Burn-out, handicap et racisme : témoignage

Rédigé le 12 décembre 2019 par : Anne-Claire Orban

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L’histoire d’Amalia parle d’abord de validisme. Puis de racisme. Puis des deux. Au final, peu importent les mots, les effets des discriminations sont identiques. Amalia a été brisée sur son lieu de travail par une institution qui ne l’a pas écoutée.

Cette analyse se veut avant tout être le témoignage d’une femme. Derrière ces mots, on touche aux conséquences psycho-sociales des discriminations, au racisme anti-blanc, à l’intersectionnalité, aux micro-agressions et au racisme structurel, au validisme, au sexisme, aux personnes « allié.e.s », aux aménagements raisonnables, à la révolte et à l’auto-destruction. Ces éléments seront traités plus longuement dans une analyse connexe, intitulée « Burn-out, handicap et racisme : analyse ».

L’histoire d’Amalia

2017. Amalia travaille dans une agence de communication. Elle est rédactrice. Amalia est sourde et d’origine indienne. Comme c’est un nouveau boulot, au début, elle n’a « pas envie de faire la grande gueule » mais au fur et à mesure, elle tente de sensibiliser ses collègues à son handicap et aux petits gestes qui l’aideraient grandement à poursuivre son travail. Par exemple, comme Amalia lit principalement sur les lèvres, elle demande à ses collègues de toujours lui parler de face et surtout d’éviter de parler avec un chewing-gum. Elle demande également de recevoir les présentations PowerPoint à l’avance, même dix minutes avant la présentation, pour prendre au préalable connaissance des slides et pouvoir, le moment même, se focaliser sur le visage de l’oratrice ou orateur. Des demandes qui ne nécessitent pas de gros aménagements[1]. Juste un changement d’attitude.

Après quelque temps, Amalia organise elle-même deux séances de sensibilisation à la surdité, notamment à l’usage de la langue des signes. Si ses collègues acceptent de prendre le temps durant deux séances de réfléchir au handicap et spécifiquement à la surdité sur le lieu de travail, si quelques-uns trouvent dans la langue des signes carrément un nouveau jeu, aucun ne prend réellement conscience de l’enjeu qui se joue. Aucun ne prendra ces nouvelles connaissances au sérieux et ne s’intéressera plus en profondeur à la langue des signes : « On me disait bonjour en langue des signes, juste pour le fun, mais quand je leur demandais d’en apprendre plus, cela n’avait pas d’écho ».

Malgré l’arrivée d’ « une alliée »[2], Brigitte, nouvelle gérante des ressources humaines, le combat pour adapter le cadre de travail au handicap d’Amalia reste compliqué.

Puis il y a « ce fameux jour de mars 2019 ». Cela faisait plusieurs mois qu’Amalia en avait « ras le bol », qu’elle « écrasait tout le temps face aux remarques, au micro-agressions et aux non-adaptations du cadre de travail ».

« Ce fameux jour de mars 2019 », une grosse réunion est organisée. Plusieurs orateurs et oratrices se succèdent devant l’écran où sont projetés les PowerPoints. Amalia ne les a pas reçus à l’avance. Orateurs et oratrices présentent, tout en restant assis à leurs places. Amalia n’arrive pas à suivre la présentation. Elle interrompt les discussions et demande à ce que les personnes prennent place devant l’écran de présentation afin qu’elle puisse suivre la réunion. Deux oratrices, gênées, se placeront devant l’écran. Deux personnes resteront assises à leur place. Un orateur, Marc, refusera ouvertement de répondre à la demande d’Amalia. Amalia est profondément choquée par ce refus. Le lendemain, elle se rend dans le bureau de Marc et « lui explique, de manière bienveillante, pour ne pas le froisser, que tout simplement, je ne l’entendais pas ». La réponse de Marc est cinglante : « tu sais, un noir, au milieu des blancs, il apprend à s’adapter », accompagnée d’une tape « amicale » sur l’épaule. Amalia ne sait plus respirer. Elle se « dissocie », se « liquéfie » et sort de la pièce. Elle n’est plus en état de travailler. Elle quitte le boulot, va rechercher ses enfants, rentre chez elle.

Pendant trois jours, Amalia ne dort plus. Elle est super angoissée à l’idée de retourner au bureau et préfère donc le télétravail. Amalia est d’origine indienne, la remarque de Marc sur les « noirs » la blesse au plus haut point.

Son boss ? Il ne réagit pas. Ou très peu. Il demande à Marc de présenter ses excuses à Amalia.

Marc : « Amalia, je ne pensais pas que tu allais le prendre aussi mal... Je suis affecté que tu penses que je sois quelqu’un de raciste ! Tu sais, moi aussi je me fais discriminer ! Quand je pars en vacances, on me traite de Belge ! »[3]. Le dialogue est difficile.

Plus tard, elle apprend qu’on l’a trouvée « bien agressive » lors de cette réunion « du fameux jour de mars 2019 » et que son boss n’a trouvé comme justification première que « les femmes, c’est toujours en train d’exagérer ».

Amalia ne se laisse pas abattre. C’est une femme extraordinairement combative. Elle désire faire changer les choses. Elle organise avec son alliée, la GRH, deux workshops « diversité ». Résultats ? « Des pancartes souhaitant une belle fête de l’Aïd aux musulmans de la boite... C’est génial pour eux ! Mais mes revendications à moi, elles sont complètement passées à la trappe... ! »

Pour Unia, qu’Amalia a interpellé, la remarque de Marc sur les populations noires, « c’est de la bêtise ». L’institution n’ira pas plus loin sur ce terrain. Par contre, Unia organise une séance de sensibilisation au handicap pour l’ensemble du personnel. Comble de la situation, rien n’est pensé pour permettre aux personnes sourdes de suivre la présentation... Par la suite, Unia a décrété qu’Amalia était assez outillée pour gérer les choses par elle-même. L’institution se retire de cette affaire.

« Et à partir de là, tout s’est aggravé ». Nous sommes en juillet 2019 et Amalia subit le harcèlement quotidien de la part de certain.es collègues. Plus que les remarques comme « Elle va encore aller pleurer... » ; « faut lui expliquer comment ça fonctionne ici... », on exclut Amalia des décisions. C’est facile d’exclure une personne sourde, il suffit de parler sans la regarder. C’est insidieux. C’est du harcèlement.

Amalia se réfugie dans le travail. Elle surcharge son emploi du temps, ne prend plus de pauses avec ses collègues. Puis elle craque.

Aout 2019. Le corps d’Amalia somatise : difficultés respiratoires, insomnies, contractures musculaires, bouffées de chaleurs, anxiété, idées noires,... symptômes d’un stress post-traumatique.

Amalia tente un dernier dialogue avec son boss, mais « la parole d’une femme racisée, porteuse de handicap, ça ne vaut rien »... La veille de la rupture de contrat, son adresse mail est supprimée, toutes les preuves de cette histoire ont été effacées. « On a étouffé l’histoire ».

Aujourd’hui, Amalia a décroché un nouveau boulot. Elle ne voulait pas rester dans cet état de burn-out. Pour elle, pour son mari, pour ses enfants, et parce qu’il faut rentrer de l’argent pour payer la maison. Mais elle a peur. Elle a peur « de me ramasser encore une violence institutionnelle dans la gueule ! ». Dès son entrée en fonction, elle cite les conditions nécessaires pour un cadre de travail adapté à son handicap. Oh, pas grand-chose : éviter les réunions trop longues, parler en face à face, prévoir des interprètes pour les réunions longues, et bannir les chewing-gums ! Amalia a peur de la suite.

Elle conclut notre entrevue : « J’ai de la colère en moi... et le pire, c’est que ça se retourne contre moi. Je me fais violence pour m’adapter au monde qui m’entoure. Je sais que je ne devrais pas mais quand il n’y a pas de dispositif adapté, je m’écrase les écouteurs sur mes appareils auditifs. Mon audiologiste ne comprend pas car c’est très mauvais pour mes tympans ». Amalia se détruit la santé pour s’accrocher au monde qui l’entoure. Amalia balance entre le militantisme permanent et le lâcher prise, notamment sur les réseaux sociaux. Amalia est « fatiguée d’être en colère ».

                                                                   +++

Amalia a des capacités de résilience extraordinaires. Elle a appris à rebondir. Elle a, autour d’elle, une famille, des allié.es, un réseau social, elle est engagée en politique, elle comprend ce qui lui arrive, elle connait ses droits, elle connait les devoirs de l’employeur et les sanctions possibles. Amalia a choisi la résilience. D’autres personnes choisiront d’autres voies. Tout aussi légitimes.

La suite dans la seconde analyse : « Burn-out, handicap et racisme : analyse ».

 


[1] Les aménagements raisonnables modifient un environnement pour le rendre accessible à une personne en situation de handicap afin de permettre à cette dernière de travailler dans des conditions otpimales.

[2] Voir analyses « les allié.e.s de la lutte antiracisme » partie 1 et partie 2 http://www.bepax.org/publications/analyses/les-alliees-de-la-lutte-antiraciste-partie-2,0001064.html

[3] Le « racisme anti-blancs » malgré son inexistence, fait de plus en plus d’adeptes. Voir pour cela les analyse en ligne : « Le racisme anti-blancs n’existe pas » http://www.bepax.org/publications/analyses/le-racisme-anti-blanc-n-existe-pas,0000772.html ou « le privilège blanc » http://www.bepax.org/publications/analyses/le-privilege-blanc,0000900.html ou encore l’étude « Etre blanc.he : le confort de l’ignorance » http://www.bepax.org/publications/etudes-et-outils-pedagogiques/etudes-et-livres/document-1089,0001089.html 

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