Différentes formes de censure et de contrôle de la liberté d’expression sous le ciel européen ?

Rédigé le 30 septembre 2013 par : Colienne Regout

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Ce n’est un secret pour personne, les démocraties sous nos latitudes européennes sont perfectibles. Tant et si bien qu’elles laissent entrevoir un certain nombre d’écueils touchant à la liberté d’expression. Quelques formes de contrôles castrateurs posent question et sont illustrés notamment par un évènement récent en Grèce et de manière latente en France. Quels manquements au droit à la parole nos démocraties laissent-elles se produire ? Le citoyen européen, peut-il encore exercer son droit fondamental de la liberté d’expression ? C’est ce à quoi nous allons tenter d’apporter des éléments de réponses à travers la réflexion qui suit.

Le cadre rassurant de l’ensemble des démocraties européennes

J’aimerais commencer cet article par l’Etat de droit dans lequel nous sommes supposés vivre. Notre pays (ainsi que 26 autres) fait partie de l’Union européenne, soit une communauté de démocraties. En ce qui concerne notre préoccupation sur la liberté d’expression en Europe, il est donc rassurant d’acter que dans une démocratie, chaque citoyen peut librement exprimer ses idées oralement ou par écrit. De même qu’il peut pratiquer la religion de son choix ou pas de religion du tout. Et pour exprimer ses opinions, il peut également manifester sur la voie publique, même bruyamment, mais le plus souvent moyennant une autorisation. Notons tout de même que les critères accordant ou non une permission pour une manifestation fluctuent d’une région à l’autre.

L’UE, une souveraineté qui oublie le peuple ?

Si l’Union européenne est une garantie démocratique forte, dans le sens où elle défend dans ses lois le respect des droits de l’homme, en même temps, elle n’est pas au clair avec la question de représentativité. Force est de constater que la prédisposition démocratique européenne — reposant avant tout sur la réciprocité et l’autonomie — ne suffit pas à prétendre que l’Europe est dotée d’un gouvernement démocratique. On peut dénoncer l’absence de ressources civiques — qui enfonce les citoyens dans une dépolitisation permanente — et le caractère élitaire et peu représentatif du modèle de « gouvernance » — qui repose sur des agences de régulation ou des acteurs spécifiques directement concernés par l’application des décisions. De plus, la passivité majoritaire des citoyens jumelée avec leur conception floue de l’intégration européenne s’avèrent problématiques dans la mesure où cela empêche de faire valoir leurs droits en temps utiles. Et comme le soulève Pierre Manent, cette situation engendre une démocratie conceptuelle ayant perdu « son sens politique, qui est le gouvernement de soi ». Alors, la démocratie européenne se « détache […] de tout peuple réel et construit un kratos sans démos »[1]. Or, tout européen devrait être impliqué dans la politique de l’Union en tant que citoyen d’une collectivité dépassant la sphère étatique. Et ce, autrement que via des référendums à propos d’un texte déjà écrit et ne proposant qu’une option booléenne, c’est-à-dire que le choix se limite à « oui » ou « non ». Au-delà de la consultation par voie référendaire, la confrontation de points de vue adverses s’avérerait nettement plus fructueuse pour que les citoyens se forment le leur.

Quand l’information est privée de diffusion…

Quand nous rêvons à des médias faisant circuler une info limpide et constructive, des gouvernements ferment l’accès à l’information. En juin dernier, Amnesty International a exprimé son inquiétude à propos de la fermeture brutale de la radiotélévision publique grecque ERT et des implications de cette mesure pour l’exercice du droit à la liberté d’expression (défini à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques), qui comprend le droit de rechercher et de recevoir des informations et des idées de toute sorte. D’ailleurs, comme l’a souligné le Comité des droits de l’homme des Nations unies, les gouvernements doivent garantir et promouvoir la pluralité et la diversité des médias. Or, en tant qu’organisme de radio et télédiffusion public non commercial, ERT jouait un rôle important à ce niveau-là. Amnesty International constate que la décision a été prise par décret gouvernemental, semble-t-il sans consultation préalable du Parlement ni des partis minoritaires de la coalition au pouvoir. Autant dire que les principes démocratiques — conditionnant l’intégration d’un pays dans l’Union européenne et censés garantir la liberté d’expression — sont sérieusement mis à mal. Sur les quelques 2.600 salariés de l'ERT ayant reçu leur lettre de licenciement, certains ont continué d'émettre bénévolement des programmes, dont des journaux d'information diffusés sur Internet avec l’aide de l’organisme européen de radiotélévision. Entre temps, sous contrainte, l’exécutif de l’ERT a temporairement remis en route la chaîne de télévision ; mais tant la presse, que les internautes et les syndicats voient d’un mauvais œil ce redémarrage aux allures d’amateurisme. Dans un tel contexte, il est indispensable de ne pas tomber sous le poids du mutisme mais au contraire de revendiquer le droit à l’information libre et s’insurger contre un tel simulacre de diffusion !

Le franc-parler, un droit qui se monnaie au prix de la censure ?

Un autre phénomène a attiré mon attention. Depuis plusieurs années, il semblerait qu’un mal français (toutes couleurs politiques confondues) ronge la liberté d’expression des citoyens. En effet, d’après Jean-François Juillard (ancien Secrétaire général de Reporter sans frontières), « la France détient, de nos jours, le triste record européen du nombre de convocations, de perquisitions dans les rédactions, et de journalistes mis en examen ou placés en garde à vue. Elle fait moins bien que les nouveaux entrants dans l’Union européenne comme la Pologne… où les journalistes pouvaient encore, il n’y a pas si longtemps, se faire « casser la gueule » au coin d’une rue pour avoir enquêté sur une affaire sensible ». Ce constat semble révélateur d’un climat de plus en plus inquiétant pour la liberté d’expression. Avec certains licenciements suspects et des réformes conséquentes sur l’audiovisuel, le terme « blanchiment d’information » est lâché ! Jean-Michel Thénard (journaliste du Canard enchaîné) ira même jusqu’à dire qu’« en France, on a moins une presse d’investigation qu’une presse de révérence ».

Donner sa langue au chat ?...

Certains, au vu de ce type de constat désolant, brandiront la théorie du complot en affirmant que nous sommes dans une ère de conglomérats économiques où ceux qui contrôlent le système financier régissent tout, y compris (voire surtout) l’information. … Que le droit de vote — luxe suprême d’expression en regard de certains pays dans le monde — est vidé de tout contenu car nous votons désormais pour des responsables dont les décisions sont trop rarement prises en faveur du peuple et sont davantage régies par la loi du marché. C’est là que le bât blesse, car effectivement, comme le disait Churchill, « la démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres ». Et si les dents longues des multinationales tendent à grignoter les systèmes de contrôles en abusant de leur pouvoir, il reste encore une arme trop peu sollicitée et qui, pourtant, est une autre forme de liberté d’expression : le choix du consommateur averti ! Est-ce que la majorité des citoyens est-elle prête à se battre pour continuer à choisir ? Souhaite-elle vraiment sa liberté ? Éviter la démagogie gouvernée par l’attrait de monopole suppose de rester alerte sans tomber dans une psychose. Et tandis que la force rassemblée de plusieurs individus capables de penser par eux-mêmes est sous-estimée, l’un des meilleurs antidotes à la dérive vers une « société de marché » ne serait-il pas de maintenir les singularités ?

 

 

 

 


[1] La démocratie est communément définie comme le régime politique dans lequel le peuple est souverain. Ce mot tient son origine du grec ancien δημοκρατία / dēmokratía, « souveraineté du peuple », de δῆμος / dêmos, « peuple » et κράτος / krátos, « pouvoir », « souveraineté ». 

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