Racisé·e·s et LGBTQI+ : Entre invisibilisation et fétichisation

Rédigé le 5 octobre 2018 par : Betel Mabille

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Partant du concept d’intersectionnalité comme établi par Kimberley Crenshaw, certaines personnes subissent un type de discrimination basé sur les diverses facettes de leur identité. Dans ses travaux, Crenshaw évoque principalement les femmes noires en situation de précarité vivant aux Etats-Unis mais ce concept d’intersectionnalité peut s’élargir à d’autres catégories d’appartenance. Nous pouvons citer entre autres : le handicap, le milieu social, ou encore l’orientation sexuelle.

En ce qui concerne l’orientation sexuelle et l’origine ethnique, la couleur de peau ou encore les convictions religieuses, nous constatons à la fois une faible représentation de la voix des personnes racisées au sein des mouvements LGBTQI+ mais également une fétichisation inspirée de stéréotypes autour des cultures et des corps. Ces stéréotypes se veulent généralement racistes dont certains sont directement issus de la période coloniale.

Racisme systémique et violence symbolique

Pour comprendre comment les personnes racisées s’inscrivent dans les mouvements LGBTQI+, il faut revenir aux notions théoriques du racisme. Comme déjà énoncé dans diverses analyses, BePax propose une grille de lecture du racisme qui se veut à la fois primaire et structurelle démontrant également une interaction entre les deux. Alors que le racisme primaire se veut visible et interindividuel, le racisme structurel est plus difficilement palpable et perceptible. Le racisme structurel est disséminé dans la structure de nos organisations, du système de notre société, mais également dans nos courants de pensées et nos pratiques.

Le racisme structurel peut également se diviser en sous-catégories qui pour chacune d’entre elles illustre une manière dont ce racisme est présent dans notre société. Parmi ces catégories, nous pouvons citer celle de la violence symbolique qui permettra d’expliquer une partie du racisme vécu par les personnes racisées au sein des mouvements LGBTQI+.

La violence symbolique est une forme de violence qui ne provient pas d’une action ou d’une parole qui se veut violente mais dont les effets peuvent être graves en termes d’impact sur les personnes qui en sont victimes. C’est pour cette raison que ce type de violence est qualifié de « symbolique » car il ne répond pas à la stricte définition de la violence comme étant concomitante à une certaine forme d’agressivité. Une des conséquences de cette violence symbolique, au-delà de son impact sur le psychisme des personnes racisées, est le fait qu’elle continue de perpétuer un système inégalitaire et raciste où une partie de la population ne peut pas avoir accès et profiter de facilités qui sont attribuées à d’autres.

La violence symbolique peut se manifester par l’emploi de mots inadéquats pour s’adresser aux personnes racisées, par des actes qui se veulent bienveillants mais qui sont issus de stéréotypes et préjugés racistes ou encore par l’invisibilisation d’une partie de la population au détriment d’une autre.

L’invisibilisation des personnes racisées LGBTQI+ au sein des associations

Cette invisibilisation est une des formes de racisme que l’on retrouve dans les mouvements LGBTQI+. Il est possible de la décliner en plusieurs exemples. Le premier est la faible représentation des personnes racisées au sein des associations LGBTQI+.

En 2017, un rapport sur le racisme systémique (ou structurel) vécu par la population LGBTQI+ de Montréal a démontré via une étude et des témoignages, que la présence de personnes racisées au sein des associations de personnes LGBTQI+ était quasi inexistante. Au mieux, lorsque des personnes racisées étaient présentes dans des associations, elles n’avaient pas accès à des postes haut placés hiérarchiquement ou occupaient des emplois qui ne nécessitaient pas d’entrer en contact avec le public-cible de l’association (secrétariat, entretien, etc.).

« Le milieu militant LGBT est aussi largement dénoncé comme participant à la mise en place et au maintien de structures d’exclusion. Beaucoup d’organismes nous ont été cités comme n’ayant aucun-e employé-e racisé-e par exemple, ou lorsque c’est le cas, toujours à des positions précaires ou subalternes » Rapport sur le racisme systémique vécu par la communauté LGBTQI montréalaise, 2017

En 2016, Louise Guillot-Jerome, présente son étude sociologique réalisée au sein d’une association LGBT à Lyon dont l’objectif était de savoir si les schémas d’exclusion et de domination à l’œuvre dans la société se retrouvaient au sein des associations LGBT. Dans la société, la population dominante, celle qui détient le pouvoir, est composée d’hommes blancs, hétérosexuels, riches, cisgenres et généralement valides. Louise Guillot-Jerome s’est donc interrogée pour savoir si au sein des associations LGBTQI+, les hommes blancs reproduisaient ce schéma de domination envers les personnes racisées mais également envers les femmes, les personnes transgenres et les personnes bisexuelles.

Sans surprise, elle a pu constater une absence totale de représentation des personnes racisées au sein de l’association où elle a réalisé son enquête. L’association était composée de 6 hommes et 2 femmes tous et toutes blanc·he·s.

Un point intéressant de son étude est que les personnes employées dans l’association ont conscience de l’absence de représentation de personnes racisées mais expliquent cela notamment par une supposée absence de motivation des personnes racisées à postuler. Louise Guillot-Jerome n’a pas constaté de remise en question de la structure de l’association et émet plutôt l’hypothèse que le faible nombre de candidatures de personnes racisées viendrait plutôt de la difficulté pour celles-ci à postuler dans une association où la représentation des minorités ethniques et culturelles est nulle. Les personnes racisées ne se sentiraient pas légitimes à postuler dans ce type de structure. 

Cette absence de représentation entraîne plusieurs conséquences ayant un impact sur la vie des personnes racisées et LGBTQI+. Le fait de se sentir marginalisé-e, seul-e. Cela peut conduire à la création d’associations spécifiques mettant en avant les problématiques liées à la fois au racisme et à l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre.

Cela peut également entraîner le phénomène du « tokenisme ». Il s’agit ici d’engager des personnes racisées dans le seul but de se promouvoir d’un quota de diversité au sein d’une association ou d’une entreprise et donc éviter toutes critiques liées à un éventuel racisme.

Sylvia, Marsha et Miss Major ?

Cette invisibilisation s’est également démontrée dans l’histoire des mouvements LGBTQI+ en Occident. L’exemple de la Pride, manifestation mettant en avant la diversité des orientations sexuelles et des identités de genre, démontre cette invisibilisation de la communauté racisée et LGBTQI+ dans la manière dont l’historique de la Pride est transmis aux générations LGBTQI+. Peu de gens de la jeune génération LGBTQI+ qui défilent lors de la Pride sont conscient-e-s que la Pride a été initiée par les émeutes de Stonewall en 1969 aux Etats-Unis portées en partie par trois femmes racisées et transgenres : Sylvia Rivera, Marsha P. Jonhson, Miss Major Griffin-Gracy.

Outre le fait que l’histoire de la Pride ne soit pas enseignée dans sa véracité la plus conforme, celle-ci n’est également que peu connue des acteurs du monde LGBTQI+. Aussi, pour celles et ceux ayant connaissance des émeutes de 69, il est rare que le nom de trois des grandes initiatrices citées ci-dessus soit mis en avant lorsque le récit de l’origine de la Pride est relaté.

Où sont les personnes racisées et LGBTQI+ dans les médias ?

Cette invisibilisation transparaît également dans les médias. La majorité des médias mainstream ne propose que peu ou pas de représentation de personnes LGBTQI+. De plus, lorsque cette représentation a lieu, elle est généralement portée par des personnes blanches. Il existe peu de figures, de modèles LGBTQI+ racisé·e·s invité·e·s dans les médias pour parler à la fois du racisme et de l’homophobie et/ou la transphobie qu’ils ou elles peuvent subir.

Dans la culture populaire, des personnages LGBTQI+ racisés voient de plus en plus le jour mais généralement en tant que seconds rôles, rarement en tant que personnage principal. Il en résulte que les personnes racisées et LGBTQI+ doivent subir de plein fouet un manque de représentation, pourtant utile voire nécessaire à la construction de l’identité.

La fétichisation des personnes racisées

En plus de cette invisibilisation, les personnes racisées doivent également faire face à un autre phénomène, celui de la fétichisation. Si ce problème n’est pas spécifique à la population LGBTQI+, il se traduit notamment dans les sites et applications de rencontres. Les études autour de la fétichisation des personnes racisées ont d’ailleurs été particulièrement développées dans la communauté LGBTQI+ grâce aux applications de rencontres telles Grindr ou OkCupid (deux applications ayant réalisé des études à ce sujet).

La fétichisation est le fait de réduire les personnes racisées à des objets de désir. Par exemple, sur une application de rencontres, la fétichisation se traduit par des profils de personnes blanches indiquant qu’elles cherchent spécifiquement et uniquement des hommes arabes, des femmes noires, des hommes asiatiques, etc. Derrière cette fétichisation se trouve toute une série de stéréotypes racistes, souvent liés au passé colonial, attribués aux personnes noires, arabes ou asiatiques (par exemple, rechercher une femme musulmane car elle serait perçue comme plus soumises ou une femme noire parce qu’elle serait perçue comme plus « animale »).

Cette fétichisation est une forme de racisme car elle assigne à toute une série de personnes, une liste de stéréotypes souvent liés à l’hypersexualisation ou à la soumission. Elles ne sont pas sollicitées pour leur personne mais pour ce qu’elles peuvent représenter dans l’imaginaire stéréotypé et raciste.

Il en résulte que les personnes racisées sont approchées uniquement en raison de leur couleur de peau ou de leurs origines.

Plusieurs études sur la fétichisation des hommes racisés dans les applications de rencontres pour les hommes cherchant des relations sexuelles avec d’autres hommes, démontrent que ce phénomène est récurrent.

Invisibilisation et fétichisation sont deux thématiques qu’il est intéressant d’analyser ensemble. L’impact qu’elles ont sur les populations LGBTQI+ racisées peut être énorme. Les personnes peuvent se sentir marginalisées et rejetées de tout espace. Pas assez hétérosexuel·le·s que pour fréquenter les milieux mainstream, et pas assez blanc·he·s que pour fréquenter les milieux LGBTQI+.

Cette situation d’entre deux entraîne également que les personnes racisées font face, soit à une absence de représentation médiatique mais également politique, soit à une représentation qui les fétichise et reproduit l’univers colonial. Deux formes de violence qui peuvent avoir un impact sur la construction identitaire et sexuelle des personnes qui en sont victimes.

Le romancier marocain Abdellah Taïa dans une interview accordé à Slate ira plus loin. Selon lui, cette fétichisation se reproduit également dans les rapports conjugaux au sein des couples mixtes (à savoir une personne racisée et une personne blanche). Il dira : « A un moment donné dans un couple mixte, le partenaire étranger sera à un moment donné confronté à une vision de lui-même dans la tête de son partenaire qui n’a aucune prise avec sa réalité.» Ce constat n’est pas uniquement lié au milieu LGBTQI+ et peut également se retrouver dans les couples mixtes hétérosexuels. Cela traduit une violence vécue par les personnes racisées mais également le racisme dont chacun·e d’entre nous est porteur·se

En tant qu’association anti-raciste, il est donc indispensable d’avoir une grille de lecture intersectionnelle. Cela permet de prendre en compte l’identité des personnes racisées et de proposer des outils de lutte efficaces contre le racisme et prenant en compte toutes les facettes que le racisme peut avoir. Il est important de ne mettre aucune population racisée à l’écart et de tenir compte de leurs spécificités et de la difficulté de certaines à trouver une place dans le champ antiraciste. Le racisme fait partie de la structure de la société. En ce sens, aucune personne, aucune association ne peut y échapper. L’accent est à mettre sur la prise en compte du racisme même lorsque l’on vit un autre type d’oppression (que cela soit l’homophobie mais également le sexisme, la transphobie ou autre). En effet, le racisme n’est pas l’apanage du groupe dominant et peut se distiller également au sein de minorité, créant des minorités dans la minorité comme démontré dans cette analyse. Se former, se sensibiliser, se conscientiser à cet enjeu permet de ne pas exclure une partie de la population en lui laissant une place légitime au sein des mouvements sociaux et en écoutant son expérience et son expertise.

 

Homonationalisme et racisme chez les LGBT – Conférence du 20 mai 2016 à l’Université de Lyon 2 – Intervention de Louise Guillot-Jerome

Rapport sur le racisme systémique vécu par la communauté LGBTQI montréalaise, 2017

http://www.slate.fr/story/128672/queers-francais-racismes

 

 

 

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