« Did she look like a Gypsy ? »

Rédigé le 21 décembre 2015 par : Pauline Feron

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La peur de l’autre ne se limite pas à l’immigration venue par les mers. En Europe, les populations Roms en font particulièrement les frais. Description à la première personne d’une haine qui dure.

Je commencerai cette réflexion par une anecdote personnelle. En city trip à Riga il y a quelques mois, j’ai subi la malencontreuse expérience du pickpocket. D’une seconde à l’autre, mon portefeuille avait disparu de la poche avant de mon sac à main. J’avais bien aperçu une dame, et senti un frôlement mais c’est arrivé tellement vite que je n’ai pas réalisé. Retour à l’hôtel, appel des forces de l’ordre, la police arrive. J’explique alors brièvement ce qui s’est passé et la première question qu’ils m’ont posée fut : « Did she look like a Gypsy ? ». Ma première réaction fut d’être subjuguée et interpellée par la facilité avec laquelle ce policier impliquait que le vol avait été fort probablement commis par une « Gypsy » ou une « tzigane »…. Arrivée au commissariat, un second policier me réitéra la même question.

Au-delà de la colère engendrée par le vol, une sensation de désapprobation et d’aversion s’installait en moi. Qu’est-ce qu’un air Gypsy ? Pourquoi est-ce la première question qu’on me pose, pourquoi ces stéréotypes, pourquoi n’importe quel vol à Riga (ou ailleurs) inculpe-t-il automatiquement cette communauté ?

Stéréotypes et stigmates

Ce préjugé du rom-voleur n’est malheureusement pas nouveau et pas le seul : les stéréotypes, Rom-voleur, Rom menteur, Rom profiteur semblent être omniprésents. Pléthore d’adjectifs péjoratifs sont assimilés à cette communauté.

L’association « Rom-voleur » entre autres, peut s’interpréter comme un stéréotype. Le stéréotype peut-être défini comme une image construite assignée à un groupe d’individus et promouvant la diffusion d’un amalgame entre une communauté et une ou plusieurs caractéristiques. S’il est certain que tous les Roms ne sont pas voleurs, l’exclusion et l’amalgame entre ces individus et ces caractéristiques péjoratives sont réelles. Cependant, « la réalité » que recouvre cette image fait débat. Quelques éléments de compréhension peuvent être apportés à ces stéréotypes[1]. Mieux comprendre un phénomène permet de faciliter une mobilisation face à des actes de discrimination reposant sur des préjugés difficiles à déconstruire.

Par exemple, la disparition des métiers exercés traditionnellement  et l’absence de qualifications reconnues par un diplôme (par exemple : aiguiseurs de couteaux) poussent ces populations vers des activités aux frontières de la légalité voire complètement illégales. De plus, leur méconnaissance de la langue française et des lois, les empêchent d’exercer un métier comme par exemple celui de ferrailleur en étant en ordre administrativement.  Les incriminations qu’ils subissent alors de la police sont vécues comme des sources de persécution ce qui accroît la méfiance et la distance face à ces autorités. L’illégalité de certains comportements repose en partie sur une méconnaissance et une méfiance mutuelles entre la communauté rom et les autorités.

De plus, la socialisation est perçue de manière spécifique. À leurs yeux la seule éducation valable est celle donnée au sein de la famille dont le patriarche est le garant. Pour une partie de la population rom, l’école transmet les valeurs d’une société qui n’est pas la leur. Les jeunes sont donc socialisés dans une culture fermée. Le mariage intracommunautaire étant le garant de cet isolement.

Dans les cas les plus extrêmes, la combinaison de toute une série de facteurs engendre l’abandon scolaire et l’absence de qualification entraînant elle-même des difficultés à trouver un emploi. Ces quelques éléments permettent d’expliquer, bien que très partiellement la spirale d’exclusion et de pauvreté dans laquelle est maintenue la communauté. Mais ces arguments trop souvent mobilisés, fondations des clichés roms doivent-ils être mobilisés afin d’exclure des personnes sur base d’un mode de vie et d’organisation différents ?

Dans leur ouvrage compréhensif sur les réfugiés roms en Belgique, Jaqueline Fastrès et Ahmed Ahkim[2], utilisent le concept goffmanien du « stigmate »[3]. Celui-ci permet d’expliquer la situation rencontrée par la communauté rom. Le stigmate différencie une catégorie de population qui s’identifie par une caractéristique spécifique (ici l’origine ou l’identité Rom, Tsigane) d’une autre qui se considère comme normale. Dans ce cas, défini comme culturel, le stigmate ne permet pas à la population rom d’être considérée à part entière et égalitairement à ceux qui ne le portent pas, « aux normaux »[4].

L’occident des droits de l’Homme ?

Les populations roms se sont dirigées vers l’occident pour diverses raisons. Garante des droits de l’homme, l’Europe de l’Ouest fait figure d’eldorado progressiste et égalitaire aux yeux de minorités dont les droits étaient bafoués ou niés à l’Est, et qui ont pris la route en quête de droits. Pour beaucoup, réfugiés fuyant par exemple la guerre en ex Yougoslavie, les Roms, c’est tout d’abord l’histoire d’un peuple, paria, et à la marge déjà dans « leur pays d’origine ». Un peuple discriminé, torturé, une identité bafouée et stigmatisée.

La Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme exhorte les pays « qui ont des Tsiganes (Romanis) à l'intérieur de leurs frontières à accorder à ces personnes, s'ils ne l'ont pas fait jusqu'ici, la totalité des droits dont jouit le reste de la population »[5].

Cependant, ce qui  apparaît comme une évidence est encore difficilement acceptable par beaucoup. Les Roms subissent encore et toujours des  discriminations, des actes de racisme et des discours péjoratifs basés sur le simple fait d'être de culture différente (et bien souvent accompagnés d'une méconnaissance cruciale de cette culture). La réalité à laquelle ils sont confrontés en Europe de l’Ouest et les faits relevés dans la presse plus spécifiquement en Belgique et en France ne reflètent pas l’Eldorado espéré, loin s’en faut : elle est encore longue, la route vers un réel respect des droits de l’homme.

Fin juin, on lisait dans les journaux que le président de la Sambrienne avait fait creuser des tranchées « anti-gens du voyage ». visant à les dissuader d’installer leurs caravanes sur le terrain de la société de logement carolo[6].

Par cet exemple, on comprend qu’une société se disant garante des droits de l’homme peut elle-même se rendre coupable d’actes racistes. Comme le mentionne Marco Martiniello : « Le racisme devient institutionnel et structurel lorsque l’État et la société excluent certains groupes raciaux du bénéfice des ressources et des biens publics par des mécanismes de discriminations directes et indirectes[7] ».

Porteurs d’un stigmate, les Roms subissent l’exclusion également de la part d’acteurs institutionnels censément garants de valeurs occidentales progressistes, égalitaires et tolérantes, ce qui entraîne la multiplication de situations teintées d’un racisme primaire.

Le livre d’Ahkim[8] porte un titre juste, « Les chroniques d’une intégration impensée », à la fois politiquement et culturellement, institutionnellement et individuellement. Néanmoins il faut aujourd’hui dépasser à la fois les constats négatifs, et les implications d’un processus d’intégration homogène de population à la marge. Comment passer du cercle vicieux de l’exclusion et du racisme vers un cercle vertueux de l’inclusion et du bien-être pour ces populations respectant l’égalité de tous les êtres humains, telle qu’elle s’inscrit dans la déclaration des droits de l’homme ?

Les  grands discours sur les droits de l'homme sont mis à toutes les sauces par toutes sortes de tribunes, politiques, institutionnelles, et autres. Prétentions risibles lorsqu’on constate la facilité avec laquelle ces mêmes tribunes en arrivent à bafouer ces droits qui engendrent le cloisonnement et l’exclusion d’une communauté et d’une culture. Communauté d’hommes qui ont plus que jamais besoin qu'on lui applique ces beaux discours et ces droits et qu'on s'insurge devant des actes de discrimination, afin que cette question « Did she look like a gipsy ? » devienne une exception et plus la règle.

 


[1] Les apports suivants sont issus de discours de travailleurs sociaux travaillant avec des populations roms à Charleroi. Ils sont à replacer dans leur contexte à savoir qu’ils émanent d’un point de vue relativement ethnocentré. Ils ne sont pas généralisables à l’ensemble de la communauté.

[2]  Fastrès J. & Akhim A. (Eds) (2012), « Les roms, Chronique d’une intégration impensée », Couleur livres, Charleroi, Belgique.

[3]  Goffman E., « Stigmate, Les usages sociaux des handicaps », Les éditions de Minuit, 1975.

[4]  Ce commentaire relatif au stigmate culturel pourrait être généralisé à diverses populations migrantes.

[5] U.N., Prévention de la discrimination à l'égard des minorités et protection des minorités. Problèmes relatifs aux droits de l'homme des Roms et mesures de protection en leur faveur, 1977.

[6] Les gens du voyage que le gestionnaire de la Sambrienne visait à écarter, ne recoupent pas la catégorie des dénommés « Roms ». Ils se rejoignent cependant dans les stéréotypes dont ils sont les victimes.

[7] Martiniello M., « Est-ce du racisme ? », La Libre Belgique, 23 octobre 2013.

[8]Fastrès J. & Ahkim A. (Eds), Les Roms, Chronique d’une intégration impensée, Couleur livres, 2012.

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