Forum Citoyen 2020 « Langage de domination : quel pouvoir ont les mots ? » - Compte rendu

Rédigé le 18 décembre 2020

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Retour sur le Forum Citoyen 2020 organisé le 14 novembre dernier par BePax, Magma et Justice et Paix.
Les mots ont du pouvoir, ils influencent les actions, déterminent le regard, imposent une vision du monde. La presse, les réseaux sociaux, les discours politique, le monde associatif, les ONG mais aussi entre vous et nous.

Sommaire

  1. Introduction

  2. Atelier " La domination dans l’expression artistique et le monde culturel "

  3. Atelier " Discussions autour du « Greenwashing » "

  4. Atelier " Quelle représentation des migrants dans les médias ? "

  5. Atelier " Violences policières sur les jeunes en Belgique : analyse du relais dans les médias. "

  6. Conclusion

Introduction

Les systèmes de domination structurent notre société et conditionnent nos rapports sociaux, nos corps, nos pensées, notre langage. Nous baignons dans un système qui produit et reproduit des inégalités et des violences quotidiennes. En tant qu’associations d’éducation permanente et organisation jeunesse, Bepax, la Commission Justice et Paix et Magma, proposent de questionner ces différentes formes de domination à travers l’analyse du langage. Langage de domination : quel pouvoir ont les mots ? a été le thème du forum citoyen annuel organisé ce samedi 24 novembre.

Parce qu’il est important de nous rendre compte à quel point notre langage quotidien et les mots utilisés de manière spontanée renforcent les systèmes de domination et créent des violences,

Parce qu’il est important de réagir face aux inégalités que l’on perpétuent sans parfois s’en rendre compte tellement ces dernières sont ancrées dans les normes sociales et les institutions,

Parce que les mots ont du pouvoir, qu’ils influencent les actions, déterminent le regard, imposent une vision du monde. La presse, les réseaux sociaux, les discours politique, le monde associatif, les ONG mais aussi entre vous et nous,

Ce forum abordent les questions de Qui parle pour qui  ? Qui parle de qui ? Comment  ? Pourquoi ? Comment se réapproprier les mots pour renforcer les luttes sociales ? A travers quatre ateliers dont les résumés sont repris dans ce dossier.


Atelier " La domination dans l’expression artistique et le monde culturel "

Lors de cet atelier, Gia Abrassart, journaliste et fondatrice de Café Congo - lieu d’expression d’artistes congolais·e·s et belgo-congolai·s·es - nous a invité à (re)penser la création artistique sous le spectre de l’histoire coloniale et des relations belgo-congolaises actuelles.

Après un tour de table durant lequel les participant·e·s sont revenu·e·s sur ce que la domination culturelle ou linguistique leur évoquait, et ce qui les a amenés à suivre cet atelier, un échange a eu lieu autour de différentes ressources, et des partages des réflexions et d’expériences de chacun·e·s. afin de questionner les manifestations de la domination dans le domaine culturel.

L’atelier a tout d’abord porté sur la compréhension du mécanisme par lequel les corps post-coloniaux ont été et sont encore oubliés ainsi que sur la perpétuation des stéréotypes historiques dans le récit national belge notamment à travers certaines œuvres culturelles (Tintin, Bob et Bobette,…). Ce fut l’occasion de rappeler l’importance et l’intérêt des notes de contextualisation historique.

L’histoire de la langue française ne peut se dissocier de l’histoire coloniale. Les inégalités et les rapports de pouvoir ce sont reproduits et fait ressentir dans la manière dont cette langue a été transmisse aux peuples colonisés. La transmission de la langue fut partielle dans une volonté de garder une certaine mainmise. La langue était alors un instrument de privilège et de différentiation ayant pour but de marginaliser les peuples colonisés. Pour s’affranchir et se voir garantir l’accès à la reconnaissance et à la modernité, les « colonisé·e·s » devaient parler parfaitement le français. L'une des conséquences de cet impérialisme linguistique fut donc de provoquer un effacement des langues préexistantes dans ces pays.

Cependant, un travail de décolonisation de l’esprit est en marche. Nous voyons apparaître actuellement un sursaut de réflexion post coloniale autour de la construction de l’identité occidentale par les générations afro-descendante, notamment concernant les questions de cette domination linguistique. C’est dans ce cadre que se pose entre autres la question de la maîtrise des langues coloniales et celles des pays « colonisés ». Cela a conduit à une réflexion sur l’intériorisation de structures coloniales, ou encore, sur le pouvoir émancipateur des mots et de la parole. La vidéo "WHILE I WRITE" de Grada Kilomba illustre parfaitement cet enjeu. Un rappel que les mots et les langues sont souvent les reflets d’un mode de pensée et du regard que l'on porte sur notre environnement.

De plus, comme Ngugi wa Thiong'o l’explique dans « Décoloniser l'esprit », l'émancipation des langues africaines est primordial pour se défaire des rapports de domination. La reconnaissance des langues de ces anciens pays « colonisés », de leur richesse, de leur pouvoir culturel et de l’imaginaire collectif qu'elles renferment est capitale. Une des pistes avancées à ce sujet, fut entre autres d’offrir des traductions simultanées dans les langues nationales africaines lors de réunions diplomatiques.

Un autre enjeu évoqué fut la maitrise de la langue d’origine pour les afrodescendant·e·s. Un fossé se construit entre la jeune génération et les aïeul·e·s. Les premiers ne parlent pas (ou pas bien) leurs langues d’origines, ce qui peut constituer un frein à la prise de parole par peur d’être mal compris par les deuxièmes, qui se sentent plus à l’aise dans cette même langue. Cette rupture au niveau de la transmission linguistique créée de la distance au sein des familles, qui en souffrent.

Enfin, la dernière partie de l’atelier a porté sur l’épistémicide, à savoir « la mort silencieuse des autres formes de sciences, de cultures, de savoirs, d'apports qui ont pu exister pour une seule domination, un seul type de science, de savoir qui est considéré comme légitime."[1].  L’occasion de se rappeler l’importance de faire attention lorsque l’on parle d’altérité et des autres, ou de se réapproprier sa narration et son récit personnel car la façon dont nous choisissons nos mots contrôle les corps et les esprits.


[1] Fatima Khemilat


Atelier  " Violences policières sur les jeunes en Belgique : analyse du relais dans les médias. "

De nombreux jeunes s’interrogent : pourquoi le relais média et la mobilisation citoyenne semblent plus importants quand des violences policières ont lieu aux Etats-Unis, alors que chez nous, des jeunes subissent ce type de violences dans l’indifférence et le silence ?

Durant cet atelier, les participants, en compagnie d’Aïda Yancy, historienne spécialisée des questions de race, genre, orientation sexuelle et domination sociale, ont décortiqué des extraits médias pour mieux comprendre la part du langage et cette différence de traitement dans les discours médiatiques et politique, afin de proposer des pistes de changement.

Lors d’un premier tour de table, il a été demandé ce qu’évoquait les violences policières au participant.e.s. Voici quelques éléments de réponses et de questions que cela a suscité :

Profilage ethnique / Violences / Débordements / Abus de pouvoir / Violence symbolique / Violence d’Etat / Problème structurel ? / Pourquoi des personnes qui sont censés nous protéger nous violentent, nous causent du tort ? / Une question qui se pose au-delà des frontières / Lien avec la justice (logement, santé…) / Sujet sensible / Tabou / Violences vis-à-vis des personnes, mais aussi du collectif / La pression à manifester pour rendre publique l’action rentre parfois en opposition avec le risque que prennent certaines populations / Débordements violents de policiers /…

Bien qu’il soit plus facile de relever ce qui se passe mal chez les autres plutôt que chez nous, le focus de cet atelier s’est concentré sur la Belgique et ce qu’il s’y passe.

L’assassinat de Lamine Bangoura lors d’une expulsion de logement en 2018 fut abordé afin d’introduire le sujet.  Cette affaire tristement connue dans la sphère militante n’a été que très peu voire pas du tout relayé dans les médias. Il est « intéressant » de voir comment ces questions sont traitées dans les médias. Il y a souvent très peu d’informations dans la presse généraliste. Un autre constat qui a pu être établi est qu’au sein du groupe de participant·e·s plusieurs personnes connaissaient le prénom de personnes victimes de violences policières, mais souvent seul le prénom est connu (Adil, Mawda, Semira, Mehdi…). La différence de traitement médiatique se fait également ressentir au niveau linguistique. Les cas de violences policière sont plus souvent repris dans La presse néerlandophone que dans la presse francophone en Belgique.

Les violences policières impliquent des abus de pouvoir, de la brutalité, la non prise en compte des plaignants,… Il n’est pas possible d’avoir une vue claire sur le profil des personnes victimes de ces violences policières. Dû aux  limites au niveau des statistiques. Par exemple, il existe des statistiques de genre mais pas ethniques. Ce sont souvent les mobilisations des familles face à l’injustice et les relais communautaires qui mettent en lumière les abus, auquel cas ces affaires tomberaient aux oubliettes.

Paradoxalement, lorsque l’on recherche des informations sur les violences causées par la police, on trouve des informations sur les violences subies par la police. Or il y a une différence fondamentale ici : c’est justement cette notion de pouvoir qui introduit un lien avec la question de l’impunité. On remarque une invisibilisation de la notion de « pouvoir » détenu par la police. Face à cette situation, que peuvent faire nos jeunes aujourd’hui par rapport à la police ?

Un autre point d’analyse a porté sur les différences de fonctionnement entre Belgique et USA. Il est acté qu’une certaine forme de racisme est présente aux USA. Pour rappel, afin de pouvoir être qualifié de systémique un concept ou un fait (ex : violence, racisme) doit répondre à 4 critères : structurelle, institutionnelle, historique et individuelle. Ces critères sont rencontrés en Belgique et confirment donc que le racisme y est également présent de manière structurel. Pourtant, seul la dimension « individuelle » y est mise en avant. Nous restons dans une certaine dichotomie (bon vs. méchant, raciste vs pas raciste. Etc.). Pour ne pas pointer du doigt toute l’institution, on va privilégier les distinctions individuelles. A cela s’ajoute des clivages et des différences entre les générations.

Tous ces éléments nous montrent clairement qu’il est important de se questionner sur les objectifs et les moyens avec lesquels la police fut créé : Pourquoi et comment la police a été créer ? De tout temps, beaucoup de responsabilités ont incombés ou incombent encore aux policiers. Entre la protéger la population et s’assurer que rien d’illégal n’est fait sur le territoire, les policiers se retrouvent parfois devant des situations contradictoires. Beaucoup de responsabilités sont mises sur le dos des policiers, ils sont censés pouvoir être à même de répondre à une diversité de situations. Par exemple, si une personne sans papier subit des violences conjugales. Le poids portera plus sur le fait que la personne soit en situation d’illégalité ou qu’il y ait atteinte à la sécurité de cette même personne selon le policier sur lequel on « tombera ». Or est-ce normal ? L’égalité des citoyens peut-elle être garantie ?

Quel rôle peuvent jouer les médias face à cette situation. En tant qu’institution avec un pouvoir très grand, elles jouent un rôle essentiel dans la perception de la réalité et plus particulièrement dans les représentations véhiculées. A travers celles-ci, certaines personnes sont « prédisposées » à avoir l’air coupable et donc à se faire plus souvent arrêter ou contrôler. D’un point de vue extérieur, cela se traduira par une tendance à confirmer que : ‘s’il se fait arrêter c’est qu’il est coupable, qu’il a fait quelque chose. Enfin, le lien avec le débat qui a lieu actuellement autour de la proposition de loi relative à la sécurité globale en France est inévitable au positionnement de la presse. Filmer les dérives afin de pouvoir les dénoncer reste un levier d’action important dans lequel les médias ont rôle important à jouer.


Les rapportages des autres ateliers sont à consulter sur www.justicepaix.be :


Conclusion

Ce forum s’est intéressé à la question des mots et du langage : la première renvoie à celle des catégories à travers lesquelles nous classons et pensons le monde, la seconde nous amène à considérer les images et les univers de sens que charrie plus largement notre langage. « Dire c’est faire », ce qui signifie que les mots ne sont pas simplement des reflets de notre réalité, mais bien des actions à part entière. Aussi, nommer permet aussi bien de visibiliser que d’invisibiliser, connoter positivement ou négativement, marquer ou déconstruire des frontières entre les groupes.

Trois ateliers ont porté sur les conséquences du racisme en Belgique et en Europe (profilage ethnique, représentation des migrations dans les médias, domination culturelle par l’art), et le quatrième portait sur les échos que trouve la lutte écologique au sein du monde de l’entreprise. On a pu y constater combien les discours émanant des médias, des artistes, des politiques, ou des départements de communication de multinationales, constituent aussi bien des mots « du pouvoir » que des outils pour les défaire.

Par la contestation des mots et des imaginaires diffusés comme des cadres du débat public par des institutions ou des groupes détenant divers capitaux, par la remise en cause de la légitimité de certains actes perpétrés par des dépositaires de l’autorité publique, et par la visibilisation de réalités qui contredisent les narratifs officiels, les citoyen·ne·s exercent leur pouvoir, contestent, demandent des comptes, tentent d’exercer une pression, de récupérer du pouvoir, et alertent sur des situations qui ne respectent pas la dignité humaine.

Les questions principales qui concluent ce forum sont donc reliées au rôle d’acteurs-clés

  1. comme l’Etat dans la perpétuation de violences à travers des politiques (migratoires) et des institutions (police, justice),
  2. comme les entreprises dans la réappropriation instrumentale de critiques émanant de la société civile,
  3. et enfin comme les artistes dans la production de représentations qui structurent les subjectivités, empêchant des voix d’être entendues, et privant des groupes de leur participation à l’espace public.

En tant qu’associations actives dans le domaine de l’éducation permanente, de la coopération internationale et de la jeunesse, notre action doit donc nécessairement s’accompagner de la prise de conscience de notre responsabilité à ne pas reproduire, mais également participer à l’invention de nouveaux langages qui ne reproduisent pas divers rapports de domination.

 

 

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