LETTRE OUVERTE À CHARLES MICHEL - Vers une légitime indemnisation pour les victimes de racismes ?

Rédigé le 25 mai 2018

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Tribune écrite par La Coalition pour un plan d’action interfédéral contre le racisme dont BePax fait partie avec 30 autres organisations belges.

Monsieur le Premier Ministre,

"Nous sommes fermement convaincus que les obstacles à l'élimination de la discrimination raciale et à la réalisation de l'égalité raciale sont principalement dus à un manque de volonté politique". Ce ne sont pas nos propres mots, mais ceux de la Déclaration des Nations Unies de Durban, en 2001. A l’époque, lors de sa présidence de l’Union Européenne, la Belgique avait mené les négociations au nom des membres de l’UE, par le biais du ministre des Affaires étrangères Louis Michel. Notre pays avait approuvé la déclaration et s’était engagé à élaborer un plan d'action interfédéral sur le racisme. Le parlement fédéral avait également repris à son compte cet engagement, en votant la résolution de Daniel Bacquelaine. Cependant, en 2018, ce plan n’existe toujours pas. La bonne volonté, bien présente en 2001, contraste sévèrement avec la passivité qui a suivi. Pourtant, nous avons été rappelés à l’ordre par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale et la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance.

Entre-temps, Monsieur le Premier Ministre, la société civile antiraciste a eu largement le temps de se préparer. Nous nous tenons prêts à participer au processus d’élaboration du plan et à veiller à ce que le plan d’action interfédéral annoncé ne soit pas une coquille vide. Aujourd’hui même, nous avons envoyé nos propositions à tous les gouvernements et parlements de ce pays. Car il est exclu d’échouer ou de continuer à remettre le plan à plus tard.

Depuis 2001, le défi n'a fait qu'augmenter. Le 11 septembre, les événements géopolitiques qui ont suivi et les mouvements de réfugiés qui les ont accompagnés, la crise économique, les attentats et l'essor des nouveaux médias sociaux ont nourri un climat sociétal de plus en plus hostile.

Entre 2003 et 2016, le nombre de signalements concernant les critères raciaux auprès d’UNIA est passé d'un peu plus de 700 à 1647. Les plaintes pour discrimination sur base de convictions religieuses et philosophiques sont également en forte augmentation. En 2016, il y en avait déjà 762. Les recherches de l'Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne démontrent que ces signalements ne constituent que la pointe de l'iceberg. Les nombreuses victimes sont confrontées à la discrimination dans leur recherche d’emploi et de logement, mais également dans les médias et même par la police. Dans notre pays, le racisme n'est pas une exception mais un phénomène structurel et institutionnel. Depuis plus d'une décennie, avec son très faible taux d'emploi pour les personnes issues de l'immigration, notre pays est l’un des plus mauvais élèves en Europe. De tous les pays de l'OCDE, la Belgique a l’un des écarts les plus importants en matière de prestations scolaires des élèves issus ou non de l'immigration.

Un plan d’action ambitieux et global peut inverser la tendance. Quels pourraient être les ingrédients? Les Nations Unies indiquent que la lutte contre le racisme est en premier lieu une responsabilité de l’Etat. Mais le développement, l'élaboration et l'évaluation d'un plan d'action national contre le racisme doivent se faire en étroite collaboration avec les ONG antiracistes et, bien évidemment, avec les représentants des victimes eux-mêmes. A juste titre, le texte de 2001 demande une attention particulière pour des groupes spécifiques: migrants et réfugiés, Roms et gens du voyage, victimes de l’islamophobie et de l’antisémitisme, victimes de la traite d’êtres humains et du passé colonial belge, victimes de l’afrophobie, femmes et hommes qui sont limités dans l’expression de leur identité religieuse… Nous demandons à votre gouvernement de constituer un groupe de pilotage avec tous les acteurs pertinents – aujourd’hui plutôt que demain.

Si l’ambition est d’apporter un progrès visible dans la vie des nombreuses victimes, un plan d'action national contre le racisme doit être ambitieux et complet. Du fait de notre réalité fédérale, cela passe par une implication de tous les niveaux du pouvoir. Le plan doit non seulement se concentrer sur le racisme horizontal et quotidien des citoyens, mais aussi s'attaquer au racisme institutionnel. Il doit être axé à la fois sur le renforcement d’une approche répressive du racisme et de la discrimination et viser la pleine participation dans tous les domaines de la société.

Après 17 ans, le plan d'action interfédéral ne peut bien entendu pas se limiter aux actions facilement réalisables. En même temps, nous constatons qu’il y a beaucoup de possibilités à ce niveau, notamment, l’introduction, dans la fonction publique et aussi dans d’autres secteurs, d’objectifs de recrutement intelligents pour les personnes issues de l'immigration. Ces objectifs sont prévus dans l’accord de gouvernement fédéral. Mais après toutes ces années d’attente, nous avons besoin de politiques novatrices. Le plan doit non seulement contenir des actions préventives, mais également viser à développer un appareil législatif efficace et miser sur la répression et le maintien de la justice. Parce que la sensibilisation à elle seule ne mettra pas fin à l'impunité. Heureusement, actuellement, ce ne sont pas les opportunités politiques qui manquent.

Premièrement, après dix ans de lois anti-discrimination, une évaluation de ces lois par un comité d'experts est en cours de discussion au parlement fédéral. L’évaluation en cours démontre que les lois sont peu ou pas appliquées. Cela est dû à la difficulté d’apporter des preuves, de par l’inexistence d’un cadre légal qui permettrait aux services d’inspection de mener des testings proactifs dans tous les domaines de la société. Cela s’explique également par des sanctions trop légères et peu dissuasives et par le fait que les victimes ont difficilement accès à la justice. Rendre les lois antiracistes et anti-discrimination plus effectives doit constituer votre première priorité.

Deuxièmement, la police et l’appareil judiciaire, qui ont la responsabilité d’assurer l’application des lois antiracistes, ont récemment fait l’objet de débats. Plusieurs corps de police ont été dans le collimateur à cause de faits racistes commis en leur sein, que ce soit envers leurs propres collègues ou des citoyens. Il est donc nécessaire d’avoir des règles plus claires qui interdisent le racisme et le profilage ethnique, des sanctions plus fermes et un système de contrôle interne plus solide. De plus, il faut que la police et le pouvoir judiciaire reflètent la composition de la population.

Troisièmement, il est nécessaire de mener des actions positives afin de permettre la participation effective de groupes discriminés dans tous les domaines de la société. C’est particulièrement important pour les secteurs clés tels que la police, la justice, l'enseignement, la fonction publique, la santé et les médias. La possibilité de mener des actions positives a été prévue par les directives européennes, la législation fédérale, les décrets et les ordonnances. Cependant, l’arrêté royal ayant pour but de clarifier sous quelles conditions il est possible de mener des actions positives, n’a toujours pas été adopté. Dès lors, cet instrument demeure inexploité en raison de l'insécurité juridique. Votre gouvernement doit modifier la situation en créant un cadre juridique et politique plus clair.

Quatrièmement, récemment, de nombreux incidents en ligne ont démontré que le discours de haine incite à la haine, et non au débat. En 2001, la communauté internationale avait déjà attiré l’attention sur cette problématique. Depuis, la situation ne s'est pas améliorée, loin s’en faut. En suivant l'exemple allemand, l’Etat pourrait imposer de lourdes amendes aux entreprises de médias (sociaux) qui ne suppriment pas le discours de haine de leurs plateformes endéans les 24 heures et qui ne les signalent pas auprès de la justice. Car le gouvernement a pour tâche de garantir le débat démocratique.

Si le plan d'action interfédéral veut vraiment constituer un tournant dans la lutte contre le racisme, il doit s’orienter vers l'avenir et transcender les intérêts politiques à court terme. C’est pourquoi nous nous adressons à vous, Monsieur le Premier Ministre. Vous avez une occasion de faire renouer notre pays avec son passé de pays pionnier en matière de lutte contre le racisme. L’actualité politique démontre que c’est le bon moment. En juin 2016, l'actuel ministre des Affaires étrangères, Monsieur Didier Reynders, a répondu à l'ONU que la Belgique élaborerait un plan d'action national contre le racisme. Plus récemment, la secrétaire d'Etat Zuhal Demir a promis que prochainement, elle lancerait un plan d’action interfédéral. Cependant, les nombreuses victimes du racisme n’ont que faire de ces promesses. Nous comptons sur vous pour canaliser ces timides signes d’un renouveau de volonté politique dans le bon sens, afin que le plan d’action interfédéral contre le racisme devienne une vraie priorité.

Avec nous.

La Coalition pour un plan d’action interfédéral contre le racisme*

 
*La Coalition est composée des organisations suivantes:

ACLI Vlaanderen vzw, ACV-CSC, AIF+ vzw, Asbl Objectif - mouvement pour l'égalité des droits, BALKAN lgbtqia, Bamko asbl, BePax, BOEH!, CBAI asbl, Collectif Contre l'Islamophobie, ella vzw | Kenniscentrum gender en etniciteit, ENAR Europe, ENAR Belgium, Federatie van Marokkaanse Verenigingen, FENIKS vzw, Hand in Hand tegen racisme vzw, Hand-in-Hand Gent, Internationaal Comité vzw, Job@Ubuntu, Kif Kif vzw, Le Collectif Mémoire Coloniale de Lutte contre les Discriminations, Le Monde des Possibles – Liège, Liga voor Mensenrechten, Ligue des droits de l'Homme, Merhaba vzw, Minderhedenforum, MRAX, Mwinda Kitoko, ORBIT vzw, Platform Allochtone Jeugdwerkingen, Réseau de Soutien aux Victimes Brésiliennes de la Violence Domestique, RIMO Limburg vzw, Samenlevingsopbouw sector, School zonder Racisme vzw, SHARE (Forum des Migrants ), Tayush, Union des Progressistes Juifs de Belgique, VZW Jakoeboe - Welzijnsschakel Vluchtelingen Oostende.

 

Vous pouvez retrouver en détail les 11 propositions pour un plan d’action belge contre le racisme ici.

 

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