiliser le mot « diversité » pour ne pas parler de race/racisme) :

« Que pensez-vous quand vous entendez le mot « diversité » ? Peut-être imaginez-vous des personnes de différentes couleurs se tenant par la main ? Peut-être des enfants souriants de toutes les couleurs avec des t-shirts aux couleurs de l’arc-en-ciel ? Je vais vous dire ce que je pense quand j’entends le mot « diversité » : Je pense aux personnes blanches. Ce qui est drôle, parce que c’est exactement ce à quoi nous ne sommes pas censé.e.s penser quand on parle de diversité […] »

Cette introduction me semble révélatrice d’un problème qui se pose souvent dans la lutte contre le racisme : l’utilisation d’un terme par les personnes blanches luttant contre le racisme qui ne convient pas aux personnes victimes de racisme. Le terme « diversité » est de plus en plus brandi par les associations et les entreprises, mais dans quel objectif ? Que recouvre-t-il ? Cette analyse se concentrera sur l’utilisation du terme « diversité » dans le sens de « diversité raciale et culturelle » même si les réflexions posées peuvent probablement se transposer à d’autres thématiques.

La sémantique autour de la diversité nous apprend beaucoup sur la manière dont celle-ci est perçue. « Gestion de la diversité » ou « gestion des conflits interculturels » sont des termes renvoyant sans cesse à la diversité comme notion de conflit. Inclure des personnes racisées au sein d’une équipe pourrait donc amener à devoir les « gérer » ou à devoir gérer des situations conflictuelles perçues comme résultant de leur présence. L’utilisation de ces termes semble déjà expliquer en partie pourquoi la promotion de la « diversité » semble si problématique et pourquoi certain.e.s employeurs et employeuses y semblent si retissant.e.s. 

Pourquoi le terme « diversité » semble problématique ?

Tout d’abord, le terme « diversité » et les politiques de diversité semblent actuellement s’associer particulièrement bien aux politiques d’assimilation. L’idée d’intégrer des travailleurs et travailleuses aux profils divers s’accompagne parfois d’une volonté d’assainir les différences culturelles que ces personnes peuvent représenter par rapport à la population majoritaire. Par exemple, engager une personne musulmane ne mangeant pas de porc mais refuser qu’elle puisse avoir un repas adapté à la cafétéria.  

Cette volonté d’intégrer des personnes racisées dans une équipe uniquement pour promouvoir une diversité en entreprise s’apparente à ce que l’on appelle : le diversity washing. Il s’agit de l’idée d’utiliser la diversité comme étendard et comme image, mais de refuser de modifier la structure de l’entreprise en termes de possibilités, de recrutement, d’inclusion des personnes racisées. La diversité est alors perçue uniquement du point de vue esthétique et physique sans chercher à aller plus loin dans le processus. Afficher les photos d’une équipe composée de personnes blanches, noires, musulmanes, asiatiques, etc. sur le site internet d’une entreprise dans l’objectif à la fois de se donner une image d’inclusion et d’appâter de potentiel.le.s client.e.s mais de refuser que les personnes racisées puissent obtenir les mêmes possibilités en termes de salaire, de hiérarchie ou d’intégration est est donc problématique. Les personnes racisées sont utilisées comme étendard de la diversité, pratique qui me semble largement humiliante.

La diversité d’ordre racial ne se fait pas en cochant des cases de profils de personnes racisées. Une structure n’est pas « diverse » si elle a une personne noire, une personne arabe, une personne musulmane, une personne asiatique, une personne rrom, etc. Cette mentalité du « collect them all »[2] ou du token, ne s’apparente pas à de la « diversité » si les personnes racisées se retrouvent seules au sein de l’entreprise/association. Être la seule personne rrom, arabe, musulmane, noire, asiatique dans une organisation peut avoir des impacts à la fois en termes de discrimination structurelle et primaire qui prouvent que la diversité va au-delà d’une « collection » de personnes racisées.

De plus, les entreprises/associations vantant les mérites de la diversité restent néanmoins composées majoritairement de personnes blanches et la hiérarchie est rarement occupée par des personnes racisées. Les termes tels que « diversité » ou encore « interculturalité » sont donc interpellants s’ils proposent la blanchité comme norme et la diversité/interculturalité comme l’inclusion de l’hors-norme.

Vouloir intégrer des personnes racisées n’est donc pas suffisant. Mais les inclure et les représenter devient intéressant en termes de lutte contre le racisme. Il ne s’agit donc pas d’engager des personnes racisées uniquement car le profil est intéressant, il s’agit également de les soutenir en tant que travailleurs et travailleuses majoritairement discriminé.e.s sur le marché de l’emploi et subissant le racisme dans tous les aspects de leur vie, y compris sur le lieu de travail.

De la diversité à l’inclusion

Si le terme diversité pose problème dans la manière dont il est perçu, il pose également problème dans la manière dont il est appliqué. Parler de diversité n’a de sens que si la question de l’inclusion est également posée. Il n’existe évidemment pas un manuel de l’inclusion en entreprise mais à force d’organiser des formations autour de la « diversité » et en nous inspirant de modèles anglophones, il me semble primordial de faire attention à quelques principes :

  • Les opportunités

Les opportunités de carrière doivent être égales pour les travailleurs et travailleuses indépendamment de leurs race, genre, orientation sexuelle, etc.  Même si ce principe de non-discrimination et d’égalité semble basique, il est possible qu’une structure inclue des personnes perçues comme « issues de la diversité[3] » et semble les oublier par la suite en reproduisant des schémas de domination raciale maintenant ces personnes dans des situations professionnelles fixes empêchant toute possibilité de gravir les échelons de la hiérarchie.

  • Dépasser la représentation

Les entreprises et associations doivent transformer la question « Que puis-je faire pour que des personnes racisées intègrent mon équipe ? » en « Pourquoi des personnes racisées seraient intéressées à rejoindre mon équipe ? ». Le curseur est à déplacer pour que les personnes racisées puissent trouver un intérêt non pas uniquement professionnel mais également de respect et d’environnement sain à l’intérieur de la structure qui les emploie. Comme dit précédemment, si cela n’a pas lieu, nous nous retrouvons dans une situation où les entreprises souhaitent uniquement engager des personnes racisées en termes de représentation mais pas en termes d’inclusion. Il ne s’agit pas ici de partir du besoin des personnes racisées comme si celles-ci étaient en dehors de la société, mais de comprendre qu’inclure des personnes aux profils divers demande parfois un aménagement et une restructuration en profondeur de l’organisation.

  • Dépasser l’aspect économique et la plus-value

La « promotion de la diversité » se base souvent sur des études affirmant que plus une équipe est diverse, plus celle-ci obtiendra de meilleurs résultats[4]. Sans infirmer ces études, l’idée de placer des travailleurs et travailleuses uniquement en termes de plus-value économique peut poser question. Encore une fois, cette inclusion de travailleurs et travailleuses racisées ne se ferait dès lors que dans une volonté superficielle de diversité pouvant entrainer par la suite d’autres difficultés auxquelles les employeurs et employeuses n’avaient peut-être pas réfléchi. De plus, il y a là tout un côté déshumanisant envers les personnes racisées perçues uniquement comme valeur économique, et pire, comme valeur économique moins intéressante à première vue mais qui peut rapporter en termes de représentation.

  • La nécessité d’un environnement « safer »

Engager de nouveaux profils dans son équipe entraine de facto des situations problématiques, comme des situations de racisme. Une politique de diversité ne peut donc s’accompagner que d’une politique anti-raciste ferme (et plus largement d’une politique anti-discriminations) pour permettre à chacun et chacune de connaitre les limites à respecter et les propos/comportements à bannir.  Au-delà de l’aspect législatif condamnant le racisme, il en va également du bien-être en entreprise pour tout un chacun.e.

En conclusion, nous retrouvons un écart entre l’utilisation du terme diversité et ce qu’il recouvre réellement. Il serait important de créer une nouvelle sémantique ou d’utiliser d’autres termes ne renvoyant pas sans cesse à la norme et aux personnes marginalisées perçues comme vectrices de problèmes ou conflits. Si l’intérêt des personnes blanches pour la diversité se situe uniquement dans une perspective économique, cela ne permettra pas une réelle remise en question du racisme au sein de la structure. Certes, dans un système capitaliste avoir un emploi peut-être une manière de sortir la tête hors de l’eau mais si nous souhaitons une société plus juste et plus inclusive, faisons en sorte que cet emploi puisse promouvoir un environnement sain et respectueux pour les travailleurs et travailleuses déjà les plus fragilisé.e.s dans le monde du travail. 

[4] Anne-Claire Orban avait déjà mentionné plusieurs de ces études ici : http://www.bepax.org/publications/analyses/diversite-en-entreprise-entre-injonction-et-incertitudes,0000997.html et ici : http://www.bepax.org/publications/analyses/diversite-en-entreprise-au-dela-de-l-injonction,0001000.html 

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