Diversité rime-t-elle avec égalité au travail ?

Rédigé le 2 août 2012 par : Annabel Maisin

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Politiques de diversité, lutte contre les discriminations, égalité des chances… Voilà des expressions très en vogue, reprises abondamment dans les discours de la sphère politique ou économique, dans les médias et les mouvements sociaux. Ces notions se développent parallèlement à la réalité d’une société où la différence est de plus en plus présente. La diversité touche tous les champs, à tous les niveaux. Mais s’il y en a bien un où elle est souvent questionnée et représente un enjeu majeur dans le développement de notre société belge, c’est le monde du travail. Luan Abedinaj, responsable national du Service « Nouvelles migrations & Diversité » à la CSC, est venu partager son expérience et animer le débat à BePax Wallonie-Bruxelles.

Nous avons tendance à réduire la diversité uniquement à la différence de couleur de peau ou à une conviction religieuse… Pourtant, s’il est effectivement né dans un contexte de différences raciales, le concept de diversité est en réalité beaucoup plus large qu’on ne le pense. Cette vision réduite de ce qu’est la diversité explique notamment pourquoi un nombre important de personnes estiment être victimes de discrimination à l’embauche et au travail. Elles sont défavorisées et/ou exclues sur la base de caractéristiques très variées auxquelles on ne pense pas nécessairement. Plutôt que d’analyser des chiffres et des données souvent peu représentatifs de la réalité – nombre d’employés victimes de discrimination gardent le silence par peur de perdre leur emploi alors que d’autres ont tendance à utiliser la discrimination pour expliquer tout refus ou conflit avec l’employeur –, nous vous proposons d’éclaircir certains concepts de base afin de pouvoir mieux comprendre les enjeux des débats récurrents sur la gestion de la diversité et la lutte contre les discriminations.

D’une réalité à des lois

Le concept de diversité est né dans le monde anglo-saxon, et plus précisément dans les années 1960 aux États-Unis, pour faire face à une réalité de l’époque : la non-égalité professionnelle entre Américains blancs et noirs. En 1964, le président Johnson signe le Civil Rights Act, conçu au départ pour protéger les droits des Afro-américains. Cette loi interdisait notamment la discrimination dans l’emploi et encourageait vivement les employeurs à l’égalité des chances. L’un des premiers États à prendre des mesures fut celui de Philadelphie : il obligea toute entreprise qui signait un contrat avec le gouvernement fédéral d’engager 30% de personnes noires de peau.

L’idée de diversité a continué à faire son chemin en Amérique du Nord, et notamment au Canada, pour n’arriver réellement chez nous qu’en 2000 lors de l’Agenda de Lisbonne qui définissait la ligne majeure de politique économique et de développement de l’Union européenne pour la décennie à venir. La stratégie visait à faire de l’Union européenne l’économie la plus compétitive dans le monde en 2010. Pour cela, la question de l’emploi y était envisagée dans une logique de plus grande cohésion sociale. Deux directives majeures en matière de lutte contre les discriminations ont alors été adoptées : la directive 2000/43 relative « à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique[1] » et la directive 2000/78« portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail[2] ». Ca n’est qu’en 2007 que ces directives ont été transposées dans le droit national. La Belgique s’est alors dotée de deux nouvelles lois : la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, dénommée « loi générale anti-discrimination[3] » et une seconde adoptée le même jour tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, dénommée « loi genre ». Parallèlement, on modifia la loi dite « Moureau » du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie, appelée « loi anti-racisme ».

La diversité, c’est quoi exactement ? 

Il est de ces mots dont l’usage est régulier et pourrait sembler unanime alors que, en fait, chacun y associe sa propre réalité. Le terme diversité en fait partie. Il nous semble donc essentiel de s’entendre sur ce qu’on appelle diversité dans le monde du travail.

Il existe évidemment un nombre considérable de définitions de la diversité. Thomas, May et Whitney la définissent comme « la présence de différences entre les membres dans une entité sociale ». Cornet et Warland considèrent cette définition très extensive et peu opérationnelle. Selon eux, la diversité est un « ensemble des caractéristiques personnelles, sociales et organisationnelles qui participent à la construction de l’identité et de la personnalité des individus[4] ». Ils ont d’ailleurs répertorié ces caractéristiques et les ont classées en cinq catégories : 

  • les caractéristiques physiques « visibles » : âge, couleur de peau, sexe ou orientation sexuelle déclarée, poids, handicap physique ou mental, grossesse, etc.
  • les caractéristiques physiques fonctionnelles : handicap physique ou mental, taille, poids, état de santé, etc.
  • les caractéristiques individuelles liées à l’histoire de vie de l’individu : degré de maîtrise de certaines langues, expérience professionnelle, histoire migratoire, ex-détenu ou dossier judiciaire, orientation sexuelle, etc.
  • les caractéristiques sociales : nom et prénom, niveau de qualification, religion, situation familiale, lieu de vie, statut parental, orientations politiques, nationalités, etc.
  • les caractéristiques organisationnelles (liées au lieu de travail) : métiers ou professions, départements ou services. 

Parmi les groupes cibles de la diversité, on peut dégager quatre axes prioritaires : l’axe genre et orientation sexuelle, l’axe âge (jeunes de moins de 30 ans et personnes âgées de plus de 50 ans), l’axe origine nationale ou ethnique et l’axe handicap. La détermination de ces groupes cibles et la diversité, en général, sont le « résultat d’un processus de construction sociale[5] ». Nous sommes soumis aux représentations qu’on se fait des autres, justes ou erronées, souvent construites sur des préjugés et des stéréotypes. La diversité existe par rapport à une norme consciente ou inconsciente ; elle n’existe comme telle qu’à partir du moment où elle est perçue, c’est-à-dire quand on introduit dans un ensemble un élément « perçu comme différent[6] ». 

La gestion de la diversité : une stratégie pour la non-discrimination

« Si l’égalité des droits est le principe de base et l’objet même des lois contre les discriminations, la diversité correspond à une politique ou un moyen pour y parvenir[7] ».

En effet, il ne suffit pas de promulguer des lois pour lutter contre les discriminations et de s’arrêter au constat du fait de la diversité dans les entreprises et les organisations. Il faut travailler le terrain, mettre en place des stratégies globales, des politiques, des pratiques qui intègrent la diversité, non comme un but en soi, mais comme un outil, un levier pour arriver à l’égalité et la non-discrimination. C’est ce qu’on appelle la gestion de la diversité.

Barth et Falcoz la définissent ainsi : « L’ensemble des politiques, dispositifs et acteurs qui relèvent, de façon implicite ou explicite, de la lutte contre les discriminations et de la recherche de l’égalité des chances pour tous, au sein des entreprises ou organisations, dans l’intention de promouvoir la reconnaissance des différences comme une richesse pour chacun et pour l’organisation[8] ».

La politique de gestion de la diversité, pour avoir des impacts, doit s’inscrire dans la politique globale des ressources humaines et concerner toutes les phases de la relation au travail, et pas uniquement les plus visibles telles que le recrutement ou l’accès à une promotion interne. Elle concerne également la procédure d’accueil, l’accès aux formations, l’accès à l’information et la communication, la stabilisation des travailleurs ou encore le licenciement. 

Entre logiques économiques et sociales

La gestion de la diversité permet de répondre à deux défis majeurs qui se sont imposés progressivement à un marché du travail en constante évolution : d’une part, la diversité grandissante des demandes des clients et usagers et, d’autre part, la diversité croissante des travailleurs qui se présentent sur le marché de l’emploi. 

On perçoit donc que coexistent deux logiques lorsqu’est mise en œuvre une politique de gestion de la diversité : les logiques économiques (business case) et sociales (social justice case). Les préoccupations économiques principales qui poussent un employeur à développer une telle politique sont : l’image et la légitimité (attribution de prix, labels et autres certifications liés à la diversité), le respect des lois, l’efficience et l’efficacité. Il s’agit d’exploiter et de valoriser toutes les compétences et les atouts des employés afin de remplir les services et missions de l’entreprise ou l’organisation. Une question se pose : une équipe diversifiée est-elle plus performante qu’une équipe très homogène ? On pourrait dire qu’une équipe hétérogène dispose a priori d’autant d’atouts qu’il y a de différences car chacun aborde une situation et réagit en fonction de ce qui le constitue comme individu unique. Elle serait donc efficace car capable de réagir à des situations elles-mêmes très diversifiées. La réponse ne peut être aussi radicale : cela dépendra fortement du contexte de travail (objet social, niveau local/national/international, vente ou production, etc.). Ce qui est certain, c’est que valoriser la différence de manière pro-active, aller chercher les compétences là où elles se trouvent déjà – et où nous n’avons pas (encore) l’habitude de chercher – au sein des entreprises et organisations améliorera les processus internes et la performance. L’employé, reconnu et valorisé, s’investira plus et mieux dans son travail.

Parallèlement, des logiques sociales amènent certaines entreprises et associations à mettre en œuvre une politique de gestion de la diversité : le souci de refléter l’environnement et la population locale, la responsabilité sociale (RSE) et la volonté d’une bonne gouvernance et d’une égalité des chances et de traitement (justice et inclusion sociales). Il est intéressant de noter que certaines préoccupations s’inscrivent dans les deux logiques comme le souci de représentativité. En effet, si les employés qui rencontrent les clients sont plus ou moins proches de ceux-ci, il est fort probable que cela influencera les retombées économiques. 

La politique de gestion de la diversité la plus efficace sera celle qui parviendra à concilier ces deux logiques. Il n’est toutefois pas toujours évident de trouver le juste équilibre car certaines tensions existent entre elles. Ce cas simple en atteste : certaines entreprises décident d’engager, pour des jobs d’été, des jeunes du quartier dans lequel elles sont installées. Dans l’absolu, l’idée est louable et acceptée par tous. Toutefois, quand l’engagement de ces jeunes se fait au détriment des enfants des employés à qui les jobs de vacances étaient toujours accordés en priorité, l’enthousiasme des travailleurs est beaucoup moins grand. Il faudra alors trouver une solution qui contente tout le monde.

Une autre clef de réussite d’une politique de gestion de la diversité se trouve d’ailleurs ici : il est essentiel d’associer toutes les parties prenantes au développement des politiques et plans diversité dans les entreprises et organisations : travailleurs, syndicats, direction, fournisseurs, clients, etc. De nombreux acteurs (universitaires, associatifs, gouvernementaux, etc.) peuvent également prendre part aux concertations en qualité d’experts, de bailleurs ou encore de conseillers. Un travail intersyndical est mené à Bruxelles et en Wallonie en ce sens : de la sensibilisation à la formation, en passant par l’accompagnement des délégués ou encore la réception des plaintes de discrimination à l’emploi, la CSC et les autres syndicats luttent activement contre les discriminations sur les lieux de travail.

Traitez-nous différemment, mais de manière égale ! 

Ce titre d’un article du journal Le Soir[9] abordant la question des femmes dans les entreprises soulève une question parfois posée dans le débat actuel : la notion de diversité n’est-elle pas opposée, dans ses fondements, à la notion de l’égalité ? Comme l’expliquent Bender et Pigeyre, la notion d’égalité « neutralise la différence entre les individus alors que la notion de diversité repose sur la reconnaissance et la valorisation de la différence[10] ». Des combats ont été menés depuis des dizaines d’années pour tenter d’amener tous les travailleurs à être traités sur un pied d’égalité, sans différence… serait-on en train de détruire tous les acquis sociaux gagnés de haute lutte au cours du siècle dernier ? C’est l’un des arguments amenés par les réfractaires à la mise en place d’accommodements/ajustements raisonnables dans les entreprises et organisations. Un modèle où l’on traiterait les individus différemment les uns des autres mettrait notamment en péril la cohésion sociale et aboutirait davantage à la fragmentation de notre société en fonction des appartenances culturelles de chacun.

Sans rentrer au cœur du débat passionné – dans l’espace médiatique et politique plus que sur le terrain d’ailleurs – sur les accommodements raisonnables dans le monde du travail, nous voudrions conclure que, selon nous, la reconnaissance de la diversité doit être considérée comme une avancée positive pour notre société et que ça n’est pas son acceptation qui pourrait poser problème, mais la manière dont elle est gérée au sein des entreprises et des organisations, par les employeurs. La diversité pour lutter contre les discriminations peut en effet être un nouvel outil pour favoriser l’égalité.

 


[3] Cette loi donne sa définition de la discrimination et identifie douze critères « protégés » sur la base desquels une différence de traitement ne peut être justifiée.

[4] Cornet A. et Warland P., La gestion de la diversité des ressources humaines dans les entreprises et organisations, Diversité et Ressources humaines en Wallonie, Editions Université de Liège, 2008, disponible sur http://www.interface.ulg.ac.be/docs/GestionRH.pdf

[5] Singh et Point, 2004, cité par Luan Abedinaj lors de la rencontre-débat du 18 juin 2012.

[6] Cornet A. et Warland P., GRH et gestion de la diversité, Paris, Dunod, 2008.

[7] SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, 2007 : http://www.emploi.belgique.be/defaultTab.aspx?id=444

[8] Barth et Falcoz, 2010, cité par Luan Abedinaj lors de la rencontre-débat du 18 juin 2012.

[9] Le Soir, supplément Références, édition du 23 juin 2012, p.28.

[10] Bender A.-F. et Pigeyre F., Mieux conceptualiser la diversité : un enjeu de gestion, colloque international « La diversité : questions pour les sciences sociales », Ecole de Management, Strasbourg, 2-4 décembre 2009, disponible sur http://www.em-strasbourg.eu/diversite/wp-content/uploads/2010/2dec/Atelier%205%20Nouvelles%20approches%20

theoriques%20Diversite/Bender-Pigeyre__Coll_Div_2-3.12.2009.pdf

  

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