Affronter le racisme dans le secteur culturel et artistique : le besoin d'espaces d’échange entre et par artistes et travailleur·euses culturel·les racisé·es

Rédigé le 29 octobre 2021 par : Nour Outojane, Basé sur une recherche réalisée par Serine Mekoun et Shari Aku Legbedje

Exclusion Neutralité Culture

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Si l'art reflète la réalité, comment les réalités du racisme et de la colonialité sont-elles impliquées dans les vies et les expressions artistiques des artistes racisé·es qui naviguent dans les institutions artistiques belges ?*

Telle est la question qui a guidé leur recherche exploratoire, qui s’est construite autour des récits personnels de 30 artistes et professionnel·les racisé.es, tant néerlandophones que francophones, travaillant dans le secteur artistique et culturel à Bruxelles, en Wallonie ou en Flandres. A travers leurs récits, cette recherche tente de mieux comprendre les mécanismes racistes structurels qui les impactent et de cartographier les stratégies de résistance qu’ils et elles mettent en place pour mieux naviguer ce secteur à prédominance blanche. Dans ce secteur, de multiples rapports de domination se perpétuent, tels que le racisme, le classisme, l'élitisme et le sexisme.

Mekoun et Aku Legbedje ont mené la recherche autour de trois objectifs, tous liés à la nécessité d’instituer de nouvelles manières de faire et une nouvelle culture dans le secteur culturel et artistique :

  1. reconnaitre la dimension structurelle du racisme par et pour les personnes racisé.es, se concentrer sur les conséquences psychologiques du racisme et étudier l'impact qu’il a sur leurs pratiques artistiques
  2. relayer les personnes impactées aux bonnes structures juridiques et psychologiques et
  3. permettre une mise en réseau avec des organisations de terrain[1] qui permettent des espaces de création et de discussion de toutes ces questions”[2].

Cette démarche sort des pratiques de diffusion et d'information qui mettent un public non conscientisé, majoritairement blanc, au centre, ces dernières étant plus habituelles dans les organisations officielles. Sans dévoiler les détails de cette recherche, nous arrêter dessus permet de questionner la place que BePax prend dans la lutte contre le racisme dans le secteur culturel et artistique belge.

Le racisme dans les arts : entre déni et normalisation

Une des problématiques principales abordée par la recherche de Mekoun et Aku Legbedje aborde le manque d’une définition complexe, claire et précise du racisme structurel dans la legislation belge.

Les entretiens indiquent que les personnes racisées travaillant pour des institutions culturelles et artistiques belges sont soumises à toutes sortes de processus subtils et d'attitudes de discrimination raciale, allant jusqu'à être licenciées de manière abusive. Au fil de ces institutions, elles observent des différences de traitement importantes vis-à-vis de leurs collègues blanc·hes et ont des espériences tant de racisme inter-personnel de la part de leurs collègues que de racisme institutionnel de la part de la structure. Au sein des témoignages, on retrouve des récits d'agression, d'intimidation, de harcèlement, ainsi que l’expérience de situations plus subtiles, comme des discours infériorisants présupposant une différence inhérente sur base de préjugés stéréotypés et dévalorisant le travail et l’expertise des travailleur·euses et artistes racisé·es. Face au cadre juridique belge actuel, nombreuses de ces situations ne sont pas légalement reconnues.

Ce vide juridique peut s’expliquer par la vision morale du racisme, omniprésente au sein de notre société et nécessaire au maintien du système raciste tel qu’on le connaît aujourd’hui. Selon cette vision morale, seuls des cas singuliers de personnes profondément mauvaises et arriérées seraient à l’origine d’actes racistes, et ces actes seraient inévitablement flagrants. A travers les témoignages récoltés, Mekoun et Aku Legbedje (2021) identifient la présence de cette vision limitée du racisme dans le secteur culturel belge : 

« Les personnes à la direction des institutions appartiennent très majoritairement à la gauche culturelle bourgeoise blanche bien-pensante et moraliste. Donc elles sont aussi souvent convaincues de faire preuve d’une certaine ouverture par rapport à ces questions. Ils (consciemment au masculin car il n’y a pas beaucoup de femmes ni de personnes non-binaires à la tête de ces institutions) tâchent de se démarquer du racisme tels qu’on le voit au sein des partis de droite, malgré qu’ils soient les héritiers d'un imaginaire colonial aux préjugés racistes directs ou indirects et porteurs de nombreux actes de violence symbolique, [qui ne vont pas disparaître d’une génération à une autre sans un travail de questionnement, de conscientisation et de déconstruction]. L'existence de cette mentalité de déni rend très difficile voire impossible la reconnaissance de l'existence de micro-agressions racistes, d'abus de pouvoir ou de violences symboliques »[3].

Dans notre expérience quotidienne de formation et d’accompagnement, nous constatons effetivement que cette vision morale du racisme est communément acceptée auprès de nos publics, et elle est en accord avec la législation belge actuelle qui ne reconnait pas le racisme structurel. Au niveau politique, pour reconnaitre le vécu et la parole des personnes racisées, il est nécessaire que la définition actuelle du racisme telle qu’elle figure dans notre cadre juridique soit actualisée.

En réponse au besoin grandissant d’une définition claire et complexe du racisme structurel, la Belgique s’est engagée à entreprendre un programme d’action visant l’élaboration d’un « plan interfédéral contre le racisme », issu de la Conférence mondiale contre le racisme organisée par l’UNESCO à Durban en 2001[4]. En 2016, l’Universal Periodic Review rappelle cet engagement à la Belgique, suivi du Mrax, du CSC, de la Ligue des droits humains et du Collectif contre l’islamophobie en Belgique. C’est en 2018 que, face à l’absence de l’élaboration de ce plan, différentes associations impliquées dans la lutte antiraciste joignent leurs forces pour former la Coalition pour un plan d’action interfédéral contre le racisme (Coalition NAPAR), composée aujourd’hui d’un peu plus de 65 associations, signataires du mémorandum et qui ont rédigé 11 propositions d’actions[5]. En 2020, la Première Ministre Sophie Wilmès s’engage dans l’élaboration de ce plan et met sur pied une conférence interministérielle. Malgré les premiers pas de la Belgique, son retard vis-à-vis des autres pays européens, qui dans certains cas sont à leur deuxième plan d’action, est déplorable. Il l’est d’autant plus que l’inertie des instances politiques belges a obligé la société civile de prendre l’initiative malgré l’engagement pris par ces instances.

La recherche du Social Fonds Podiumkunsten montre que le manque de définition des faits racistes quotidiens dans le débat public place les artistes et travailleur·euses culturel·les racisées dans un cadre hostile et paradoxal. Ce cadre toxique les conduit à adopter des mécanismes d’anticipation et de défense où ils et elles doivent sur-expliquer, sur-représenter, sur-performer tout en étant accusé·es de manque de professionnalisme lorsqu'ils et elles pointent les incohérences et violences racistes vécues au sein de l'institution. Par ailleurs, il rend difficile pour les interviewé·es elles et eux-mêmes de se protéger et/ou de se défendre, particulièrement sur le moment même, par la difficulté à nommer et expliciter ce vécu qui ne sera pas reconnu. La première nécessité identifiée dans la recherche de Serine Mekoun et Shari Aku Legbedje (comprendre la dimension structurelle du racisme par et pour les personnes racisées et non pas uniquement pour l’expliquer à un public blanc, mais surtout pour comprendre les conséquences psychologiques pour les personnes concernées et comment cela impacte ou non leurs pratiques artistiques) découle, en partie, de ce constat.

Une norme blanche aux codes spécifiques

Comme c’est le cas dans la majorité des secteurs de notre société, le racisme présent dans le secteur culturel et artistique belge peut se cacher derrière l’image que ce secteur renvoie. En effet, comme le soulignent Mekoun et Aku Legbedje, le secteur culturel et artistique belge est souvent perçu comme soutenant les discours critiques de notre société et gouverné par des valeurs propres à l’Europe qui aurait dépassé les questions raciales ; entre autres : l’ouverture, la liberté d'expression, l’égalité et la modernité[6]. C’est souvent la volonté de maintenir cette image qui pousse les structures à entreprendre des processus de “décolonisation” et d’inclusion de la “diversité”. Les bonnes intentions de décoloniser ou d’inclure peuvent mettre en avant une image progressiste, momentanément en tout cas et aux yeux de certain·es. Néanmoins, sans un travail de fond qui questionne les discours et les pratiques d’une institution, il n’y aura pas de réels changements qui puissent impacter positivement les artistes et travailleur·euses racisé·es et ainsi réellement rendre une structure plus inclusive et en accord avec les réalités de notre société.

Les participant·es de la recherche ont dénoncé la tradition présente dans les insitutions artistiques et culturelles, consciemment ou non, de défendre une monoculture définie par les codes esthétiques spécifiques à la culture blanche[7], qui hiérarchise différentes pratiques, formes et contenus artistiques en fonction des étiquettes qui leurs sont attribuées. Ces étiquettes sont souvent des outils de dévalorisation et d’exotisation qui enferment dans des cases, comme par exemple celles de “cultures noires”, “arts de rue”, “musique du monde”. Certains thèmes sont évincés sous prétexte qu'ils ne sont « pas assez neutres » ou « trop communautaristes »”[8]Cette monoculture aux jugements de valeur codifiés se traduit par des pratiques, tant au niveau de la direction que des financements, qui vont réaffirmer les croyances déjà établies. Ces croyances créent des cercles vicieux dans lesquels les professionnel·les de la culture et les artistes racisé·es vont être amené·es, parfois par des pratiques abusives comme le chantage, à coller aux représentations qu’on leur a attribuées, sur base de ce qui est considéré comme authentique de leur part ou d’un processus d’altération, alors même que ces institutions leur avaient annoncé vouloir les inclure.

Ces mauvaises expériences au sein d’institutions culturelles et artistiques qui sont dictées par des codes réducteurs pour les artistes racisées font surgir une certaine méfiance envers celles-ci. Les artistes interviewé·es ont exprimé être conscient·es et alert·es au risque d’être instrumentalisé·es pour l’obtention de subventions ou l’exploitation de leur réseau, par exemple.

Silence et autocensure : la nécessité d’espaces plus sûrs

La récurrence et quotidienneté des expériences de racisme dans le secteur culturel et artistique, ainsi que le silencement et représailles subies par les professionel·les culturel·les et les artistes racisé·es, créent, dans certains cas, une normalisation et une intériorisation des micro-agressions subies et, dès lors, une difficulté à mettre en mots ces expériences. Mekoun et Aku Legbedje le nomment ainsi :

“Pour beaucoup, parler d'expériences de racisme reste en effet une tâche difficile car, les micro-agressions quotidiennes représentent une norme dans le contexte belge et ont été si intériorisées qu'elles ne deviennent apparentes qu'en rétrospective. [...] De nombreux artistes ont décrit la pression qui s’exerce pour ne pas aborder le problème dans leurs pratiques ou confronter le monde blanc à ces questions dans leur vie quotidienne par peur d'être perçu·es comme le problème ou perçu·es comme victimes car ils et elles sont souvent « la seule personne Noire dans la pièce ». Quelques personnes interrogées ont mentionné qu'elles n'avaient pas toujours envie d'aborder ces problèmes, car ça les empêcherait de se concentrer sur leur pratique. D'autres ont évoqué la complexité d'aborder ces questions car ils et elles craignent de ne pas pouvoir en parler correctement et ils et elles ont le sentiment de ne pas toujours avoir les bons outils pour "déchiffrer les choses d'abord pour elles et eux-mêmes et non pour un public blanc qui reste à convaincre”. Outre le silence ou l'autocensure, certaines personnes interrogées ont évoqué le processus difficile de devoir se « décoloniser » car elles étaient conscientes que le racisme a le double effet pervers d'opprimer, mais aussi de créer un mécanisme d'intériorisation des stigmates racistes sur les personnes racisées elles-mêmes.”[9]

Certaines formes de racisme, notamment les plus subtiles, n’étant actuellement pas reconnues dans un cadre juridique, les espaces sécurisants où les professionel·les et artistes racisé·es pourraient échanger restent limités car ils risquent de soumettre les professionnel·les culturel·les et artistes racisé·es à d’autres réactions violentes d'invalidation ou de retournement de la culpabilité, pour citer les exemples les plus courants. C’est pourquoi, il faut des espaces pour pouvoir échanger autour des questions raciales dans toute leur complexité et en sécurité.

De la recherche classique à l’élargissement des codes

La deuxième étape de la recherche a été l’expression de ses enjeux sous une autre forme : un essai vidéo poétique. Cette deuxième étape s’est faite avec le collectif Black Speaks Back. Cette vidéo, qui a été présentée lors de la conférence IAMCR de la United States International University-Africa à Nairobi, au Kenya, a permis d’explorer, de créer et d’exprimer en dépassant les codes institutionnels occidentaux pour ainsi élargir ce qu’on comprend comme de l’art et de la recherche. La vidéo en question : KREYOLIZATION II, a pour but une réappropriation, ainsi que de servir de ressource aux professionel·les culturel·les et artistes racisé·es afin de mieux identifier et combattre les différents aspects de la marginalisation dont ils et elles font l’expérience dans le secteur culturel et artistique belge, et au-delà.

KREYOLIZATION II est divisée en trois chapitres qui reprennent les trois composantes de la recherche. Le premier : Piégé·e dans le White Cube, traite des mécanismes racistes structurels en eux-mêmes et de la compréhension et le démantèlement de ceux-ci. Le deuxième chapitre : Pirater le White Cube, traite des stratégies de résistance qui peuvent être mises en place en dehors et en marge de ces institutions face à leurs mécanismes traités dans le premier chapitre. Le dernier chapitre : Échapper au White Cube, met en avant l’ouverture d’espaces de partage permettant aux professionel·les et artistes racisé·es d’échanger sur ces questions en sécurité[10].

Ces trois chapitres nous permettent d’accompagner un processus d’affranchissement par rapport aux violences vécues dans le secteur artistique et culturel. Les voix des artistes racisé·es nous emmènent dans un circuit poétique ou ce processus est émis comme une expérience vécue, émotionnelle, à laquelle le ou la spectateur·ice visé·e peut se rattacher. En se dirigeant vers un public racisé décolonial, la vidéo offre une représentation non-stéréotypée et non-spectaculaire des personnes y figurant et des problématiques abordées. L’approche décoloniale de cette recherche a donc abouti à une mise en avant de poètes slam, performeur·ses et artistes audiovisuel·les ayant expérimenté par elles et eux-mêmes le sujet en question, tout en recentrant et revalorisant leurs propres pratiques à travers un processus collaboratif, une mise en action concrète, et un visuel qui nous rappelle la douceur et la reconnaissance qu’on peut trouver dans les espaces sécurisants.

Partir d’analyses théoriques pour arriver aux pratiques : comment transposer cette lutte au sein d’une association d’éducation permanente ?

Pour conclure ce numéro sur le secteur artistique et culturel, nous aimerions retirer deux réflexions en tant qu’association d’éducation permanente de lutte contre le racisme et les discriminations  : d’une part, comment nous situons-nous au sein du secteur culturel et pourquoi sommes-nous également concerné·es par les analyses présentées dans ce numéro ? ; et d’autre part, de quelle manière les rapports hiérarchisants de race traversent également notre association, et quelle place y occupent les personnes racisées ? En somme, qu'est-ce que cette étude nous apprend sur notre secteur d’activité, et quel reflet nous renvoie-t-elle sur nos pratiques en tant qu’équipe ?

Depuis plusieurs années, les thématiques de travail de BePax ont changé, passant de l'importation des conflits aux sources de la violence dans la société belge, plus spécifiquement aux sources des discriminations et du racisme. Comment ce changement de thématiques a-t-il impacté nos publics et notre méthodologie ? Combien de place donnons-nous à l’expression des publics discriminés par le racisme dans les groupes de travail, et plus largement dans nos formations et nos activités de plaidoyer ? Dans une société traversée par des inégalités structurelles, nous ne pouvons ignorer que la position que l’on occupe a un impact sur notre manière d’interpréter et de penser la société. D’où l’importance de se situer. Car si l’on énonce quelque chose sans se situer, on fait comme si ce que l’on dit était universel, comme si le point de vue énoncé était valable pour tout le monde. Aujourd’hui, après avoir connu une évolution rapide de ses thématiques et de ses parties prenantes, BePax est en train de mener une réflexion politique sur sa positionnalité complexe et multiple.

Au niveau de l’équipe, nos pratiques quotidiennes d'animation et de formation nous renvoient sans cesse au besoin de mixité choisie pour une raison éthique et méthodologique : pour accompagner les personnes vers une prise de conscience et une transformation d’elles-mêmes et de la société, nous exposons des personnes racisées à un risque de violences verbales, et à rendre ensuite leur position plus vulnérable lorsque nous quittons leur lieu de travail. Nous portons un maximum d’attention au risque encouru dans nos formations, et n’hésitons pas à prendre notre part de « charge raciale »[11]  en confrontant et mettant une limite aux personnes qui tiennent un discours raciste aux effets déshumanisants. 

Néanmoins, comme la recherche de Mekoun et de Aku Ledgbedje le souligne, sortir du paradigme plaçant les personnes blanches au centre de l’action contre le racisme est primordial. Les premières personnes impactées par le manque d’une définition claire et complexe du racisme dans le secteur culturel et artistique en particulier, et dans la société au sens large, sont les personnes racisé·es. Il est nécessaire de lutter pour l’adoption d’une telle définition et grille d’analyse au sein des instances politiques et des institutions belges, ce que nous faisons à travers notre travail de plaidoyer et de formation, mais aussi et peut-être surtout, il est nécessaire d’apporter une attention particulière aux personnes les plus impactées par la réalité actuelle du vide juridique belge.

La mixité choisie est un outil qui pourrait nous permettre de protéger les personnes racisées des émotions liées au déni et à la culpabilité que ressentent les personnes blanches, celles-ci pouvant les placer dans des situations périlleuses. Elle nous permettrait également de se concentrer sur les besoins des personnes racisées, à la fois pour se délester d’un poids vécu quotidiennement, mais aussi se renforcer pour « survivre » dans le monde professionnel (voir la future mallette emploi de Yasmine Kaddouri). Par ailleurs, l’idée de mener des ateliers en non-mixité entre personnes blanches nous permettrait de la même manière d’approfondir notre travail de déconstruction d’une socialisation eurocentrée et sudaliste (concept de l’anthropologue Jérémie Piolat, qui désigne la disqualification des savoirs des « suds »)[12]. Mais les effets de ce dispositif nous semblent limités, car il ne provoque pas de trouble à un ordre racial, en reproduisant la norme de la non-mixité blanche[13].

Toutefois, la mixité choisie ne suffirait pas au déploiement complet de notre démarche d’éducation permanente, puisque comme l’indique notre slogan « Dialogue et diversité », notre association promeut le pluralisme et l’inclusion, visant un engagement anti-raciste. Grâce à la chercheuse Caroline Glorie[14], notre regard sur la non-mixité/mixité choisie et l’idée d’espaces « sûrs » ou « hospitaliers » s’est affinée. Si, dans le cadre de nos groupes de travail, nous établissons des cadres de confiance construits collectivement, nos interventions dans le cadre de formations sont plus risquées : malgré le cadre, les règles et précautions que nous mettons en place, et en fonction du degré de pluralité dans le public (le risque est plus grand si les personnes racisées sont isolées, ou dans des positions vulnérables), nous faisons face à des risques récurrents : discours déshumanisants, centralité de la discussion autour du malaise ou de la culpabilité provoqués par la visibilisation de la violence raciale pour les personnes blanches, au détriment de pouvoir porter notre attention sur les effets de la racisation. Pour toutes ces raisons, nous sommes encore en apprentissage des possibilités et limites des dispositifs que nous faisons évoluer sans cesse pour répondre aux objectifs de notre action en veillant à des exigences éthiques : mettre en place un dispositif qui renverse les rapports de pouvoir pour mettre au centre le savoir des personnes racisées, qui autrement tendent à être silenciées et invisibilisées, tout en ne reproduisant et ne renforçant pas des violences déjà présentes dans notre société.

Enfin, au-delà de l'importance d'ouvrir des espaces d’échange, dans le cas d'une association mixte comme la nôtre, il est également important de penser l'articulation entre les différents types de lieux (de formation, réunion d’équipe, Conseil d’Administration, Assemblée Générale, etc.) pour questionner l’ethno-stratification, et la manière dont la « diversité » des positions sociales et raciales des parties prenantes impacte réellement le « dialogue » qui peut avoir lieu entre elles. Quelle place proposons-nous aux personnes racisées dans nos actions ? Sont-elles représentées dans nos instances de décision ? Et même lorsqu'elles le sont, leurs besoins sont-ils au cœur des préoccupations ? Dans notre travail de questionnement sur notre positionnement et les pratiques qui en découlent, nous ne pouvons faire l’économie de ces réflexions.

***

Référence de la photo d’illustration : Black Speaks Back (2021). [Video] REYOLIZATION II - Hacking the White Cube. https://www.youtube.com/watch?v=gElYaNCrFxA

Réference titre : Black Speaks Back (2021, 11 mars). If art reflects reality, how are the realities of racism and coloniality implicated in the lives and artistic expressions of BPOC artists who navigate in Belgian art institutions? [...]. Facebook. https://www.facebook.com/blackspeaksback/posts/3684918231625850


[1] Quand on parle d'organisations de terrain ou grassroots, on se réfère à des organisations mises en place par des gens “ordinaires”, par opposition à une direction ou à une élite d'un parti politique ou d'une organisation sociale, par exemple. Par ailleurs, les grassroots d’une organisation ou d’un mouvement sont les personnes qui en forment la partie principale, plutôt que ses dirigeants.

[2] Mekoun et Aku Legbedje (2021). Racism in the Arts. Sociaal Fonds Podiumkunsten. p 1.

[3] Mekoun, S. et Aku Legbedje, S. (2021). Racism in the Arts. Sociaal Fonds Podiumkunsten. p 8-9.

[4] Coalition Napar (2020). Memorundum : Nos propositions pour un plan interfédéral d’action contre le racisme. https://naparbelgium.org/wp-content/uploads/2021/09/memorandum-Coalition-NAPAR-2020-FR.pdf 

[5] Coalition Napar (2021). Mediakit: the Belgian coalition for a national action plan agains racism. https://naparbelgium.org/wp-content/uploads/2021/09/Media-kit_Napar_FR-NL.pdf

[6] Lentin, A (2018). Europe and the Silence about Race. European Journal of Social Theory. doi:10.1177/1368431008097008

[7] La notion de culture blanche a été définie par plusieurs théoricien·nes, tels que Jérémie Piolat qui définit la culture blanche comme découlant de la blanchité et comprenant « certaines formes de cultures inconscientes, c’est-à-dire d’habitudes, de comportements, de coutumes, de réflexes conditionnés, de goûts, etc » tout en précisant que la culture blanche n’est pas la culture de tous les blancs ». Piolat, J. (2021). Décolonialité, puissances et absences culturelles, avant-propos à la seconde édition de « Portrait du colonialiste », Paris, Editions Libre. Pp. : 20,21.  

Wendy Leo Moore, quant à elle, définit la culture blanche comme « un ensemble de pratiques, normes, habitudes ou pratiques routinières qui contribuent à reproduire des inégalités raciales en faveur des personnes perçues comme blanches, dans des contextes historiquement et socialement situés” Moore, W.L. (2020). The Mechanisms of White Space(s). https://doi.org/10.1177%2F0002764220975080

[8] Mekoun, S. et Aku Legbedje, S. (2021). Racism in the Arts. Sociaal Fonds Podiumkunsten, p. 8-9.

[9]Mekoun et Aku Legbedje (2021). Racism in the Arts. Sociaal Fonds Podiumkunsten. p 18.

[10] Black Speaks Back (2021, 11 mars). If art reflects reality, how are the realities of racism and coloniality implicated in the lives and artistic expressions of BPOC artists who navigate in Belgian art institutions? [...]. Facebook. https://www.facebook.com/blackspeaksback/posts/3684918231625850

[11] Nsunda, E (2020). Discrimination raciale dans le monde professionel : Femmes noires et burn out. Signes des Temps. https://www.bepax.org/publications/discrimination-raciale-dans-le-monde-professionnel-femmes-noires-et-burn-out.html

[12] BePax (2020). [Replay] “Alphabétisation” des migrants et sudalisme – Jérémie Piolat. Facebook. https://www.facebook.com/bepaxasbl/videos/1259045111130119

[13] Rousseau, N. (2019). Être Blanc·he : le confort de l’ignorance. BePax. https://bepax.org/publications/etre-blancmhe-le-confort-de-lrignorance-1.html

[14] Glorie, C (2018). Safe space vs Non-mixité. La batarde. https://www.labatarde.be/dossier-save-space-vs-non-mixite

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