À propos des prêtres d’origine africaine Quelle place au sein de l’Église catholique belge ?

Rédigé le 5 juillet 2019 par : Benjamin Kabongo Ngeleka ofm

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Depuis quelques décennies, la visibilité des prêtres d’origine africaine dans le paysage pastoral des Églises particulières d’Europe et spécialement de Belgique, est un fait établi. Point n’est besoin d’user de jumelles pour les repérer tant la couleur de leur peau suffit à les identifier aisément. En Belgique, leur proportion est d’autant plus élevée dans les diocèses francophones que nombre d’entre eux sont originaires de pays francophones. C’est confronté à la chute des vocations et à la décroissance du nombre de prêtres engagés dans la pastorale que, dans les vicariats du Brabant wallon et plus tard, à Bruxelles, l’on eut recours aux prêtres de Pologne et d’Afrique.

Depuis quelques décennies, la visibilité des prêtres d’origine africaine dans le paysage pastoral des Églises particulières d’Europe et spécialement de Belgique, est un fait établi. Point n’est besoin d’user de jumelles pour les repérer tant la couleur de leur peau suffit à les identifier aisément. En Belgique, leur proportion est d’autant plus élevée dans les diocèses francophones que nombre d’entre eux sont originaires de pays francophones. C’est confrontés à la chute des vocations et à la décroissance du nombre de prêtres engagés dans la pastorale que, dans les vicariats du Brabant wallon et plus tard, à Bruxelles, l’on eut recours aux prêtres de Pologne et d’Afrique.

Aujourd’hui, ils sont présents dans beaucoup d’autres diocèses de Belgique. La culture de la mobilité caractéristique d’une société mondialisée y est pour beaucoup même si les motifs de leur présence s’avèrent complexes et multiples au regard des quelques analyses2. En grande partie, ces motifs, sont liés aux études universitaires, au contexte des prêtres fidei donum3 et aux partenariats spécifiques entre les Églises locales. Outre ces prêtres diocésains, signalons la présence de religieux prêtres, membres des congrégations de droit diocésain et membres des Ordres et Instituts religieux internationaux qui, avec l’accord de leurs supérieurs respectifs, se trouvent en insertion pastorale. Le récent rapport de l’Église Catholique en Belgique de 2018 ne mentionne pas le nombre de prêtres diocésains belges ou non belges d’origine africaine actifs en pastorale. Par contre, il évalue le nombre des religieux non belges originaires d’Afrique et en mission en Belgique à 78, ceux originaires d’Amérique à 14, d’Europe à 60 et d’Asie à 314. Ce relevé n’inclut pas la catégorie de prêtres d’origine africaine qui, pour des motifs politiques (réfugiés) ou de santé, séjournent de manière temporaire ou définitive en Europe. Il en est de même pour ceux dont les motifs demeurent diffus et moins aisés à cerner. Dans le cadre de notre propos, il s’agira de faire état de la place que les Églises locales de Belgique réservent aux prêtres originaires d’Afrique investis d’une fonction pastorale.

Quelle dénomination pour les prêtres d’origine africaine ?

Quelle que soit la diversité des raisons de leur présence, comment désigner ces prêtres pastoralement actifs, incardinés ou non, ayant reçu une « mission » définie et encadrée ? Faut-il les désigner en fonction de la couleur de leur peau « prêtres noirs » ou en vertu de leur origine géographique, « prêtres du Sud », « prêtres étrangers », « prêtres allochtones », « prêtres immigrés », « prêtres importés », « prêtres internationaux » ou « prêtres venus d’ailleurs »? Àces questions, s’ajoute une autre, celle de leur statut exact. Sont-ils des « prêtres missionnés » ou « missionnaires » ? Derrière la pluralité des expressions pour désigner cette présence dans le presbyterium autrefois « homogène », se perçoit la recherche d’une terminologie respectueuse de leur identité propre. Celle-ci est loin d’être sans interférence avec des enjeux culturels, politiques, missionnaires et ecclésiaux. À titre d’illustration, l’expression de prêtre « missionné » par rapport à celle de prêtre « missionnaire », quoique dérivant de la même racine, est différente étant donné le contexte historique colonial problématique et idéologiquement piégé. C’est ainsi que dans ce débat, le prêtre théologien Olivier Nkulu a privilégié le choix du terme « missionné » qui s’avère pour lui idéologiquement neutre et inclusif d’autant plus qu’il peut s’appliquer indistinctement aux prêtres, aux laïcs et aux religieux à partir du moment où ceux-ci se trouvent explicitement « appelés » et « envoyés » par l’Église. À travers ces tentatives qui visent à qualifier de manière adéquate les prêtres d’origine africaine, émerge en filigrane une légitime tension pour concilier l’universalité de l’Église avec sa contextualisation dans les Églises particulières.

Il est important de relever que les prêtres d’origine africaine « missionnés » en Belgique comme tous les « prêtres venus d’ailleurs », se doivent de répondre prioritairement aux besoins de la communauté ecclésiale qui les accueille, leur précise le cadre et les conditions de leur mission5. Généralement, au sein des Églises particulières belges, certains d’entre eux font partie du conseil presbytéral, rendent service à divers titres, en tant que doyen, responsable et coresponsable au niveau des Unités pastorales. D’autres collaborent dans les aumôneries de cliniques et de maisons de repos etc. Pourtant, à leur sujet, la question de la pertinence de leur présence ne manque pas de se poser dans une Belgique qui, face à la crise de la sécularisation, de la déchristianisation, du manque de prêtres et de la baisse de la pratique, espère en tirer bénéfice. En outre, il est important de s’interroger sur les défis auxquels ces prêtres originaires d’Afrique et en responsabilité pastorale se trouvent confrontés. 

Prêtres d’origine africaine au sein de l’Église belge, quels défis ?

Toute mission ad gentes implique un déplacement au sens propre comme au sens figuré. Chez les prêtres d’origine africaine, elle induit un effort d’inculturation et « d’intelligence interculturelle ». Ce qui suppose une démarche de vigilance et de curiosité et un effort de compréhension des logiques et mécanismes de fonctionnement de ses partenaires de travail dont la culture, les modes de pensée, les façons de fonctionner appartiennent à des univers différents6. Il s’agit moins d’assimilation culturelle que d’une inscription de l’altérité dans l’universalité. D’une manière très anecdotique, à mon arrivée en Belgique en novembre 2005, j’avais pu constater que l’alternance saisonnière pouvait engendrer une pastorale au rythme des saisons.

Ainsi par exemple, au printemps et à l’été, se développent avec intensité les pastorales du baptême, de la confirmation, de la communion et du mariage. À l’automne, si la perte des feuilles sur les arbres met en berne le moral de plus d’un, la rudesse hivernale se montre énergivore. Cet exemple montre que le rapport à la nature et au temps est une donnée qui nécessite d’être prise en compte dans la topographie pastorale nouvelle.

Dans une société exigeante sur le plan de l’efficacité et de la performance productive, les prêtres d’origine africaine, marqués par leur passé colonial, se trouvent d’emblée comme sous pression de prouver leurs compétences et capacités de convaincre. Pression et tension, souvent inexistantes lorsqu’il s’agit des confrères prêtres européens. À première vue, ce constat, certes banal, peut être symptomatique d’une réalité (in)consciente révélatrice des « angles morts » qui bien souvent échappent au groupe majoritairement dominant. Si exercer le ministère dans une société marquée par la sécularisation, la déchristianisation, le laïcisme et le pluralisme n’est pas aisé pour le clergé autochtone, à combien plus forte raison le sera-t-il pour les prêtres d’origine africaine ? Ce constat n’occulte pas les nombreuses expériences réussies de plusieurs d’entre eux. Au contraire, il plaide pour un indispensable encadrement et une adéquate (in)formation à l’endroit des prêtres venus d’ailleurs comme facteurs d’inclusion pour un engagement pastoral optimal. Confrontés aux rapides mutations et à une incessante évolution du contexte pastoral en Europe, ces prêtres apprennent, avec les Églises locales, à nager pastoralement, sans catalogue ni mode d’emploi précis pour traverser les multiples crises auxquelles ils ont à faire face. Ils ne sont pas les seuls à assister à l’évolution d’un sacerdoce qui tend à se « professionnaliser » avec tout ce que requiert l’exercice d’un leadership pastoral en contexte de modernité. Pour faire état de ce glissement, Alphonse Borras constate qu’aujourd’hui, la fonction du prêtre « chef d’orchestre » se substitue à celle de «l’homme-orchestre »7. Par ce constat, il met en évidence le nouveau paradigme pastoral d’un leadership participatif de tous les acteurs. En prenant en compte ces quelques défis lapidairement épinglés, il est plus que légitime de définir la place que les Églises locales réservent aux prêtres d’origine africaine.

Prêtres d’origine africaine, « béquilles » ou membres de l’Église Corps-du Christ?

Pour rappel, la présence en Belgique des « prêtres venus d’ailleurs » et, plus précisément de ceux d’origine africaine, est liée à une situation de crise : « Pour assister un effectif qui se réduit et prend de l’âge, le vicariat fait entre autres appel à d’anciens missionnaires, à des religieux belges et, plus tard, en particulier dans le Brabant wallon, à des prêtres réguliers ou séculiers originaires de Pologne et d’Afrique, dont beaucoup étudient à l’université »8. En marge du même document on peut lire le commentaire suivant : « Pour faire face au manque de prêtres, Bruxelles et le Brabant wallon font de plus en plus souvent appel à des prêtres africains »9. Ceci suppose que le recours aux prêtres étrangers représente une possibilité parmi tant d’autres. Autrement dit, un éventail d’alternatives susceptibles de pallier la pénurie des prêtres existe. Qu’il s’agisse d’une « pénurie relative » ou « absolue »10, le recours aux laïcs « missionnés », à l’ordination de diacres permanents (en attendant éventuellement l’ordination de femmes et de viri probati) et la création des Unités pastorales, appartiennent à cette batterie de possibilités. 

De ce point de vue, affirmer que les prêtres d’origine africaine en pastorale semblent tenir lieu de « béquilles » pour des Églises locales en déficit vocationnel, n’est pas excessif. Dans ce rôle de suppléance, leur présence paraît, paradoxalement, contreproductive car elle retarde l’émergence des nouvelles formes ecclésiales de ministère. Dès lors, il ne serait pas surprenant de voir cette présence générer chez certains la crainte « d’envahir » voire « de dénaturer » les Églises locales. Sans partager cet avis, d’autres, avec réalisme, reconnaissent aux prêtres originaires d’Afrique leur place dans le « nous » ecclésial aussi bien que dans la fraternité presbytérale qui s’en trouve culturellement, pour ne pas dire génétiquement modifiée. C’est ici que l’ecclésiologie de communion est à mobiliser pour penser les conditions d’inclusion11 et d’édification de l’Église-Corps du Christ pour éviter un presbyterium éclaté. Bien sûr l’universalité ne signifie pas l’uniformité et la diversité n’est pas une menace pour l’unité de l’Église dans la mesure où l’Esprit Saint en est l’architecte de l’harmonie12. Il importe de conjuguer le respect des identités distinctes et la mutualisation des différences et des charismes.

 La conversion de l’Église est aussi aujourd’hui celle de répondre à l’urgence d’accueillir avec sollicitude et de manière égale, tous les membres du corps du Christ. C’est la vocation du christianisme d’offrir aussi le visage des innombrables cultures et des innombrables peuples où il est accueilli et enraciné comme expression tangible de sa catholicité13.

Prêtres d’origine africaine, une catholicité réelle ou une diversité cosmétique ?

L’intitulé un peu provocateur de ce sous-titre qui nous sert de conclusion, vise à vérifier dans quelle mesure le scénario d’une Église fermée à la diversité culturelle pourrait correspondre aux quatre notes de son credo comme « une, sainte, catholique et apostolique ». La catholicité lui est consubstantielle, elle n’est pas une dimension surajoutée. Elle ne relève pas d’une opération de marketing dans un monde qui cherche à soigner son image de marque à l’instar de l’industrie du maquillage cosmétique. Loin de se calquer sur le modèle de l’égalité des chances que prône le monde entrepreneurial et associatif contre toute forme de discrimination et d’exclusion, l’Église est l’assemblée des convoqués par Dieu dans la foi. Même si le contenu évangélique est transculturel, dans l’ecclésiologie catholique, l’universalité a toujours un ancrage dans les contingences historiques. À ce titre, les prêtres d’origine africaine, nés comme toute l’Église, du big-bang originel de la Pentecôte, participent à l’œuvre de la communion de l’Esprit dans la diversité des peuples et des cultures. Autant les prêtres autochtones que les prêtres venus d’ailleurs sont invités, dans un esprit de réciprocité, à une mutualisation des différences et des charismes. Pour notre part, la place des prêtres d’origine africaine est aussi celle des nombreuses générations de baptisés afro-descendants enfantés dans l’eau baptismale au sein de l’Église catholique belge. Ils sont là pour partager les dons de la foi avec leurs qualités et leurs limites. Comment les Églises locales pourraient-elles les traiter autrement sans « mutiler » l’indivisible Corps du Christ ?

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Leo Kenis (col.), « Une Église minoritaire dans un environnement pluraliste. L’archidiocèse sous Léon-Joseph Suenens et Godfried Daneels (1961-2009) » dans L’Archidiocèse de Maline-Bruxelles. 450 ans d’histoire, Volume II, 1802-2009, Éd. Halewijn, Antwerpen, 2009, p. 277.

2  Arnaud JOINT-LAMBERT, Prêtres venus d’ailleurs, un sujet brûlant in : Spiritus n° 199 (2010) p. 176-183; Olivier Nkulu Kabamba, Les prêtres africains en Europe « missionnaires » ou « missionnés » ? Ed. L’Harmattan, 2011 ; Alphonse BORAS, « Prêtres étrangers, prêtres venus d’ailleurs…Réflexion à propos des prêtres migrants », Mission de l’Église, Hors-série n° 156 (Santé, Salut, Engagement missionnaire), juillet-septembre 2007, p. 17-25 ; AlphonseBORRAS, Quand les prêtres viennent à manquer. Repères théologiques et canoniques en temps de précarité, Éd. Médiaspaul,Paris, 2017.

3    Fidei donum réfère à l’encyclique du pape Pie XII dans laquelle il invite et encourage les évêques à s’approprier lesouci de la mission universelle de l’Église entre autres en mettant certains de leurs prêtres et fidèles à la disposition des Églises d’autres continents.

4   L’Église Catholique en Belgique, Novembre 2018, p. 21.

5   Olivier NKULU KABAMBA, Les prêtres africains en Europe « missionnaires » ou « missionnés , p. 37 ; cf. Albert ROUET (dir), Un nouveau visage d’Église. L’expérience des communautés locales à Poitiers, Éd. Bayard, Paris, p. 55.

6   Michel SAUQUET et Martin VIELAJUS, L’intelligence interculturelle. 15 thèmes à explorer pour travailler au contact d’autres cultures, Éd. Charles Léopold Mayer, Paris/France, 2014, p. 16.

7 Alphonse BORRAS, Quand les prêtres viennent à manquer…, p. 17.

8   Leo KENIS (coll), Une Eglise devenue minoritaire dans un environnement pluraliste…, Volume II p. 277.

9   Leo KENIS (coll), Une Eglise devenue minoritaire dans un environnement pluraliste…, Volume II… p. 278.

10 Alphonse BORRAS, Quand les prêtres viennent à manquer…, p. 26.

11    Le choix du terme « inclusion » est explicite car il qualifie une flexibilité qui vise à offrir, au sein de l’ensemble commun, un « chez soi pour tous » sans neutraliser les besoins, désirs ou destins singuliers mais tient à les résorber dans le tout. Dans ce sens, « l’inclusion » est ce qui permet la participation. Participer c’est aussi bénéficier et contribuer. Ceci revient à dire que l’inclusion favorise la conjugaison des singularités, chacun ayant droit d’être différent, d’apporter au bien commun sa contribution originale et de vivre à la fois semblable et différent, sans être séparé de ses pairs ni confondu avec eux, ni assimilé par eux.

12 Pape François, Exhortation apostolique post-synodale Evangelii gaudium, Éd Fidélité, Namur, 2013, n° 117.

13 Pape François, Exhortation apostolique post-synodale Evangelii gaudium… n° 116.

 

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