Crise des réfugiés : le « shopping humanitaire »

Rédigé le 30 novembre 2015 par : Anne-Claire Orban

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Les récents évènements migratoires ont suscité beaucoup d’émoi, voire de peurs. Dans ce contexte, certains posent la question du tri des réfugiés… Pour BePax, un tel raisonnement illustre une nouvelle forme de racisme, dangereuse car séduisante.
Ces sentiments ne peuvent pas nous faire oublier les valeurs fondamentales dans lesquelles nous croyons : le droit à la vie et à la sécurité de chacun, peu importe la culture ou la religion des individus.

Les tentatives de division de l’humanité

Dès la fin du 18ème siècle, les premiers efforts de classification des êtres vivants illustrent le désir de diviser l’espèce humaine en différents groupes. L’existence de races, entendue scientifiquement comme un ensemble de « gènes communs et exclusifs à un groupe d’individus », ne fait aucun doute au sein des mondes scientifique et politique. Cette théorie, malgré les efforts fournis pour la valider, ne s’appuiera jamais sur aucune preuve scientifique. Jamais un chercheur ne trouvera d’éléments justifiant une hiérarchie des êtres humains.

Malgré cela, selon les époques, différentes classifications raciales ont existé. Au 18ème siècle, il existe pour Carl von Linné et ses compères quatre groupes au sein de l’espèce humaine : les blancs – européens (à l’esprit inventif et raisonné), les rouges – amérindiens (guillerets et attachés aux traditions), les noirs – africains (rusés et capricieux, enclins à suivre la volonté de leur maître) et les jaunes – asiatiques (hautains et bornés). Ce « naturel », c’est-à-dire le comportement attribué aux individus, notamment de couleur de peau noire, a justifié la supériorité blanche et la colonisation du monde.

Le nombre de groupes raciaux s’est modifié au fil des décennies. L’anthropométrie, l’étude des groupes sanguins, ont tous deux été des critères de division de l’humanité.  Notons qu’il y a peu, une équipe de recherche italienne[1] en génétique dénombrait neuf groupes humains, neuf polymorphes différents à la surface du globe. Si la diversité humaine existe, elle ne doit en rien servir de base à une tentative de hiérarchisation !

Avec la mise en lumière des horreurs commises par le régime nazi, la lutte contre le racisme a pris une réelle ampleur. Les instances internationales et les scientifiques affirmeront d’une même voix que les « races » relèvent exclusivement d’une construction sociale permettant de justifier l'exclusion ou l'exploitation de l' « autre ». Il n’y a rien de « naturel ». Les recherches en génétique tendant à prouver l’existence de « races » seront d’ailleurs moralement condamnées.

La culture avant l’humain 

Malheureusement l’argumentaire raciste a trouvé un nouveau terrain de jeu : n’est plus défendue l’idée d’une humanité divisée en « races » mais bien celle d’une humanité divisée en « cultures ». Cette théorie sociale, le culturalisme, a été avancée par les anthropologues du milieu du siècle, encore peu enclins à voir l’humanité comme homogène (entre autres par peur de perdre toute légitimité scientifique, tant le cœur de l’anthropologie est d’étudier l’ « autre », le « différent »). Le racisme se pare de ce culturalisme[2] et séduit à nouveau dangereusement !

Cette évolution du racisme nous impose d’affiner notre définition et d’appréhender le phénomène de manière plus théorique. On considère que le racisme est structuré autour de 3 éléments majeurs : l’homogénéisation des groupes racisés laissant croire que tous les individus membres de ce groupe auraient des comportements collectifs identiques ; la naturalisation de caractéristiques accolées au groupe qui implique la transmissibilité de celles-ci de génération en génération ; la hiérarchisation de ces mêmes caractéristiques, les caractéristiques du groupe racisé étant considérées, dans le chef du locuteur, comme anormales, arriérées, inférieures, dangereuses pour la survie du groupe privilégié. La menace que constitue le groupe « racisé » légitime son exclusion des sphères sociale et politique, ou au contraire, son inclusion, mais en bas de l’échelle sociale, où il reste sous contrôle et sans espoir d’atteindre jamais une position de pouvoir. Cette définition est intéressante car elle permet de prendre en compte le caractère évolutif du racisme, ciblant différents groupes d’une époque à l’autre.

Shopping humanitaire

Pour les tenants d’un tri des réfugiés qui se sont manifestés il y a peu, il convient d’accueillir les individus dont on pense qu’ils nous ressemblent et de refuser les autres en prenant comme ligne de démarcation le critère religieux. Selon eux, la présence de différentes cultures sur un même territoire n’amènera que conflits et chaos.

Ces personnes, parfois obnubilées par la peur, oublient le fait que les réfugiés sont avant tout femmes, hommes, enfants fuyant des situations abominables, qu’ils soient musulmans ou chrétiens... L’idée que les personnes de confession musulmane ne pourraient pas s’adapter à la société belge est une idée basée sur un imaginaire de l’islam comme religion arriérée. L’accent est mis sur le fait social religieux, sans tenir compte des personnes pratiquant cette religion. La peur de l’islam, entretenue par la diffusion des violences commises par les mouvements extrémistes, cache une réalité bien plus complexe, notamment l’action de mouvements progressistes musulmans, laïques ou féministes par exemple. 

Retenons que l’origine, la religion, la culture d’un individu ne détermineront jamais entièrement ses comportements. L’identité d’une personne est unique. Nos comportements sont influencés par une multitude d’appartenances sociales (genre, classe sociale, profession, famille, migration, …). Enfermer un individu dans une « bulle », qu’elle soit d’ordre religieux, de genre, d’orientation sexuelle, amène à penser un individu comme directement déterminé par l’appartenance collective, tuant dans l’œuf l’idée même d’émancipation et de réflexivité. Le déterminisme est une idéologie dangereuse car elle met à mal les libertés fondamentales de tous les individus et toute idée d’émancipation. La religion, comme l’origine, n’illustre qu’une appartenance parmi d’autres. Qu’il soit chrétien ou musulman, tout réfugié est avant tout un individu cherchant la sécurité.

Races et Cultures

Dans ce schéma, la « culture » n’est autre que la petite-fille de la « race » suivant le processus d’homogénéisation-naturalisation-hiérarchisation. Tout comme on imputait aux « noirs » des comportements collectifs, certains imputent a priori à tous les réfugiés musulmans des comportements arriérés qui entacheraient la modernité européenne et mettraient « nos enfants » en danger. Tout comme il était courant de séparer blancs et noirs durant des siècles, il s’agit aujourd’hui de séparer chrétiens et musulmans… La différence ? Parler de « séparation des cultures » n’est pas encore condamné et arrive à se faire passer pour une idée raisonnable, justifiant le tri de réfugiés…

Soyons conscients de cette nouvelle rhétorique raciste utilisant la culture ou la religion comme nouveau facteur de division entre les êtres humains. Soyons conscients que nous sommes tous et toutes porteurs de différentes cultures, des êtres en eux-mêmes multiculturels, uniques, capable de réflexivité et de regard sur notre milieu d’origine.

Il nous semble important d’inculquer cette idée d’individu unique, aux appartenances multiples, à notre entourage : élèves, voisins, famille, amis et ennemis. Formations, rencontres, débats, les occasions sont nombreuses pour s’ouvrir à l’autre. Ce n’est qu’ainsi, par l’effort de chacun, que nous lutterons ensemble pour une société égalitaire, qui fasse fi des différences d’origine des individus, qu’on les nomme « race », « culture » ou « religion ».

Analyse tirée de l’ouvrage « Peut-on encore parler de racisme ? » édité en juin 2015 aux Editions Couleurs Livre.


[1] Il s’agit de l’équipe de Luigi Luca Cavalli-Sforza, ce dernier est l’auteur de Qui sommes-nous ? : Une histoire de la diversité humaine, Champs Flammarion, 2011.

[2] Selon cette théorie, la culture définit entièrement les individus. Aujourd’hui au contraire, on reconnaît le pouvoir de chacun à prendre distance face à son milieu d’origine et à faire des choix personnels. 

 

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